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Code du travail: quand les députés s’affranchissent des règles qu’ils imposent aux patrons
©Reuters

Faites ce que je dis

Les députés lisent-ils les textes qu'ils votent, surtout lorsqu'il s'agit du code du travail ? La question du statut des collaborateurs parlementaires montre, une fois de plus, qu'aucun élu n'accepte de se soumettre à la rigidité des règles applicables aux employeurs de droit commun.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Longtemps, les centaines de collaborateurs parlementaires qui hantent les couloirs et les bureaux de l'Assemblée (plus de 2.000 sous l'ancienne mandature) ont vécu dans une zone de non-droit. À de nombreux égards, ce non-droit persiste, alors même que le Parlement disserte des ordonnances sur le Code du Travail. Voici quelques exemples de la façon dont les députés foulent au pied les règles qu'ils jugent bonnes pour les employeurs de droit commun.

Les députés ont créé une branche de moins de 5.000 salariés!

Pour sortir du non-droit, le syndicat FO des collaborateurs parlementaires a mené le combat pour obtenir une négociation collective. En son temps, ce syndicat ne mâchait d'ailleurs pas ses mots:

Moins de 2% des salariés français ne sont couverts par aucun accord collectif (convention collective, accord de branche, etc.) : les 2091 collaborateurs parlementaires qui travaillent actuellement pour les députés, au Palais Bourbon ou dans leurs permanences parlementaires partout sur le territoire, en font partie. Si les députés adoptent régulièrement des textes relatifs au dialogue social, si le gouvernement a fait de la promotion de la démocratie sociale l’un de ses engagements, cette question trouve un angle mort concernant les collaborateurs de députés.

Grâce à cette mobilisation, les collaborateurs parlementaires ont obtenu un premier accord collectif le 24 novembre 2016. On notera qu'entretemps les mêmes députés de la précédente mandature avaient pipeauté un certain nombre de textes sur les vertus du dialogue social, qu'ils se sont bien évidemment abstenus pendant des années de s'appliquer à eux-mêmes. Il faut dire qu'ils étaient aux premières loges pour mesurer la lourdeur des règles imposées aux employeurs de droit commun.

Cet accord de fin 2016 indique avec une bonhomie touchante qu'il fonde une nouvelle branche professionnelle: celle de l'Assemblée Nationale. Les employeurs de ce pays seront heureux de découvrir que leur représentation nationale fait "branche à part". Alors que la loi El-Khomri prévoyait de supprimer les branches de moins de 5.000 salariés (objectif confirmé par les ordonnances Macron), on a donc trouvé des députés pour créer une branche de 2.000 salariés quelques semaines après l'adoption de cette loi si contestée. 

Là encore, ce qui est bon pour le secteur privé ne l'est pas pour les parlementaires. 

L'opacité totale de la branche Assemblée Nationale

L'incongruité de la création de la branche Assemblée Nationale ne s'arrête pas au faible nombre des salariés qu'elle englobe, en violation des textes votés au même moment par les employeurs signataires de ce texte. Elle porte aussi sur l'opacité qui règne sur le champ d'application de l'accord. 

Il faut comprendre la difficulté inhérente à cet accord: logiquement, il devrait être négocié par un syndicat patronal regroupant tous les députés. L'idée d'expliquer aux collaborateurs parfois payés au lance-pierres que leur statut est fixé par des patrons réunis sous une même bannière quoiqu'ils appartiennent à des partis antagonistes (dont certains font une surenchère permanente sur les droits des salariés) vaut ici son pesant de cacahuètes. 

Les parlementaires ont donc décidé de s'appliquer à eux-mêmes les règles qu'ils critiquent si souvent dans le monde patronal: ils se réservent la possibilité d'agir chacun dans leur coin, et ils évitent prudemment d'imposer des règles communes dans la branche. 

L'accord ne s'applique donc pas à tous les députés:

Le présent accord est applicable aux députés employeurs adhérents de l'association de députés employeurs signataire du présent accord et aux collaborateurs parlementaires qu'ils emploient sous contrat de travail de droit privé.

L'association en question s'appelle l'ADE collaborateurs. C'est elle qui a officiellement négocié l'accord et qui en est signataire. Petit problème: ses statuts sont introuvables, et son fonctionnement est tout sauf expliqué par l'Assemblée Nationale. 

Ainsi, alors qu'en 2016, deux branches ont vu le jour dans des conditions de clarté absolue (les gens d'église et le transport ferroviaire de voyageurs), la branche Assemblée Nationale est, pour sa part, sortie de terre sans aucune publicité. Il est vrai qu'elle n'est que l'émanation du peuple souverain, donc, pourquoi se soucier de bien expliquer ce qu'on fait. 

Un petit défaut de représentativité patronale

Cette fameuse association que personne ne connaît vraiment (sauf, sans doute, ses membres) présente une autre particularité: elle n'est représentative que d'elle-même. 

Ainsi, lorsque le gouvernement a publié, début 2017, le tableau de la représentativité patronale, il n'a fait nulle mention de l'existence de cette branche de l'Assemblée Nationale et encore moins de l'association qui a négocié l'accord du 26 novembre 2016. Autrement dit, l'association signataire n'est pas représentative des employeurs. 

Ce n'est évidemment pas un motif d'illégalité. En revanche, ce défaut de représentativité empêche toute forme d'extension de l'accord. On attendra avec impatience ici la position du ministère du travail... puisque, selon une représentante des collaborateurs, l'accord serait en cours d'extension...

S'agit-il d'un vrai accord?

Au demeurant, on peut quand même s'interroger sur la sincérité de l'accord qui a été signé. En effet, en dehors des dispositions sur le forfait en jours et sur le licenciement, on n'y trouve aucune autre prise de position statutaire. Et la loi sur la régulation de la vie publique devrait laisser au bureau de l'Assemblée le soin de fixer le statut des collaborateurs en dehors de toute démarche négociée. 

Là encore, alors que les députés baratinent les patrons de ce pays chaque fois qu'ils le peuvent en leur expliquant que la décision unilatérale, c'est pas bien, que le dialogue social, c'est mieux (on fait même des ordonnances sur ce sujet), les parlementaires trouvent très bien de pratiquer, pour ce qui les concerne, et conformément à une tradition ancrée, la mesure autoritaire. 

On imagine tous que cela s'appelle donner l'exemple. 

Un dispositif contestable

On comprend pour quelle raison les députés ont consenti à cet accord: celui-ci consiste en réalité en un échange entre la mise en place de forfaits en jour, qui permettent d'encadrer, pour les parlementaires adhérents, des années de 208 jours de travail pour les collaborateurs, sans réel décompte des heures (même s'il en existe un assez formel), et la mise en place d'une indemnité de licenciement.

On ne reviendra pas ici sur la légalité du motif de licenciement inventé par l'accord. En ce sens, celui-ci préfigure les ordonnances Macron: il définit des motifs de licenciement spécifiques à une branche. Ce sujet en lui seul mérite un article distinct. 

On se demande juste quelle est la validité juridique d'une branche qui se limite à une association bien hasardeuse de parlementaires employeurs, dont la seule vocation est de couvrir la légalité de quelques formules en forfaits jours. 

Il est en tout cas évident que personne ne tolérerait qu'un groupe d'employeurs constitue une association pour négocier en catimini un accord minoritaire qui sert surtout à régulariser des pratiques favorables aux employeurs. Aucune branche ne pratique de cette façon en France, sauf celle de l'Assemblée Nationale. 

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