Christophe Ono-Dit-Biot : « Trouver refuge ? L’amour, la beauté. Et -pour moi- l’écriture de ce livre »<!-- --> | Atlantico.fr
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©DR / Francesca Mantovani

Atlantico Litterati

Christophe Ono-Dit-Biot -écrivain et directeur adjoint de la rédaction du Point- publie avec « Trouver refuge » ( Gallimard) son septième roman.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

Voir la bio »

« On était devant un moment de télévision. Il en profitait alors toujours pour regarder la caméra braquée sur lui, ce qui équivalait à regarder dans les yeux les téléspectateurs qui l’adoraient. Sacha s’était arrêté là, lui signifiant d’un geste de la main qu’il n’avait rien à ajouter, mais c’était déjà trop tard. Le silence était tombé sur le plateau, peut- être cinq secondes, mais c’est long, cinq secondes sous le feu des caméras. On attendait que Sacha précise. Même le ministre le regardait avec attention, cherchant à lire quelque chose sur son visage. Que sous-entendait Sacha ? Que savait donc Sacha? JPL, professionnel, n’insista pas. Retrouvant le sourire narquois posé comme une limace sur son maquillage crémeux, il reprit le fil de l’émission mais le message avait certainement déjà été reçu cinq sur cinq en haut lieu. Sacha sentit une boule se former dans son ventre, mais trouva la force de ne pas le laisser paraître. Il savait pourtant qu’il venait de franchir la ligne rouge. »  Ces prolégomènes déclenchent à la fois les péripéties du  septième livre de Christophe Ono-Dit- Biot «  Trouver refuge » ( Gallimard),et piquent  notre curiosité. Les mots que viennent de prononcer Sacha- le personnage central du roman-, sont dangereux . Nous sommes dans la France de 2027. Nouvellement élu, le président de la République est surnommé « Papa ». Infantilisés, les Français  sont devenus des moutons dociles « rassurés par cette « tyrannie douce », comme l’avait dit un certain Tocqueville il y a des siècle, précise l’auteur. Peu après ce direct,Sacha- le  personnage de Christophe Ono-Dit-Biot- réalise qu’il est en danger.«  . Ce fut juste un bras qu’il aperçut, sortant de l’habitacle, et mimant, tendu vers lui, comme s’il le mettait en joue, le bout des doigts serrés dans un geste enfantin et glacial, un pistolet dont on arme le chien et dont on actionne la détente. La voiture démarra en trombe » .Pour sauver sa peau, il faut fuir loin de « Papa » et ses mercenaires. Fuir avec femme et enfant, comme l’on part en vacances.Le meilleur du roman est ce contraste qu’établit  tout de suite Christophe Ono Dit-Biot entre la violence à l’œuvre dans nos sociétés  et la douceur extrêmement moderne de son personnage masculin. Car le pitch  de « Trouver refuge », ce n’est  pas -contrairement aux apparences- le calvaire d’ un Juste  poursuivi par  des tueurs, mais l’avènement d’une nouvelle masculinité donc de nouvelles « valeurs ».Sacha- journaliste professionnel- abandonne son métier, son domicile, ses confrères et amis pour ne pas faire courir le moindre risque aux siens. Il incarne une autre sorte d’homme. Pas le type « déconstruit » dont rêvent certaines militantes, mais  cet homme séduisant d’aujourd’hui. Aimant  profondément  nature et culture, le personnage d’Ono-Dit-Biot chérit le temps long et la beauté du monde- ce monde et ses objets- vivants ou simples pierres sur le chemin- que nous ne regardons pas assez-, adorant le fait d’être père-un père attendrissant sans une once de miévrerie-, père veillant sur sa fille de sept ans comme aucun père ne le faisait hier.  La nouvelle masculinité, loin des virilités toxiques de « Papa » et de certaines frustrées désireuses de transformer les hommes en femmes.  L’homme déconstruit se liquéfie. Le contraste qu’Ono-Dit-Biot établit entre le Papa du politiquement correct et le père privé, secret, à l’œuvre au quotidien avec ceux et ce qu’il aime est très réussi.Sacha profite de son « refuge » - qui est  devenu le roman que nous lisons- pour se changer, faute de pouvoir changer le monde.

Aimant Nina, aimant l’amour avec Nina, aimant les corps et le plaisir (le romancier rappelle au passage que Camus conseillait de « sauver les corps ») Christophe Ono-Dit-Biotest un admirateur du Prix Nobel 1957 ; comme l’est cet intellectuel de la chose politique qu’est Henri Guaino. Et comme le sont tous les admirateurs du génie camusien. « Trouver refuge » semble d’ailleurs empreint de certains concepts chers à l’enfant d’Alger. “Un homme est plus un homme par les choses qu'il tait que par celles qu'il dit » notait Camus dans « Le mythe de Sysiphe. Pour ce qui est de Christophe Ono-Dit-Biot, le secret enrichit ses pages. Pas de confidences ni de bavardages : une fresque dans laquelle la terre et ses splendeurs rayonnent malgré la violence. La beauté des objets du monde fait la matière de ce texte généreux. Nous sommes touchés par l’amour de Sacha pour sa compagne (absente : le Mont Athos- sanctuaire orthodoxe- est interdit aux femmes), et bouleversés par la tendresse du père pour sa fille (« Irène -qui signifie Paix- et ses deux sœurs, Agapi (Charité) et Chiona (Neige), étaient attirées par la foi chrétienne». L’avenir ? La littérature et l’espérance, en somme. Mot de passe de la Résistance à la soft-barbarie qui fait florès dans nos sociétés molles  telles les montres de Dali ? « Restons humains » : au fil des pages, la devise de Christophe Onot-Dit-Biot devient la nôtre. C’est beau (Sélectionné Goncourt).

Annick GEILLE

Repères

Après « Birmane » (prix Interallié 2007) ou « Plonger » (Grand Prix du roman de l’Académie française et prix Renaudot des lycéens 2013), Christophe Ono-dit-Biot- écrivain et directeur- adjoint de la rédaction du Point- publie avec « Trouver refuge » ( Gallimard) son septième roman. En 2002,  il publiait «  Interdit à toute femme et à toute femelle » ( Plon ),dont l'action se situait déjà dans une péninsule grecque peuplée d’ermites.

Extrait

La« ville du Ciel »

« Un sanctuaire... Il lui en avait tellement parlé, de ce territoire interdit aux femmes et aux femelles depuis le Moyen Âge et où elle était censée ne jamais pouvoir poser un pied : la Sainte Montagne, appelée aussi le mont Athos. Une presqu’île de trois cents kilomètres carrés, deux fois plus longue que large, cernée par les vagues de la Méditerranée et terminée par un promontoire coiffé de neige. Semés sur ses flancs et sa croupe, une vingtaine de monastères composaient un quasi-État uni autour de la règle de l’abaton, autrement dit du « lieu pur », « auquel on n’accède pas ». Un principe d’inviolabilité remontant à l’empereur de Byzance qui avait offert, au xie siècle, ce territoire aux moines afin de se racheter de ses péchés. L’ancienne règle prévalait toujours dans cette théocra- tie orthodoxe devenue de plus en plus autonome avec le temps, où les lois du monde ne s’appliquaient plus. On y changeait de nom pour y disparaître en tant qu’homme et renaître à l’état d’ange. Ainsi se voyaient les moines : des anges, c’est-à-dire des êtres sans désir, ayant renoncé à leur corps et à leurs pulsions, uniquement tournés vers la lumière de Dieu comme des héliotropes vers le soleil.

Sacha avait fait leur connaissance il y a trente ans. Il en gardait une émotion intacte, et quelques liens amicaux. Mina le savait. Et quand ils avaient évoqué entre eux, à Paris, le fait qu’il faudrait peut-être un jour se préparer à partir, elle lui avait désigné la photo qui ne quittait jamais son bureau et qui le montrait, jeune et souriant, cheveux au vent sur le pont d’un bateau au milieu de ces silhouettes noires et barbues, intimidantes. Elle lui avait dit, comme on lance une idée un peu folle :

« Après tout, avec son obsession des racines chré- tiennes, c’est sans doute le seul endroit qu’il sera obligé de respecter. On pourrait y être en sécurité. »

En effet, la Sainte Montagne avait survécu à tout. Aux Croisés, aux pirates, et même aux Turcs : un endroit où l’on prononce autant de fois le nom de Dieu mérite d’être protégé, avaient décrété les sultans ottomans. Les guerres, les révolutions, les crises économiques : tout était passé sans effleurer la péninsule sacrée, ou presque.

Des années après, Sacha était donc de retour ici. Il était là pour demander asile, comme on disait au Moyen Âge en empoignant l’anneau fixé au seuil des cathédrales. Là où s’arrêtait la justice des hommes. Il avait fait les démarches depuis Paris, après que Mina avait lancé cette idée qu’il avait saisie au vol et examinée à tête reposée. C’était sans doute la meilleure s’ils devaient se faire oublier. L’époque les inquiétait sérieusement, surtout depuis l’élection à la tête du pays de celui qui se faisait surnommer « Papa ». Bien sûr, ce n’était qu’une possibilité mais il était toujours utile d’assurer leurs arrières, et sans perdre de temps car les formalités étaient longues. Il pressentait que cette folie pouvait avoir un sens. Qui penserait à cet endroit ? Probablement personne.

Sacha avait expédié au « Bureau des pèlerins », depuis l’adresse anonyme d’un cybercafé, une copie de leurs pièces d’identité. Légèrement trafiquées, ou plus exactement masculinisées concernant Mina et Irène. Il mentait, certes, mais avait-il le choix ? Et surtout, commettait-il une faute? Pas si l’on considérait, à juste titre, que la Sainte Montagne dépendait d’une autorité qui dépassait celle des hommes et de leur paperasserie. Et puis, s’il fallait sauver sa famille, tous les moyens étaient bons.

Avec un scanner, on se débrouillait très bien. Et même s’ils s’étaient vraisemblablement modernisés depuis son premier séjour, les employés du Bureau n’y verraient que du feu. Ce qui leur importait, c’était davantage la motivation spirituelle des rares visiteurs qu’ils acceptaient. Et là-dessus, Sacha était prévenu. Il rédigea la lettre de motivation, cruciale, et n’eut pas à se forcer. Il avait gardé d’intenses souvenirs de cette expérience radicale, et un intérêt sincère pour les particularités de ce monde clos. Il prit sa plus belle plume pour convaincre son interlocuteur invisible, démontrant sa connaissance de la foi orthodoxe et convoquant son éblouissement de jeunesse. Il mentionna, aussi, deux ou trois noms qui, là-bas, avaient du poids, et contacta Syméon. Par lettre, postée à son ermitage. Cela faisait tant d’années. Même avec son ami il préféra rester dans le vague, et se contenter de dire qu’il avait fait une demande pour trois laissez- passer dont un pour un enfant, et qu’il avait besoin de lui. Mais Syméon était-il encore sur l’Athos? Ils n’avaient pas communiqué depuis dix ans. Sa réponse lui mit du baume au cœur. À l’intérieur d’une enveloppe frappée d’un hexaptère, un ange à six ailes de feu, le moine lui faisait savoir qu’il se réjouissait de recevoir un signe de lui et qu’il appuierait la requête. Une dérogation était en effet nécessaire pour l’enfant, la péninsule sacrée n’étant pas seulement interdite aux femmes et aux femelles, mais aussi aux « imberbes », comme le spécifiait la bulle impériale byzantine qui en avait fixé les règles, toujours en vigueur. Syméon lui transmettait aussi un numéro de téléphone. Un fixe, à l’ancienne. Il prierait pour eux. Ils en auraient besoin, pensa Sacha.

C’est le cœur inquiet qu’il se rendit, le lendemain de leur arrivée à Ouranopolis, au Bureau des pèlerins. Certains d’entre eux, leur sac à dos à terre, prenaient un dernier café à l’ombre des treilles. À leur côté, leurs femmes, qui rejoindraient ensuite le centre de thalassothérapie local pour occuper ces quelques jours de séparation, histoire de sculpter leur corps ou de le réveiller sous quelques caresses expertes pendant que leurs hommes expiaient leurs fautes. Excité par les parfums de la mer Égée qui se rappelaient à son souvenir, Sacha plongea dans le passé. Il n’y avait pas, alors, de centre de thalasso à Ouranopolis. Et dans sa vie, pas de femme, pas de petite fille. Seule la tour byzantine, dressée au xiie siècle sur le sable scintillant de la plage, était toujours campée sur ses pierres couleur caramel, comme il y a trente ans et comme elle le serait encore dans trente autres, pour prévenir la Ville du Ciel des attaques de pirates. Ceux-ci avaient juste changé de nature.

Une fois hors du vieux break Volvo de D. – Sacha pré- férait ne pas utiliser leur voiture, au cas où elle aurait été signalée –, il enfonça la casquette sur sa tête et prit soin de bien regarder autour de lui. Rien à signaler pour le moment. Derrière son pupitre, le type le considéra à peine. Il avait autre chose à faire : suivre un match de foot sur un écran de télévision. L’employé pivota sur son fauteuil, fouilla derrière lui dans une liasse de documents, et tendit à son interlocuteur les papiers retenus par un trombone. Sacha remercia et sortit sans s’attarder.

C’est seulement dans la rue qu’il vérifia chaque dia- monitirion. Ainsi nommait-on les laissez-passer aux allures de parchemin qui vous donnaient le droit de pénétrer sur le territoire sacré. Il y avait les trois autorisations et il respira, soulagé. Syméon avait bien travaillé. La solennité des caractères byzantins, le sceau avec l’aigle à deux têtes le rassurèrent. Plus que l’effigie de la Vierge, au centre du document. Celle-ci flottait, voilée de bleu, sur un nuage au-dessus d’une montagne verte baignée d’écume figurant symboliquement le mont Athos. C’était elle la patronne, ici, et de manière si absolue qu’on appelait l’en- droit « Le Jardin de la Mère de Dieu ». Elle n’y acceptait aucune autre représentante de son sexe, si tant est qu’on puisse parler de sexe à propos de la Vierge. Tolérerait- elle Mina et Irène? On la disait jalouse. Il ne rit pas de cette superstition. La singularité du lieu le contaminait.

Sur le port, les policiers avaient ouvert les barrières et les camions s’ébranlaient, chargés de caisses, vers le ventre du car-ferry qui assurait la liaison vers l’Athos. Les moines et les civils suivaient à pied. Ouvriers, étudiants, repris de justice... Une faune composite aux identités vagues : sur la Sainte Montagne, tout le monde avait la possibilité de se réinventer. Pouvait-il y avoir parmi eux des hommes de Papa, qui les auraient suivis depuis Paris ? Et si on l’arrêtait, là, si près du but? Sacha baissa encore un peu la visière de sa casquette et s’en voulut de s’inquiéter, avant de se souvenir d’une autre chanson. Celle-là, ce n’est pas son père mais lui, Sacha, qui l’écoutait autrefois : « Just because you’re paranoid / Don’t mean they’re not after you. » « Ce n’est pas parce que vous êtes paranoïaques qu’ils ne sont pas sur vos traces. » Trois ans après, le chanteur s’était tiré une balle dans la tête. »

Copyright Christophe Ono-Dit-Biot : « Trouver refuge » ( Gallimard) 416 pages/20 euros - Selectionné Goncourt (Toutes librairies et «  La Boutique »)


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