Claude Guéant : “François Hollande n’a manifestement pas écouté la totalité du propos de Nicolas Sarkozy, je l'appelle moi aussi à la maîtrise, y compris celle du chômage”<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien ministre de l'intérieur de Nicolas Sarkozy revient sur les différentes polémiques entourant le chef des Républicains.
L'ancien ministre de l'intérieur de Nicolas Sarkozy revient sur les différentes polémiques entourant le chef des Républicains.
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Interview politique

L'ancien ministre de l'intérieur de Nicolas Sarkozy revient sur les différentes polémiques entourant le chef des Républicains. Du droit du sol à la gestion des flux migratoires, Claude Guéant défend une application rigoureuse des valeurs républicaines et un respect de ce qui fait l'identité de notre pays.

Claude Guéant

Claude Guéant

Claude Guéant est un haut fonctionnaire et homme politique français. Il a été secrétaire général de la présidence de la République française, puis ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration.

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Atlantico : Depuis quelques temps, les polémiques autour de l'ancien président Nicolas Sarkozy s'enchaînent dans les médias : sur le droit du sol, sur le problème des migrants assimilables à une fuite d'eau… Selon vous, avec ce type de déclarations, où cherche à aller le chef des Républicains ?

Claude Guéant : Il y a là deux problématiques extrêmement différentes. Pour ce qui est de la polémique sur la "fuite d'eau", je me permets de m'inscrire complètement en faux contre la façon dont les médias présentent les choses. Nicolas Sarkozy n'a pas du tout comparé les immigrés à des personnes qui pourraient être assimilées à une fuite d'eau. Au contraire, quand on écoute l'enregistrement complet, il dit bien que ce sont des drames humains, des hommes à considérer comme tels. Il illustre ensuite cela en comparant à une fuite d'eau la politique du gouvernement, et les suggestions de l'Union européenne, qui consistent, en réalité, à ne pas traiter le problème mais à l'étaler, à le repartir entre les différents pays d'Europe, ce qui est effectivement fait. Les médias cherchent aussi à susciter les polémiques. Contrairement à toutes les traditions, monsieur Hollande a répliqué, de Bratislava, aux propos de Nicolas Sarkozy. De plus, il y a répliqué en n'ayant pas, manifestement, entendu la totalité du propos, en sortant une phrase de son contexte, tout en appelant à la "maîtrise". De mon côté, moi aussi j'appelle François Hollande à la maîtrise, notamment celle du chômage.

S'agissant du droit du sol, Nicolas Sarkozy n'a pas dit qu'il était favorable à une modification de la législation existante. Il a simplement dit qu'une question se posait et qu'il était prêt à ouvrir un débat à ce sujet. Le moins que l'on puisse dire est que le débat dans une démocratie est toujours légitime. Je ne vois donc pas ce qu'il y a à reprocher à cette déclaration. Il faut savoir ce dont on parle. Si on évoque le droit du sol par rapport au droit du sang, j'imagine que ceux qui privilégient ce dernier et l'abandon du droit du sol, ont pour objectif une meilleure maîtrise de l'immigration. Or, il faut bien voir à qui s'appliquent ces deux droits : ils s'appliquent aux enfants qui naissent en France. Aujourd'hui, les enfants qui naissent en France de parents étrangers, ont vocation à devenir français de façon automatique. Je crois que là, il y a une première modification qu'on pourrait introduire : dans le passé, jusqu'en 1998, il y avait une obligation de déclaration de volonté d'entrée dans la nation française. Cette disposition a été abandonnée sous le gouvernement Jospin, mais je crois que cela devrait être rétabli. C'est une formalité simple, lourde de sens, qui illustre la volonté d'adhérer à la nationalité française, et donc à la France. Dans l'autre cas, si nous étions dans un droit du sang pur et simple, cela voudrait dire que les enfants nés de parents étrangers en France ne pourraient pas devenir français, sauf par naturalisation. Or, ils rempliraient tout de suite, au regard du droit actuel en tout cas, les critères de cette naturalisation. Ils feraient une demande supplémentaire, avec la procédure qu'elle accompagne. Cela ne changerait pas grand-chose au regard de la préoccupation qu'expriment les tenants du droit du sang, car ces enfants seraient, de toute façon, en France, cela ne ferait donc pas baisser l'immigration. C'est donc plutôt une question de principe qui se pose. Bien-sûr, je pense qu'il y a des améliorations possibles du droit du sol, comme la déclaration de volonté, ou la nécessité d'introduire le droit du sang à Mayotte ou en Guyane (où l'on trouve beaucoup d'abus provenant des pays voisins). Cependant, le principe de la nation française reste un principe civique, qui repose donc sur des valeurs. Le principe du droit du sol mérite donc d'être maintenu, même s'il y a des petites corrections législatives à faire intervenir, parce qu'il n'y a pas de question véritablement pratique derrière cela.

Nicolas Sarkozy est chef de parti, et du principal parti d'opposition en France. Son devoir est d'être à l'écoute des principales préoccupations de notre peuple. Prétendre que le peuple français aujourd'hui, comme les peuples en Europe en général, sont indifférents aux questions d'immigration, c'est complètement tromper l'opinion. Si on veut être certain de faire tomber la France entre des mains extrêmes, surtout ne traitons pas les problèmes qui intéressent les Français ! C'est un devoir de traiter les problématiques qui les intéressent.

Un jour Nicolas Sarkozy parle des valeurs de la République et dit qu’il n’aurait pas dû parler d’identité nationale, le lendemain il semble sur une ligne dure … Quelle est sa ligne politique qui semble, parfois, difficile à suivre ?

La ligne politique du président des Républicains est de trouver des réponses aux préoccupations des Français, et aux problèmes qu'ils ressentent. Encore une fois, Nicolas Sarkozy, au sujet de l'identité nationale, n'a pas regretté le débat mais la façon dont il a été conduit. Et, c'est vrai que pour avoir participé, à ses côtés, à l'organisation de ce débat, je suis d'accord avec le fait de dire que nous l'avons mal organisé. Nous n'avons pas défini clairement là où nous voulions aller. Ceci-dit, aujourd'hui, et peut-être bien d'avantage qu'avant, les questions d'identité sont particulièrement présentes à l'esprit de nos concitoyens. Je l'avais déjà dit, lorsque j'étais ministre de l'intérieur, dans une phrase d'une totale banalité, qui avait pourtant suscité des tollés dans les milieux médiatiques : mot pour mot, j'ai dit "les Français ne sont pas racistes, mais ils veulent que la France reste la France". Cela reste aujourd'hui profondément exact. A l'époque il y avait eu un sondage et une très large majorité de Français, les trois quarts, trouvaient que j'avais raison, il y avait même parmi eux une majorité de sympathisants socialistes.

En ce qui concerne les valeurs républicaines, ce ne sont pas des valeurs qui nient l'histoire de notre pays, sa culture, la civilisation qu'il représente, bien au contraire ! Les valeurs républicaines, telles que les conçoit Nicolas Sarkozy, sont des valeurs d'exigences, qui poussent à l'excellence. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous sommes, parmi les Républicains, profondément hostiles à la réforme du collège telle qu'elle est mise en œuvre. En laissant de côté celle des programmes, on peut se demander ce que signifient les fameux "enseignements interdisciplinaires". Peut-être que ces derniers ont du sens pédagogiquement, je ne suis pas assez qualifié dans ce domaine pour le dire, mais cela veut dire que le temps consacré aux enseignements fondamentaux, aux disciplines que les élèves de nos écoles devraient tous savoir maîtriser au terme de leur scolarisation obligatoire, va encore être réduit de 15%. Aujourd'hui, nous avons 20% des élèves quittant la 3ème qui ne maîtrisent pas parfaitement la lecture ou l'écriture, 21% ne sont pas dans la capacité de résoudre un problème de calcul du cours moyen 2ème année. On va leur ôter du temps nécessaire à l'apprentissage de ces enseignements fondamentaux, c'est le contraire de ce qu'il faut faire. Il faut pousser vers l'excellence, l'excellence ne revient pas à l'élitisme dans notre société, mais à l'élitisme pour tous. Il faut pousser tout le monde au maximum de ses capacités, c'est pour cela que nous avons fait l'accompagnement individualisé des élèves en décrochage, les internats d'excellence, et je pourrais citer bien d'autres choses encore, comme les entrées plus importantes en classes préparatoires pour les élèves peu favorisés etc. L'attachement aux valeurs républicaines ne signifie pas du tout que nous oublions notre identité.

Toujours sur la problématique migratoire, selon vous, qu’est ce qui n’a pas fonctionné pendant le quinquennat du président Sarkozy ? Que répondre au Front national qui affirme que les Français ne se laisseront pas avoir deux fois par les mêmes "mensonges" ?

Il n'y a pas eu de "mensonges". Je rappelle que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les flux migratoires ont été bien mieux maîtrisés qu'auparavant. A titre d'exemple, lorsque j'étais ministre de l'intérieur, l'immigration de travail a diminué de moitié, alors que cette période a duré à peine plus d'un an. Nous avons également réduit l'immigration familiale. On nous dira que l'immigration de travail est nécessaire car nous avons besoin d'emplois très qualifiés, ce qui est sans doute vrai pour quelques métiers. Mais on ne peut dire que dans une France qui compte trois millions et demi de demandeurs d'emploi, c'est-à-dire de chômeurs, il n'y a pas moyen de trouver quelques milliers de personnes, quitte à faire de la formation professionnelle supplémentaire, pour occuper les emplois dont nous avons besoin.

J'avais, également, lancé quelques pistes, et même quelques réglementations nouvelles, qui étaient importantes mais que nous n'avons pas eu le temps de mettre en œuvre. Par exemple, pour ce qui est des naturalisations, j'avais mis en place de nouvelles conditions, et le dispositif avait commencé à fonctionner, pour exiger que les personnes demandant leur naturalisation possèdent la maîtrise de la langue française et un minimum de connaissance de nos institutions et de nos grands principes républicains. Immédiatement après, le flux de naturalisations s'est réduit. Monsieur Valls a considéré que tout cela n'était pas bien et a remis en place le dispositif ancien en ajoutant une modification supplémentaire, lorsqu'il était ministre de l'intérieur, qui établit que toute personne qui séjourne pendant cinq ans en France de manière irrégulière a le droit d'être régularisée. On en voit les effets aujourd'hui. A l'époque, j'avais également commencé à modifier les conditions de l'immigration familiale, j'avais mis en place un nouveau dispositif, lequel n'a pas été véritablement mis en œuvre faute de temps, qui demandait que les conditions d'intégration soient vérifiées avant le départ du pays d'origine, plutôt que de laisser les personnes s'installer avec l'espoir qu'elles allaient, un jour, remplir ces conditions. C'est fondamental. Une autre chose que j'avais mis en place, comme mes prédécesseurs d'ailleurs, était l'augmentation importante du nombre de reconduites dans le pays d'origine des étrangers se trouvant en France en situation irrégulière. Ainsi, en 2012, il y a eu 37.000 reconduites, et si j'étais resté à mon poste, il y en aurait eu plus de 40.000. Aujourd'hui, et les journaux le disent, il y en a 10.000 de moins, ce sont quand même des attitudes très différentes.

Si on est pragmatique, quels sont vraiment les moyens de l’Etat pour résoudre cette problématique migratoire qui prend une si grande ampleur aujourd'hui ?

L'ampleur est, effectivement, très importante et nos citoyens sont très préoccupés par cela. Pour ce qui est de la France, il y a plusieurs mesures à prendre. La première consiste à reconduire les étrangers qui se trouvent chez nous en situation irrégulière, je pense, notamment, à la catégorie très importante en nombre des demandeurs d'asile déboutés. Cette dernière catégorie est de l'ordre de 50.000 personnes par an. Chacun sait que les demandeurs d'asiles déboutés restent en France, ce qui est paradoxal car ce ne sont pas des clandestins puisqu'ils étaient dans un processus officiel de demande d'un statut privilégié chez nous. Je ne dis pas que c'est facile à faire mais il faut le faire, notamment en accord avec les autres pays européens confrontés à la même difficulté. Ensuite, il faut être plus rigoureux en matière de regroupement familial, c'est quelque chose qui est tout à fait indispensable. Mais aussi continuer à être rigoureux, comme nous l'étions, en matière d'immigration de travail et en ce qui concerne les naturalisations.

Au niveau européen, je plaide, pour ma part, pour une attitude qui est peut-être en train de se dessiner : il ne faut pas attendre que les immigrés arrivent en Europe, pour ensuite tenter de les répartir entre pays, pour faire une distinction entre ceux qui demandent l'asile ou pas etc. Je pense qu'il faut essayer d'arrêter l'immigration qui nous vient de pays considérés clairement comme des pays sources, notamment la Libye. Il faut faire en sorte que nos bateaux puissent faire en sorte reconduire d'où ils viennent les bateaux chargés de migrants qui partent de Libye. Il faut aussi, bien entendu, créer, en Libye, des centres de regroupements, dont nous pourrions assurer la protection, qui permettraient de trier les migrants qui relèvent de l'asile, et qui peuvent venir en Europe, et les autres.

Sur le même sujet, que pensez-vous des idées et propositions des autres candidats potentiels aux primaires à droite ?

Il me semble que tous, d'après ce que je comprends, plaident dans le sens de la rigueur, donc tout le monde est sur la même ligne parmi les Républicains. Il y a des nuances parmi les modalités d'application, mais tout le monde est pour la rigueur en termes de flux migratoires.

Je ne suis pas dans le détail les propositions de chacun, mais j'ai l'impression que tout le monde souhaite une maîtrise de ces flux et c'est une bonne chose. Cela nous permettra d'avoir une plateforme unie des Républicains, lorsqu'il faudra faire le programme.

La droitisation de la position de Sarkozy et la "ligne Buisson" peuvent-elles survivre à l’absence de Patrick Buisson?

C'est une question qui est souvent évoquée. Patrick Buisson a été un conseiller du président Sarkozy, comme du candidat en 2007 et en 2012. Cependant, les projets de Nicolas Sarkozy sont faits par Sarkozy lui-même. Encore une fois, Nicolas Sarkozy fait force de répondre aux soucis qu'il perçoit être dans l'esprit de nos concitoyens. Il constate, mais c'est une évidence, une préoccupation persistante sur les questions d'immigration, sur les questions d'identité, une préoccupation amplifiée par l'actualité de ces derniers mois sur la façon d'organiser une cohabitation harmonieuse entre les musulmans et les non-musulmans dans notre pays. Nicolas Sarkozy, en chef de parti responsable qu'il est, veut répondre à ces préoccupations.

Je crois que, Nicolas Sarkozy et Patrick Buisson n'ayant plus de relations, l'influence ne s'exerce plus. Il est vrai que Buisson a participé au constat, dressé par Sarkozy, de l'état d'esprit de nos concitoyens.

Question plus personnelle, envisagez-vous un retour en politique malgré les procédures judiciaires  vous concernant en cours?

Je n'ai jamais vraiment été en politique et j'y suis un peu tombé par hasard, pour avoir accompagné, pendant dix ans, Nicolas Sarkozy, et lorsque je suis devenu ministre de l'intérieur ou bien quand j'étais son premier collaborateur à l'Elysée. Je suis entré en "politique-politicienne" en me présentant en tant que candidat aux élections législatives de 2012. J'ai été battu et je n'ai plus l'intention d'être candidat à quelque élection que ce soit. Ceci-dit, si Nicolas Sarkozy me demande de l'aider, d'une façon ou d'une autre, dans sa reconquête de la présidence, c'est avec grand plaisir que je le ferai, et il m'arrive, effectivement de travailler pour lui.

Je préfèrerai, à l'évidence, ne pas connaître ces procédures judiciaires, c'est évident. J'ai bon espoir que dans peu de mois, j'en serai débarrassé et que mon innocence sera reconnue. Mais je n'ai strictement aucune ambition, mon seul souci est d'aider, si je le peux, mon pays et Nicolas Sarkozy car je pense qu'il est le mieux à même de sortir celui-ci des difficultés considérables dans lesquelles il se trouve.

François Pérol, ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy, comparaît ce mardi devant le tribunal correctionnel de Paris pour prise illégal d'intérêt. Selon vous, la nomination de Pérol à la tête de l'ensemble bancaire Banque Populaire-Caisse d'Epargne (BPCE), après avoir été haut fonctionnaire en charge de l'économie à l'Elysée était-elle une erreur ? Comment et par qui cette décision avait-elle été validée ?

Je ne fais pas vous faire le procès puisqu'il intervient bientôt. La seule chose que je voudrais dire est que la façon dont François Pérol dirige l'ensemble BPCE, depuis qu'il a été nommé à sa tête, montre bien qu'il était l'homme de la situation. Il a réussi à organiser la fusion des établissements, à redonner de l'élan à cette structure, à la rendre profitable à nouveau, à lui redonner des ambitions. Je crois que c'est la meilleure réponse qui puisse être faite à toutes les critiques qui ont été émises.

A l'époque, toutes les garanties avaient été prises, et tout le monde pensait que cette nomination était régulière. Il faut savoir que c'est la CGT qui a fait un recours contre cette nomination, ce qui est assez paradoxal parce qu'elle est censée représenter les intérêts du personnel. Or, le personnel devrait se satisfaire du parcours de redressement de François Pérol à la tête de la BPCE.

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