Ciudad Juárez, ville la plus dangereuse du monde, anéantie par le fléau de l'addiction au crack et à la méthamphétamine<!-- --> | Atlantico.fr
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Des luttes sanglantes pour conquérir les territoires où distribuer la drogue font rage à Ciudad Juárez.
Des luttes sanglantes pour conquérir les territoires où distribuer la drogue font rage à Ciudad Juárez.
©Reuters

Bonnes feuilles

Des luttes sanglantes pour conquérir les territoires où distribuer la drogue font rage à Ciudad Juárez, champ de bataille postmoderne du "capitalisme avancé". Ed Vulliamy nous emmène en voyage au cœur des cartels. Extrait de "Amexica" (2/2).

Ed  Vulliamy

Ed Vulliamy

Ed Vulliamy est un journaliste et correspondant de guerre anglais, plusieurs fois distingué pour son travail, notamment par Amnesty International.

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Bien avant que Juárez devienne le modèle économique de cette inflation de meurtres, des contrebandiers qui passaient leurs marchandises aux États-Unis se sont affrontés en ville, tout au long de son histoire. Désormais, ce champ de bataille postmoderne du "capitalisme avancé" recouvre une plaza qui n’apparaît pas sur la "carte" du premier chapitre. Une plaza à la violence bien plus extrême que toutes les guerres livrées pour le contrôle du trafic vers les États-Unis : la bataille pour le marché de la drogue interne à Juárez, et donc celui du Mexique lui-même. Avec la guerre des cartels et les affres de ce nouveau conflit, Juárez est anéantie par le fléau de l’addiction, en particulier au crack et à la méthamphétamine.

Voici l’une des raisons données par Ignacio Alvarado à l’érosion de la structure et des contours des cartels, notamment à Juárez : "Le Mexique est devenu un pays avec un vaste marché domestique, délibérément sous-estimé par les mensonges gouvernementaux, et trop anarchique pour être contrôlé par les cartels, même s’ils le souhaitaient. Si nous divisions le marché de la drogue en ères, explique Cardona, l’ère de la contrebande demeure celle des cartels – l’ère du capitalisme monopolistique, si tu veux –, quant à celle de l’explosion de l’addiction domestique, elle ressemblerait à l’ultralibéralisme, l’anarchie criminelle. Avant et pendant l’ère monopolistique, tout le monde connaissait sa place : barons de la drogue, politiciens, police d’État, police locale, cadres narcos et gangs.

Maintenant, Juárez s’apparente à une hiérarchie horizontale informe, issue de l’économie de marché : certains deviennent très riches, la plupart terminent à la poubelle." Juárez, ville aux cinq cents colonias, ne possède pas les services municipaux capables d’absorber les huit mille nouveaux arrivants qui s’installaient toute les semaines jusqu’à la crise récente. Dans chaque colonia, un des cinq cents gangs issus de ces bidonvilles dealent sur les terrains vagues, à l’exception des barrios comme Anapra, où, selon Cardona, "ils sont contrôlés par un autre gang, celui qu’on appelle la police".

Toutes les colonias possèdent également ce qu’on nomme tienditas à Tijuana – des échoppes – où l’on achète cocaïne, marijuana, drogues synthétiques et héroïne. Ici, à Juárez, on parle de picaderos et on les repère généralement à une chaussure attachée au fil télégraphique le plus proche. Tandis que les pyramides des cartels s’écroulaient, elles perdaient également le contrôle du marché local de la drogue pourtant en plein essor. Chaque picadero revendiqua et exploita sa propre plaza, protégée par le gang voisin. Plus la plaza domestique s’étend, plus l’emprise des cartels faiblit. Alors le besoin se fait sentir pour eux de diriger non une hiérarchie, mais plutôt un système d’affiliation de gangs "sous-traitants". Résultat, Juárez se révèle désormais ravagée par des intérêts contradictoires libérés par une boîte de Pandore florentine.

À l’étranger, on croit souvent que les meurtres sont confinés dans un secteur de la société ou dans les barrios déshérités, et ne se produisent ni en ville ni dans les quartiers chic. Absolument pas : nous nous rendons dans une villa élégante, actuellement sous scellés, où la police retrouva neuf cadavres. Elle se dresse en face d’une salle chic, La Cité, qui accueille mariages et réceptions. Puis nous roulons le long de l’Avenida Rivera Lara, après le Desperado, club et rodéo, vers la Calle Sierra del Pedregal, pour arriver devant les murs blancs d’une magnifique demeure où trente-six corps (selon plusieurs rapports) ont été découverts, en mars 2007, enterrés sous le patio. Au 3363 Parsioneros, une propriété mieux connue sous le nom de Maison de la mort : douze dépouilles. La controverse fit rage autour de ces meurtres.

D’après certaines enquêtes, un informateur du gouvernement américain aurait appartenu au commando de tueurs ; ses officiers traitants du service des douanes auraient été prévenus du massacre en cours8 – un carnage auquel des agents de la police d’État, employés par le cartel de Juárez, auraient participé. Dans l’arrière-cour de la Maison de la mort, l’image d’une femme mystérieuse et magnifique avait été accrochée au mur, puis utilisée comme cible. On lui avait tiré dans la bouche. "En règle générale, m’explique Cardona, si l’on montre les corps, on ne tue pas pour la police. Si on les cache : soit on exécute ses basses oeuvres, soit on en fait partie." Sur le bord de la route, au coin de la Maison de la mort, une affiche de recrutement de la police représente un flic-ninja encagoulé sous les mots : Juárez te necesita !, Juárez a besoin de toi.

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 Extrait de Amexica. La guerre contre le crime organisé à la frontière Etats-Unis / Mexique, pp.180-182

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