Classes à 70 élèves, cour de récré sur les toits ou scolarisation à 1h30 de chez soi… Quand le poids de l’immigration s’invite dans la rentrée britannique<!-- --> | Atlantico.fr
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Un élève de primaire sonnant la cloche dans la cour de récré.
Un élève de primaire sonnant la cloche dans la cour de récré.
©Reuters

Rentrée bondée

Sous haute tension démographique, le système éducatif du Royaume-Uni connaît des ratés. Des écoles primaires ont ainsi refusé des milliers d’enfants, faute de place. Le DailyMail souligne le rôle de l’immigration dans cet engorgement des classes.

Moustafa  Traoré

Moustafa Traoré

Moustafa Traoré est diplômé d'un doctorat en études anglophones de la Sorbonne. Il est spécialiste du système d'intégration en Grande-Bretagne et de ses limites.

 

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Susan  Finding

Susan Finding

Susan Finding est professeur à l'Université de Poitiers et spécialiste de la civilisation britannique contemporaine.
 
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Atlantico : Des classes de 70 élèves, une cour de récréation improvisée sur les toits ou la nécéssité de faire 3h de route quotidiennement... Voici le bilan accablant de la rentrée scolaire au Royaume-Uni dressé par le DailyMail. Dans un système éducatif britannique sous haute tension démographique, de nombreuses écoles primaires dans les zones urbaines du pays ont été obligées de refuser des milliers d’enfants, faute de place. Cette année, 1 élève sur 8, soit plus de 76 000 d’entre-eux, se sont vus refuser leur premier choix d’école, tandis que 22 500 n’ont obtenu aucun de leur choix. Le quotidien conservateur souligne le rôle prépondérant de la hausse de l’immigration récente dans l’engorgement des classes. Confirmez-vous ce lien de cause à effet et son importance ?

Moustafa Traoré :Si l'immigration joue bel et bien un rôle, elle n’est pas le seul facteur en jeu. La principale explication est liée aux femmes nées dans les années 60 et au début des années 70, qui ont eu des enfants très tardivement. Or, ce boom n’a pas été prévu par les gouvernements successifs, qui pour combler le déficit démographique, ont depuis ouvert les portes de l’immigration.Il est d’ailleurs à noter que cette immigration est avant tout blanche et européenne, notamment issue des pays de l’Est comme la Pologne et la Roumanie, et donc incontrôlable du fait de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. C’est d’ailleurs celle-ci qui pourrait poser problème, et non l’immigration indo-pakistanaise, qui est contrôlée. On peut mieux comprendre dès lors le débat qui agite le pays sur son appartenance à l’UE. Il est ainsi tout à fait possible, que derrière cette question posée aujourd’hui par les politiques et les médias sur l’école, se pose en partie celle de l’immigration européenne. Aujourd’hui, il y a en tout cas un manque cruel d’établissements scolaires et de professeurs pour répondre à la demande.

Susan Finding : Tous les journaux ne font pas la même analyse que le DailyMail. Même s’ils reconnaissent le rôle d’une démographie croissante qui n’a pas été anticipée, ils insistent sur les problèmes de concentration géographique de ces populations dans les villes et sur l'absence de planification dans la construction des logements et des places scolaires, qui n’a pas été pensée et intégrée dans la construction des quartiers.

Le lien n’est donc pas total : il y a un manque d’anticipation notoire des pouvoirs publics, à la fois à l’échelon national et local, car le système éducatif britannique est largement décentralisé n’est pas géré au niveau national mais au niveau des territoires. Le risque d’engorgement était d’ailleurs connu. Depuis 4 ans, de nombreuses municipalités débordées ont ainsi tiré la sonnette d’alarme, alertant le gouvernement sur le manque de places dans leurs écoles. Le Premier ministre conservateur, David Cameron, a d’ailleurs pris conscience du problème et autorisé des rallonges budgétaires malgré le contexte d’austérité. 

L’immigration est en hausse constante depuis plus de 10 ans au Royaume-Uni. Pensez-vous que le système éducatif puisse y faire face et intégrer ces enfants étrangers ?

Moustafa Traoré : Il est tout à fait possible que le système résiste et absorbe l’arrivée de ces nouveaux élèves, car il n’est pas du tout centralisé comme en France et jouit d’une certaine flexibilité. Chaque école possède une certaine indépendance dans sa gestion, ses décisions et son financement. Les professeurs ne sont d’ailleurs pas des fonctionnaires mais sont embauchés par les écoles.

Susan Finding : Le nombre d’élèves par établissement scolaire et par classe a toujours été important au Royaume-Uni, y compris dans le primaire. Le problème de l’ntégration se pose néanmoins, non pas en terme pédagogique, car les enseignants gèrent plutôt bien la situation, mais en terme physique. De ce point de vue, l’école craque. Le manque de place est indéniable. Certaines écoles ont ainsi dû monter en urgence des salles de classe sur leur terrain de sports ou leurs espaces verts. Et donc la qualité générale de l’enseignement s’en ressent. Quant aux enfants dont la langue anglaise n’est pas la langue maternelle, ils représentent dans certaines écoles 50%, 60%, 70% des effectifs. Mais il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau. Les autorités éducatives s’en sont d’ailleurs prémunies depuis assez longtemps, en renforçant notamment les moyens et en usant de statistiques ethniques. 

Quelles conséquences sur la qualité de l’enseignement et sur l'équilibre social doit-on craindre ? 

Moustafa Traoré : D’après les statistiques ethniques, on n’observe pas de conséquences néfastes sur le niveau d’enseignement.  Il y a en fait une grande ouverture du système éducatif, qui bénéficie d’une grande flexibilité et offre une large gamme de matières et des programmes linguistiques diversifiés, dont certains sont directement destinés aux élèves non anglophones. En revanche, il est évident que, plus les classes sont surchargées, moins les élèves bénéficient d’une attention particulière de leurs professeurs. C’est un problème réel.

Susan Finding : Il n’y a pas, à ma connaissance, de plaintes de la part des enseignants ou des parents d’élèves en général, sur la qualité de l’enseignement. Il existe, en revanche, des études, qui tendent à montrer que les enseignants ne sont pas assez ambitieux pour leurs élèves issus des minorités. Au niveau social, il y a bien eu des émeutes, mais aucun lien n’a été établi entre ces événements et l’école. Au contraire, lors des dernières grandes émeutes, il y a trois ans, les violences ont eu lieu justement pendant les vacances, alors que les enfants n’étaient pas à l’école. Le manque d’intégration par l’école a peu à voir avec l’équilibre social, qui est avant tout lié au chômage des parents et à l’oisiveté des jeunes dans ces quartiers. 

Le DailyMail rappelle que le nombre de naissances en Angleterre et au pays de Galles a augmenté de 22% en 10 ans. Par ailleurs, le taux de fécondité était de 1,84 par femme née au Royaume Uni contre 2,21 par femme née à l’étranger, en 2011.  L’engorgement des classes ne met-il pas en lumière les dangers d’une immigration incontrôlée, comme le dénoncent certains conservateurs ?

Moustafa Traoré : Oui, d’une certaine façon. Le problème est qu’on ne peut rien faire contre cette immigration européenne incontrôlée, à la différence de l’immigration moindre des pays du Commonwealth. La question n’est pas liée à l’immigration mais à l’Union européenne et à l’ouverture des frontières du pays. Aujourd’hui, la première communauté étrangère en Grande-Bretagne est d’origine polonaise. Sans cette immigration, la population blanche serait d’ailleurs en voie de disparition. Il est donc très difficile de critiquer ce type d’immigration qui permet le renouvèlement de la communauté blanche, par rapport aux minorités ethniques de couleur. En réalité, ces immigrés européens sont bien acceptés parce qu’ils sont travailleurs et qu’ils sont invisibles aux yeux de la population. Ils se fondent ainsi facilement dans la masse.

Susan Finding : Cet engorgement des classes est avant tout le signe de l’incurie des autorités, qui est liée à la concentration géographique de ces populations et à une mauvaise politique du logement. D’ailleurs, certaines villes paisibles et sans histoires dans le sud de l’Angleterre, qui ne comptent pas d’importantes populations immigrées, connaissent, elles aussi, des problèmes de classes surchargées. Tout n’est donc pas lié au taux de fécondité des femmes étrangères. 

Comment le Royaume-Uni peut-il ou doit-il s'adapter ? 

Moustafa Traoré : Il y a clairement un manque de moyens. Pourtant, la solution est simple. Il suffirait d’investir dans la construction de nouvelles écoles et dans la formation de nouveaux professeurs. Tout cela est bon pour l’économie britannique. La reprise actuelle devrait ainsi permettre de dégager de nouvelles marges de manœuvre et de nouveaux financements pour tenter de résoudre cette crise scolaire et faire face à la multiplication des classes surchargées.

Susan Finding : Dans l’immédiat, les rectorats ont les moyens de faire face. Evidemment, il y a des exemples scandaleux, comme ces gamines qui sont obligées de faire quatre heures de bus par jour pour rejoindre leur école, mais leurs cas seront réglés immédiatement par les autorités locales, pour éviter davantage de mauvaise presse. A plus long terme, les pouvoirs publics devraient anticiper bien plus en amont les changements démographiques et les concentrations de population dans les grandes villes, tout en y associant une planification dans la construction des logements. Le problème, c’est que la planification et la centralisation ne sont pas des traditions britanniques. Et l’ingérence de l’Etat dans ce genre de domaine reste toujours un peu délicate. En tout cas, le budget alloué à l’éducation reste assez élevé. Malgré les coupes budgétaires, les financements des écoles ont été largement préservés.

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