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Claude Guéant : “Avec le droit de vote des étrangers, François Hollande va aboutir au déchirement de la société française”
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Lignes de fracture

Droit de vote des étrangers, guerre des chefs à l'UMP, publication des caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo... L'ancien ministre de l'Intérieur revient sur les sujets qui ont marqué l'actualité de la semaine.

Claude Guéant

Claude Guéant

Claude Guéant est un haut fonctionnaire et homme politique français. Il a été secrétaire général de la présidence de la République française, puis ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration.

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Atlantico : La pétition contre le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales, mise en ligne mercredi en fin de journée par l'UMP sur son site internet, a recueilli en 24 heures plus de 45 000 signatures. Signataire de cette dernière, vous avez affirmé qu'une telle mesure n'irait pas dans le sens de "l'intégration républicaine". Pourriez-vous expliciter vos craintes concernant cette réforme ?

Claude Guéant : Je suis résolument contre ce projet pour plusieurs raisons. La première, c'est que nous avons une tradition républicaine très ancrée dans notre corpus politique : en France, on vote quand on est citoyen, et on est citoyen lorsqu'on est Français.

Le deuxième point, c'est que la réforme pourrait ne pas se limiter à l'organisation du vote des étrangers aux élections locales, mais également à leur éligibilité dans des fonctions locales, hormis pour celle de maire comme le prévoit le texte actuel voté par les socialistes au Sénat. Il me semble qu'il s'agit là d'une porte ouverte au communautarisme. En effet, dans un certain nombre de communes françaises, par exemple en Guyane, il y aurait une majorité d'étrangers participant aux élections. Par conséquent, des étrangers seraient à tous les coups élus conseillers municipaux ou adjoints au maire. Les décisions arrêtées pourraient alors ne pas être conformes à notre tradition républicaine, et risqueraient de portée atteinte au principe de laïcité.

Un reportage télévisé présentait récemment le sentiment des étrangers ayant le droit de participer aux élections municipales en Belgique. J'ai été particulièrement choqué de la réponse de l'un d'entre eux : il se félicitait de détenir un tel droit, car cela lui permettait de faire prévaloir sa propre culture. C'est exactement le problème. En France, la culture, c'est la culture française. Cela ne veut pas dire nier ou négliger les différences, ni que l'on ne respecte pas les origines de chacun, car il est parfaitement normal qu'une personne d'origine étrangère reste attachée à la terre de ses ancêtres et à ses traditions. Mais il est extrêmement important, me semble-t-il que l'ensemble des personnes qui vivent en France appliquent une même règle, la règle républicaine qui implique tous les grands principes de la démocratie.

La troisième raison pour laquelle je suis très hostile à ce texte, c'est qu'alors même que François Hollande a fait campagne sur le thème du rassemblement des Français, qui n'avait pas été réalisé selon lui par son prédécesseur, il ouvre là à nouveau un déchirement dans la société française, car nous sommes certains que cela va conduire à de sérieux clivages. La communauté nationale a besoin de se rassembler sur certaines priorités qui sont tout à fait évidentes, et notamment sur le renforcement de la compétitivité de la France.

Selon un récent sondage Ifop-Atlantico, 61% des Français s'opposent au droit de vote des étrangers. Le gouvernement semble pourtant décidé à faire entendre sa voix, alors même que la majorité des 3/5ème au Parlement semble impossible à obtenir. Comment expliquer pareil positionnement ?

La gauche a deux grandes raisons de mener une telle réforme. La première, c'est que le gouvernement et le Président de la République rencontrent de grandes difficultés en matière économique et essayent d'ouvrir un autre front qui, de leur point de vue, est plus susceptible de rassembler la gauche que d'autres thématiques.

Je ne peux pas m'empêcher de penser que cette volonté farouche du PS (de faire voter les personnes étrangères aux élections municipales) repose en partie sur les analyses produites par le think thank Terra Nova. Ce dernier précisait de manière explicite que le PS devait changer de stratégie, la classe ouvrière ne constituant plus le groupe sociétal à promouvoir, et qu'il lui fallait désormais se tourner vers les étrangers et les personnes issues de l'immigration qui voteraient à 75 % pour la gauche.

Charlie Hebdo a provoqué un véritable tollé ce jeudi en publiant des caricatures de Mahomet, alors qu'une flambée de violence embrase le monde musulman depuis la diffusion du film anti-islam « Innocence of muslims ». D'après vous, doit-on laisser libre cours à la liberté d'expression ou l'exercer avec raison ? 

Il y a un principe sacré dans notre démocratie, celui de la liberté d'expression et de la presse, sous réserve des bornes que la loi met à cette expression.

Il n'empêche que dans cette expression, les organes de presse doivent toujours être responsables. Nous avons eu une première vague de violences qui s'est traduite dans le monde par la mort d'une trentaine de personnes. Nous courons un risque de même nature avec la publication de ces dessins. De surcroît, indépendamment du risque, il faut faire preuve de respect à l'égard de toutes les croyances.

Je trouve donc ces publications regrettables en tout état de cause, et d'autant plus en ce moment. Charlie Hebdo met purement et simplement de l'huile sur le feu.

Port du voile à l’école, de la burqa, polémique sur la viande hallal, manifestations contre le film "l'innocence de l'islam" et protestations contre les caricatures de Charlie Hebdo... Le débat sur la place de l'islam dans la société française ne cesse d'être relancé. Selon vous, l'islam peut-il réellement représenter une menace pour la cohésion de la société française ?

Je ne dirai pas les choses de cette façon-là. La grande majorité des musulmans en France souhaitent vivre leur foi de façon tout à fait paisible, personnelle et discrète.

Toutefois, il est inutile de se voiler la face : il y a en France un certain nombre de foyers extrémistes et salafistes, comme le montre Gilles Kepel dans son enquête en banlieue ( cf Banlieue de la République : Société, politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, Gallimard 2012) avec de nombreux témoignages, notamment d'enseignants qui expliquent qu'il est de plus en plus difficile d'enseigner des points de l'histoire de France dans certains quartiers. C'est tout à fait inacceptable, il faut que toutes les personnes qui vivent en France se plient à la loi républicaine et vivent selon la doctrine de la République.

C'est la raison pour laquelle j'ai toujours lutté pour l'intégration et que me m'oppose aussi fermement, tant au droit de vote pour les étrangers qu'à la décision de Manuel Valls de diminuer les conditions d'obtention de la nationalité française en baissant les exigences de maîtrise de la langue et de connaissance de notre système républicain.

Vous avez pourtant déclaré soutenir la politique de votre successeur, Manuel Valls. Est-ce à dire que le ministre de l'Intérieur mène une politique de droite ? Et est-elle compatible avec la ligne du gouvernement Ayrault ?

En matière d'immigration, je crois qu'il n'est pas assez ferme. En effet, le nombre de reconduites à la frontière a largement diminué depuis son arrivée place Beauvau. Je rappellerai que lorsque j'étais ministre, nous reconduisions près de 4 000 étrangers en situation irrégulière à la frontière par mois.

En matière de sécurité, le discours qu'il tient est très partial, très convaincu et je ne doute pas du fait qu'il corresponde à ses convictions. La seule question est de savoir si la politique qu'il met en œuvre est à la hauteur de ce discours. Je ne souhaite pas faire de distinctions entre les ministres, nous avons un gouvernement homogène mais la politique sécuritaire, qui implique aussi le ministère de la Justice et une politique pénale va plutôt dans le sens du désarmement de l'arsenal que dans le sens de son renforcement et d'une meilleure efficacité.

Fin novembre se tiendra le congrès de l'UMP, durant lequel sera désigné le prochain président du parti. François Fillon et Jean-François Copé sont les deux derniers candidats en lice. Vous ne vous êtes pour l'instant prononcé pour aucun des deux. Apporterez-vous publiquement votre soutien ?

Peut-être que cela viendra, mais pour l'instant ce n'est pas le cas. Je rappelle qu'il y a une campagne qui s'est ouverte et je crois qu'il est important d'observer ce qui va se dire de part et d'autre.

J'attends donc que les arguments de campagne se développent. Ce qui demeure très important pour moi, c'est la capacité de rassemblement et l'actualisation doctrinale du mouvement afin de lui permettre de rassembler un maximum de Français.

L'autre bataille du congrès sera celle des motions. Sept seront déposées mardi soir au siège de l'UMP. Parmi elles, « la Droite populaire » de Thierry Mariani, la « France moderne et humaniste » de Jean-Pierre Raffarin ou encore « la Droite forte » de Guillaume Peltier. Êtes-vous susceptible de rallier l'une de ces dernières ? La motion la plus "sarkozyste" ?

Je vais d'abord les lire... J'espère toutefois qu'au milieu des mouvements, il y aura la place pour exprimer sa sympathie à l'UMP tout court !

Très morcelée depuis le retrait de Nicolas Sarkozy, l'UMP peut-elle sortir affaiblie de la « guerre des chefs » qui oppose François Fillon à Jean-François Copé ?

Après la désignation d'un président, l'ensemble du mouvement se rassemblera derrière lui. Je ne pense pas qu'il faille avoir peur de la démocratie, il est absolument normal qu'il y ait plusieurs candidats. Cela vaut mieux que ce qu'il s'est passé au Parti socialiste.

Indépendamment des conditions de nomination, c'est une situation complètement aberrante : après avoir choisi son successeur, la Première secrétaire est amenée à quitter son bureau avant même que les socialistes aient ratifié le choix qu'elle avait proposé.

Selon vous, Nicolas Sarkozy peut-il revenir en 2017 ? L'espérez-vous ?

A titre personnel, j'ai pour lui une très grande admiration, un très grand respect, je trouve qu'il a été un grand Président et les Français commencent à lui rendre cette justice. Je souhaiterais donc qu'il revienne dans la vie politique, mais c'est son choix et je ne sais pas lequel il sera.

Ce que je peux vous dire, c'est que j'ai régulièrement de ses nouvelles, qu'il est très en forme et se tient très informé !

Propos recueillis par Célia Coste

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