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Cimetières, morgues, prêtres… La France est-elle prête à faire face à la hausse du nombre de morts qui se profile ?
©Reuters

Hécatombe en vue

La France devrait connaître une hausse sensible du nombre de décès sur son territoire dans les années et décennies qui viennent, selon les prévisions de l'Ined. Une situation qui pose notamment des questions de logistique et de préparation.

Claire Sarazin

Claire Sarazin

Claire Sarazin est une thanatopracteur indépendante, chef d’entreprise, responsable du cursus Thanatopraxie au sein de l’Institut Français de Formation des Professions du Funéraire (IFFPF), formatrice, contributrice au magazine Résonance et conseillère Thanatopraxie à Funéraire Info.

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François Michaud-Nerard

François Michaud-Nerard

François Michaud-Nerard est directeur général des Services funéraires de la Ville de Paris.

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Atlantico : Le nombre de morts en 2015 a augmenté par rapport à 2014 en France, et d’après les statistiques de l’Ined (voir ici), ce n’est que le début d’une vague de décès qui va se produire dans les années à venir. Le monde funéraire est-il préparé à cette future hausse conséquente du nombre de morts ? Quels sont les problèmes que nous pouvons rencontrer ?

Claire Sarazin : On va peut être assister à une hausse de décès, mais ça ne sera pas massif. Ce phénomène va s’étaler sur plusieurs années contrairement à la canicule ou aux vagues de grippe. La question de la place du cimetière est complexe car beaucoup de personnes ont déjà des concessions ou des caveaux de prévu. Nous ne pouvons pas prévoir un afflux massif dans les cimetières mais il y a un problème global de place. La canicule de 2003 a été une leçon pour les professionnels du cercueil qui sont désormais préparés à un flux de décès important, ils savent s’organiser. Nous pouvons désormais anticiper le matériel à plus grande échelle en cas de besoin. Nous avons un réel problème de prêtres en France, ils sont de moins en moins nombreux par rapport à la demande. Beaucoup de cérémonies sont célébrées par des diacres et des laïcs par manque d’effectifs. De nos jours, de nouveaux crématoriums se créent régulièrement et réussissent à répondre à la demande. Les thanatopracteurs qui, eux, s’occupent de l’embaumement des corps ont un réel problème d’effectifs dû à un très faible numerus clausus. En cas de hausse des décès soudaine, les problèmes seront très importants dans la profession.

François Michaud-Nerard : Il y a eu une hausse significative de la mortalité en 2015 qui était principalement due à la mauvaise efficacité du vaccin contre la grippe. Cette catastrophe avait causé environ 10 000 morts supplémentaires. L’augmentation qu’a prévue l’Ined dans les années à venir sera progressive, d'environ 1,5% de décès par an. Il n’y aura pas de difficultés vis-à-vis de cette hausse. De plus, il y a eu une libéralisation du marché funéraire, de nombreuses entreprises se sont créées dans le domaine. Les entreprises font de moins en moins d’obsèques, ce qui conduit à une hausse conséquente des prix.

Par contre, sur le long terme il va y avoir une augmentation d’environ 30% sur les 30 prochaines années et ce phénomène attire des fonds d’investissements qui achètent toutes les petites entreprises indépendantes. La hausse sur le long terme est facilement contrôlable, par contre dans les moments de crise comme la canicule ou la grippe, le monde funéraire peut vite se trouver en difficulté. Un mois d'août classique à Paris, c’est environ 30 morts et en 2003 pendant la période caniculaire il y en a eu 600 en trois jours. Dernièrement, lors des événements du 13 novembre, il y a eu beaucoup de difficultés.

Il y a un problème depuis un moment avec le nombre de prêtres. Aujourd’hui, pour les obsèques catholiques, beaucoup de laïcs sont sollicités à cause du sous-effectif des prêtres. Ces derniers temps, beaucoup de crématoriums ont été créés : nous dépassons les 180 centres en France. Il y a même une surcapacité de crématoires en France, sauf à Paris ou le crématorium du Père-Lachaise est régulièrement saturé. Il y a un manque de places dans les cimetières depuis un certain temps, mais le phénomène qui joue pour faire baisser ce problème est la montée de la crémation. Nous sommes passé de 1% de taux de crémation en 1980 à 35% aujourd’hui.

Pourquoi la France va-t-elle affronter une augmentation des décès dans les années à venir ? Quelles sont les prévisions ?

François Michaud-Nerard : Nous prévoyons une hausse des décès entre 1 et 1,5% par an à partir de maintenant. Avant, nous avions des classes creuses à cause des suites de la guerre de 1914-1918. Ce creux a duré jusqu’après la guerre de 1939-1945, époque à laquelle est survenu le baby boom. Après la guerre, les Trente glorieuses ont eu pour conséquence une hausse de la natalité considérable : les Français avaient foi en un avenir prometteur et des vagues d’immigration ont amené des jeunes en âge de procréer.

Les premiers de la génération du baby boom commencent à atteindre un certain âge et les décès se font de plus en plus fréquents. Sur le long terme, il va y avoir une augmentation de 30% de décès en 30 ans.

En termes d'infrastructures et de moyens humains, comment avons-nous réagi aux dernières hausses de décès causées par les canicules et les épidémies de grippe en France ?

Claire Sarazin : En 2003, le phénomène était inédit et les différents services étaient désemparés. Depuis, nous avons réussi à nous préparer et à anticiper ce type d'événement de masse. Lors de la canicule de 2003, nous avons connu des gros problèmes de place dans les morgues et les funérariums. Ainsi, nous avons tiré les conséquences de cet événement et en théorie aujourd’hui ces problèmes ne se poseront plus.

François Michaud-Nerard : En termes de moyens humains, lors des canicules et vagues de grippe, nous sommes obligés de réagir au fur et à mesure. La chaîne funéraire de Paris est prévue pour la gestion de 35 convois par jour. Lors d’une crise où il y a 600 décès en trois jours et 1000 supplémentaires dans un mois, nos services sont en grave difficulté. Il nous est impossible de réagir avec les moyens habituels. Toute la chaîne de fonctionnement a été bloquée : les hôpitaux n’avaient plus de places dans les morgues, les policiers n’avaient pas assez de personnel pour constater les décès... Nous avons dû utiliser des camions frigorifiques pour transporter les corps, à cause de la chaleur il n’y avait pas d’autres possibilités. Nous avons tout fait pour que les familles aient accès à des obsèques traditionnelles.

Quelles sont les solutions à apporter pour faire face aux différents problèmes suscités par la hausse conséquente du nombre de morts à venir en France ?

Claire Sarazin : En cas d’épidémies ou de flux de morts, la question est toujours de savoir si nous allons avoir assez de places dans les morgues et autres funérariums. Si une autre catastrophe comme celle de 2003 se reproduisait, il faudra créer de nouveaux carrés dans les cimetières et nous aurons besoin de nouveaux locaux mortuaires. Aujourd’hui, nous sommes plus sereins par rapport à une éventuelle crise de décès, nous sommes à même d’y faire face.  

François Michaud-Nerard : Augmenter la crémation ou modifier les types d’enterrement n’est pas quelque chose que nous pouvons décider. Hormis des événements catastrophique, les problèmes de la chaîne funéraire sont de plus en plus rares. Il y a une multiplication de points de vente pour subvenir aux besoins des Français.

Initialement, les cimetières étaient autour des villes, puis en périphérie des villes et aujourd’hui ils sont rattrapés par l’urbanisme et s'intègrent dans la ville. Dans le cadre du réchauffement climatique, ce sont des havres de fraîcheurs et des lieux de biodiversité. Il va falloir procéder à une réflexion sur la place du cimetière dans la ville.

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