Choquer pour faire bouger les choses sur le réchauffement climatique ? Voilà pourquoi la stratégie assumée par Sandrine Rousseau ne fonctionne pas<!-- --> | Atlantico.fr
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Sandrine Rousseau lors d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale.
Sandrine Rousseau lors d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Effets contre-productifs

Le catastrophisme prôné par Sandrine Rousseau et d'autres personnalités politiques en matière d'environnement peut avoir des conséquences assez néfastes et contre-productives auprès des citoyens, au regard d'études menées par des universitaires.

François Gemenne

François Gemenne

François Gemenne est chercheur en sciences politiques, au sein du programme politique de la Terre. Il est enseignant à l'université de Versailles-Saint Quentin, et à Sciences Po Paris.

Spécialiste du climat et des migrations.

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Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Atlantico : Alors que la canicule fait rage dans le sud de l'Europe, Sandrine Rousseau a déclaré sur les réseaux sociaux qu'il "fait 60 degrés en Espagne". Les discours de peur sur le changement climatique sont omniprésents. Ne s’avèrent-ils pas contre-productifs ? Pourquoi la stratégie assumée de provocation par Sandrine Rousseau ne fonctionne pas et en quoi se trompe-t-elle ? Des universitaires, des psychologues et des experts en communication ont démontré que la peur peut également conduire au désengagement, à la « fatigue du changement climatique » et à une opposition active aux politiques sur le changement climatique. Quelle serait la juste attitude à adopter ?

François Gemenne : Aujourd’hui, le principal problème est que les alertes qui sont données sont redondantes par rapport à l’expérience que font les citoyens. La France va traverser à partir de mardi une vague de chaleur importante. 7 Français sur 10, selon le dernier sondage Odoxa pour la FNH (Fondation pour la Nature et l’Homme), disent déjà ressentir dans leur quotidien les effets du changement climatique. Tous ceux qui aujourd’hui lancent l’alerte sont perçus comme des gens qui énoncent une évidence que les gens ressentent déjà.

Cela peut même devenir un peu énervant. Ces signaux d’alerte sont généralement émis sans solutions à la clé. Cela peut avoir un effet désengageant. C’est comme si vous étiez dans une maison en feu et que quelqu’un tournait autour de vous en criant au feu mais sans attraper l’extincteur ou la lance à incendie.

Aujourd’hui, alors que les effets du changement climatique sont manifestes, ces stratégies sont assez contre-productives. Elles créent une forme d’agacement et de lassitude. Cela laisse à penser qu’il n’y a pas de solutions. Ces analyses et ces raisonnements peuvent donc conduire à une forme de paralysie.

Lorsque les sondeurs interrogent les Français sur ce qu’ils ressentent par rapport au changement climatique, le sentiment d’impuissance prédomine. 52 % des Français se disent impuissants face au réchauffement climatique.

Afin d’intéresser les gens et de convaincre les citoyens d’agir, il est vital d’apporter un discours de solutions. Il est important de dire concrètement ce que les citoyens peuvent faire individuellement mais aussi collectivement. La question de l’action collective est déterminante. Il convient de s’interroger sur le plan collectif sur la manière et les moyens qui pourraient par exemple nous permettre de sortir de manière viable et réfléchie des énergies fossiles.

Drieu Godefridi : La stratégie de Sandrine Rousseau est remarquablement efficace. Sandrine Rousseau est une petite personne médiocre, sans réalisation particulière à son actif, d’intelligence limitée si l’on en juge par ses participations à des débats contradictoires, farouchement haineuse, à l’élocution approximative, entre bovarysme et hystérie freudienne, peu populaire même au sein des électeurs et mandataires souvent extrémistes de EELV. Ce nonobstant, sa stratégie du coup médiatique permanent offre à Mme Rousseau une couverture très supérieure à l'ensemble des autres mandataires EELV réunis, l’instituant en l’une des personnalités médiatiques les mieux couronnées de succès, en France. Tout cela sur la foi d’un discours qui, d’un strict point de vue rationnel, se distingue par sa complète inanité, que ce soit sur le climat, les questions de genre ou de société. Quant à sa personne, la stratégie Rousseau est un épatant succès. Quant à ses idées, bien sûr, c’est autre chose.

Comment expliquer le fait que ce récit apocalyptique soit devenu la norme dans les discours ou les textes officiels ?

François Gemenne : Ces prises de position s’appuient en général sur les travaux du GIEC. Les rapports du GIEC sont basés sur un travail de modélisation sur la base de scénarios. Les gens ont tendance à retenir le scénario du pire comme étant le scénario le plus probable, voire comme un scénario inéluctable.

Il est en réalité très important de lire les rapports du GIEC plutôt comme une aide à la décision afin de lutter contre le réchauffement climatique. Dans la manière dont les travaux du GIEC sont utilisés, il est frappant de constater que beaucoup d’experts ou de personnalités politiques ont recours au « cherry picking ». Ils vont aller choisir les pires scénarios envisageables pour parfois conforter leur discours qui est parfois un discours politique ou idéologique.

Il est donc très important de lire les rapports du GIEC comme une sorte de manuel pratique pour nous pousser à agir et non pas comme un grimoire prévisionniste.

Quelles sont les principales conséquences de ce type de discours auprès des citoyens au niveau de la polarisation, de la colère, de l’éco anxiété et d'autres impacts ? Que nous révèlent les travaux des universitaires dans ce domaine sur l’impact de ces discours ?

Drieu Godefridi :Le vrai problème de la constante logorrhée médiatique de Sandrine Rousseau réside dans ses appels répétés à la violence politique, immédiate et directe. La circonstance qu’on tienne Mme Rousseau pour une sorte de clown lui vaut une complète impunité. Nous devons nous souvenir que ces discours de haine ont des conséquences. En 2003, Pim Fortuyn qui s’apprêtait à remporter les élections néerlandaises, était abattu par un écologiste d’extrême gauche; Pim Fortuyn était constamment vilifié par la presse de gauche et d’extrême gauche. Lors de sa première campagne électorale, le candidat Bolsonaro était lardé de coups de couteaux par un extrémiste de gauche qui ne partageait pas ses idées. Les appels à la haine et la violence de Mme Rousseau sont en fraude du droit. Que dira-t-on si, demain, comme cela paraît de plus en plus probable, des esprits faibles inspirés par le clown Rousseau et d'autres passent à l’acte ? ‘Dans les lettres, le talent aussi est un titre de responsabilité’: Charles de Gaulle, refusant de commuer la condamnation à mort de Brasillach. L’absence de talent, quand il se conjugue à une puissante force de frappe médiatique, n’est pas une excuse.

Le catastrophisme n’est-il pas autant un obstacle à la lutte contre le changement climatique que le déni du réchauffement ?

François Gemenne : Le catastrophisme peut être un obstacle car il peut engendrer une certaine forme de défaitisme. Il y a une tendance qui est difficile à traduire, le « climate doomism » (le fait de considérer que nous sommes un peu maudits),  un catastrophisme résigné.

Cette résignation, ce défaitisme est encore plus pernicieux et dangereux que le climato-scepticisme (qui peut être contré avec des arguments scientifiques et rationnels).

Le plus vibrant démenti au climato-scepticisme est la réalité des impacts du changement climatique.

En revanche, la question du défaitisme concerne un discours politique qui est plus difficile à contrer avec des arguments scientifiques, car vous vous placez sur un registre politique.

Est-ce que la manière de communiquer dans les accords internationaux sur la science du climat est défaillante à l’échelle internationale et des organisations internationales ? Ne faudrait-il pas déployer une autre approche pour mieux communiquer et alerter sur le réchauffement climatique sans passer par un discours alarmiste et par la peur ou la décroissance ?

François Gemenne : Le problème dans les accords internationaux ou dans les politiques publiques en général, c’est qu’ils sont toujours réalisés en matière climatique avec l’idée d’éviter un risque catastrophique.

De ce fait, non seulement les gens pensent que nous courrons droit vers ce risque parce que le problème est que la plupart des accords internationaux des politiques publiques pour lutter contre le réchauffement climatique restent assez mal appliqués, voire pas du tout.

L’action climatique apparaît comme une sorte de contrainte qui nous tombe dessus. Il s’agit donc d’éviter quelque chose. Mais il ne s’agit pas de construire quelque chose.

Nous avons une vision assez nette du monde vers lequel nous ne voudrions pas aller mais par contre, nous n’avons pas encore de visions très claires du monde vers lequel nous voudrions aller.

De ce fait, l’action climatique apparaît comme une contrainte. Nous cherchons à éviter un drame ou une catastrophe et à travers une liste d’efforts à fournir, de sacrifices auxquels consentir. Comme nous n’avons pas de vision du monde vers lequel nous voudrions aller, pour un monde décarboné par exemple et quels en seraient les intérêts ? Nous n’avons pas de vision sur ces enjeux-là.

Nous avons donc du mal à faire de l’action climatique un projet. Elle est plutôt vue comme une contrainte. Or l’être humain a tendance à en faire le moins possible et à éviter les contraintes.

Drieu Godefridi :Le mouvement international pour le climat, qui naît en 1992 à Rio, est un échec, total. Depuis 1992, les émissions de gaz à effet de serre n’ont cessé d’augmenter (pour ne rien dire du stock accumulé : Gerondeau, Furfari). Il est désormais notoire que l’objectif de l’accord de Paris (1.5°) ne sera pas atteint; l’accord de Paris est donc périmé. La Chine continue à ouvrir des centrales au charbon chaque semaine, et le monde au-delà de l’Occident n’a aucunement l’intention de renoncer à la poursuite, gourmande en carbone, de son développement. En dépit de milliers de milliards investis (vent, soleil, décarbonation), le mouvement international 'pour le climat' est donc un échec pathétique. Risible, en réalité, au vu de l’énormité des sommes investies et de résultats qui sont à l’opposé de ceux qui étaient recherchés. Est-ce grave? Non, si l’on en croit le GIEC, qui explique que les conséquences économiques d’un réchauffement même significatif, seraient minimes, à peine mesurables à l’échelle du siècle ('Key economic sectors and services'. In: Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part A: Global and Sectoral Aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, 2014, pp. 659-708). Nous devons et devrons nous adapter aux évolutions climatiques, calmement, en cessant d’accorder du crédit aux discours millénaristes de nos Philippulus à voix stridente, qui ont échoué comme des méduses sur une plage d’été.

Ce discours apocalyptique et alarmiste n’est-il pas contre-productif ? Ne risque-t-il pas de nuire au combat noble contre le réchauffement climatique ? Ne faut-il pas appeler les acteurs des droits de l'homme à prendre conscience de leur propre pouvoir rhétorique et en particulier à s'attaquer aux effets néfastes potentiels des discours de peur ?

François Gemenne : Certaines personnalités qui agitent ces discours de peur cherchent à attirer l’attention sur eux-mêmes bien davantage que sur le changement climatique.

Malheureusement à l’ère des réseaux sociaux et de la désinformation, il s’agit d’une stratégie qui s’avère payante (en termes de nombre de followers, d’exposition médiatique). Certains ont très bien compris comment le système fonctionnait.

De ce fait, il y a une tendance à exagérer sur la réalité du réchauffement climatique alors que la situation est suffisamment grave sans qu’il n’y ait besoin d’en rajouter. Il ne faut pas minorer la gravité de la situation mais il faut aussi souligner à quel point nous avons toutes les connaissances, les ressources ou les technologies qui nous permettent d’y répondre afin d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

Le message du dernier rapport du GIEC est assez optimiste. Ce rapport confirme que nous avons absolument tout entre nos mains et tout  ce dont nous avons besoin à notre disposition.  

Les droits de l'homme peuvent-ils faire pencher la balance sur la question du changement climatique avec la montée en puissance de la jurisprudence liée au changement climatique devant les tribunaux ? La manière dont les droits de l'homme abordent la question du changement climatique est-elle en cause ?

François Gemenne : Il y a quelque chose d’intéressant sur la question du lien entre le climat et les droits de l’homme.  Le changement climatique que nous avons engagé est une forme de persécution à l’égard des plus vulnérables. La volonté de faire valoir les droits de ces populations peut être un instrument qui peut être utilement mobilisé dans le droit.

La difficulté est que beaucoup des préceptes du droit de l’environnement sont peu ou mal appliqués. Il y aurait davantage de choses à faire pour lier les droits de l’homme aux droits de l’environnement.

Il y a un représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU sur le changement climatique au sein du Conseil des droits de l’homme.

Je suis plus circonspect sur l’introduction de concepts nouveaux comme les droits de la nature ou les écocides.

Il faut réaliser qu’aujourd’hui, les atteintes à l’environnement constituent souvent une atteinte aux droits de l’homme. Cela peut-être parfois un instrument utile même s’il ne faut pas fantasmer sur les capacités du droit international.

Aujourd’hui, les Etats appliquent le droit international quand cela les arrange uniquement.  

Quelle pourrait être la méthode pour résoudre ces problèmes et pour convaincre par rapport au discours alarmiste sur le dérèglement climatique et pour préserver l’environnement ?

François Gemenne : Il faut montrer en quoi la lutte contre le réchauffement climatique peut être un véritable projet et comment un monde décarboné serait un monde auquel nous aspirons et pas un monde que nous subirions et qui serait synonyme de privations et de renoncements. La clé réside ici. Cela implique que cela puisse se traduire et se matérialiser via des projets concerts.

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