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L'anglais, plus qu'une langue un mode de pensée
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Appel à la résistance

Quand l'uniformisation s'installe dans les goûts, les idées, dans la vie quotidienne, dans la conception même de l'existence, alors la pensée unique domine. La langue anglaise domine le monde et sert aujourd'hui de support à cette pensée unique. Mais le français est bien vivant. Extraits du plaidoyer de Claude Hagège "Contre la pensée unique" (1/2).

Claude Hagège

Claude Hagège

Claude Hagège est linguiste, professeur honoraire au Collège de France et lauréat de la médaille d'or du CNRS.

Il est l'auteur de Contre la pensée unique (Odile Jacob, 2012)

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L’exportation de l’anglais joue un rôle essentiel dans la diffusion de l’idéologie américaine et de la conception que l’on se fait, outre-Atlantique, de la politique et de la démocratie. Ce lien étroit entre la pensée et la langue a été souligné, notamment, par les auteurs qui ont soutenu ce que l’on appelle l’hypothèse Humboldt-Sapir-Whorf, du nom de trois linguistes des XIXe et XXe siècles, repris par d’autres linguistes, tels que L. Hjelmslev, K. Vossler, J. Trier, C. Bally, S. Ullmann, et divers philosophes comme E. Cassirer (cf. Mounin, 1963, p. 45-46).

Selon cette analyse, chaque langue, de par les sélections qu’elle opère à travers la réalité objective, structure la pensée à sa manière, ce que formule par exemple le mot de W. von Humboldt assurant (dans un essai réédité en 2000) qu’on ne peut sortir du « cercle défini et délimité de sa propre langue ». Si l’on admet cette hypothèse, alors l’anglais, dans la mesure où il impose la vision du monde qui est celle des anglophones, est un important levier du pouvoir, et l’on comprend que les dirigeants américains accordent une telle importance à son enseignement : ils considèrent que le style de vie ainsi que les valeurs dont le vecteur est l’anglais, lesquels sont ceux des États-Unis, se répandront dans le monde à raison de la diffusion de l’anglais lui-même.

Posséder les mots et les diffuser, c’est posséder la pensée. « C’est une erreur, disait en 1978 le président J. Carter, de sous-estimer le pouvoir des mots, et des idées qu’incarnent les mots » (cité par Reinhart, 1980, p. 18). Dans la mesure où les mots que l’on entend promouvoir sont ceux de l’anglais, et où le forum planétaire a un centre qui se trouve aux États-Unis, il apparaît clairement que la philosophie à visée universaliste que l’on semble vouloir instaurer est en réalité, loin d’être apatride, celle que promeut la conviction d’une mission universelle de l’Amérique et d’elle seule. Ce que veulent les idéologues de la haute politique américaine, parfaitement conscients de l’importance de la pensée, des mots, de la langue, ou, du moins, ce qu’ils voulaient au moment de la puissance la plus forte des États-Unis n’était rien de moins que la conquête de l’esprit des hommes.

La victoire est assurée, dans cette compétition, pour celui qui a su créer des liens issus d’une culture commune, et donc producteurs de représentations communes qui se révèlent plus solides, grâce à la puissance de leur intériorisation et la dose d’irrationnel générée par le mimétisme, que les solidarités purement économiques.

Il existe un document américain confidentiel destiné au British Council, où l’on peut aisément déceler une claire conscience de l’action de la langue dans le façonnement des esprits : c’est l’Anglo-American Conference Report de 1961, où il est écrit que la « langue dominante » doit « imposer une autre vision du monde » (cf. Hagège, 2006a, p. 64). Un instrument particulièrement efficace pour que s’impose une langue, et que s’insinuent, dans son sillage, des modes de pensée, est le cinéma. C. Autant-Lara, cinéaste français qui passa de nombreuses années dans les studios de Hollywood, note dans un de ses livres (1992, p. 37) que, au début de la décennie 1980-1990, il entendait les dirigeants des plus grandes compagnies déclarer ouvertement ce qui était, en fait, un programme conçu dès la fin des années 1920 : se saisir de la part du lion dans les salles de projection européennes, populariser partout en Europe, puis dans le monde, l’« American way of life » et l’« American way of thinking ».

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Extrait de Contre la pensée unique, Odile Jacob (12 janvier 2012)

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