Chistian Gollier : "Une semaine de retard dans la vaccination contre le Covid-19, c’est 2.500 morts et 8 milliards d’euros de pertes supplémentaires"<!-- --> | Atlantico.fr
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Chaque jour de retard dans la vaccination a des conséquences désastreuses, calcule Christian Gollier.
Chaque jour de retard dans la vaccination a des conséquences désastreuses, calcule Christian Gollier.
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Dommages collatéraux

L'économiste Christian Gollier, directeur général de la Toulouse School of Economics, a publié un modèle visant à quantifier le coût humain et économique des couacs de la politique vaccinale.

Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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Atlantico : Vous avez publié ce vendredi une étude intitulée « The welfare cost of vaccine misallocation, delays and nationalism » (« Le coût pour la santé de la mauvaise répartition des vaccins, des retards et du nationalisme »). Elle cherche à quantifier le coût humain et économique des couacs de la politique vaccinale. Quel est votre méthodologie pour déterminer cela et quels sont vos conclusions ? 

Christian Gollier : Si les épidémiologistes ont toute la légitimité pour répondre aux questions sanitaires actuelles, il y a tout un pan économique à étudier également. La crise sanitaire se double d’une crise économique. Notre modèle estime la dynamique de la pandémie et l’impact des politiques sanitaires qui sont mises en place pour limiter les conséquences en vies perdues tout en tenant compte des conséquences économiques de la distanciation et du confinement. On utilise un modèle en vogue chez les économistes qu’on appelle S.I.R en y intégrant un module économique et en testant différentes politiques sanitaires : la vaccination de telle ou telle catégorie de citoyens, le confinement, etc. Il s’agit ensuite de regarder l’impact sur la pandémie, sur le nombre de morts et de points de PIB perdus. La question est ensuite de savoir comment mener une politique optimale. Le contexte est abrasif car quand le politique prend des mesures trop fortes on dénonce le coût économique et lorsque ce n’est pas assez fort, on souligne les conséquences sanitaires. En décembre, il y a eu deux nouvelles contradictoires, l’arrivée du vaccin et l’émergence du variant britannique qui est 50 à 70 % plus contagieux et possiblement plus mortel selon les dernières données anglaises.

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Donc pour cette étude, j’ai repris des modèles que j’avais utilisé à l’automne dernier pour y intégrer un module vaccinal. Cela permet de déterminer les conséquences de variations dans la vitesse d’attribution de ce vaccin ou dans la stratégie d’allocation de ce dernier aux différentes catégories de la population. Je cherchais à déterminer à partir de quels moments les coûts économiques se réduisent. Bien sur si l’on pouvait vacciner tout le monde immédiatement cela serait idéal, mais ce n’est pas le cas. Donc je montre que dès que l’on aura vacciné les 15 à 20 % de personnes les plus vulnérables, les hôpitaux vont se désengorger car ce sont majoritairement elles qui occupent les lits d’hôpitaux et de réanimation. Or, en France, nous sommes dans une stratégie de Stop and go qui prend pour indicateur le nombre de réanimations. Et une personne vaccinée ne développe plus de formes graves de la maladie. Ainsi, même si le virus continue à circuler dans des populations adultes, on va pouvoir se libérer fortement du confinement. On aurait pu gagner la course contre le virus s’il n’y avait pas le variant anglais et si Pfizer et AstraZeneca avaient honoré leurs commandes.

A combien peut-on estimer le coût des erreurs de la campagne vaccinale française actuellement ?

A 200.000 doses par jour, qui est le rythme actuel, on élimine environ trois quarts de l’effet de la pandémie sur le bien-être collectif, si l’on compare avec le scénario de vaccination totale et celui de vaccination nulle. Sans vaccin, on aurait dû confiner au moins autant qu’au mois de mars dernier et on aurait eu un nombre de morts considérablement plus élevé qu’à l’époque en raison du variant. Cela doit donc faire relativiser la comparaison avec les autres pays. Néanmoins, le modèle de l’étude montre le nombre de morts et le nombres de milliards perdus selon la semaine de début de vaccination. Une semaine de délai, c’est 2.500 morts et 8 milliards d’euros de pertes supplémentaires.

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La semaine dernière, on a suspendu AstraZeneca, qui représentait la moitié des doses distribuées, pendant une demi-semaine. Il faut donc diviser par quatre le chiffre que j’évoquais. Soit environ 600 morts et 2 milliards d’euros de pertes supplémentaires à la fin de la pandémie.

Votre modèle permet-il de dessiner des scénarios optimistes et pessimistes pour l’avenir selon la gestion de la politique vaccinale dans les semaines qui viennent ?

On ne connaît pas avec exactitude la valeur d'un certain nombre de paramètres qui gouvernent la pandémie. Il pourrait y avoir un nouveau variant plus dangereux ou plus transmissible. Tous les modèles des épidémiologistes, le mien y compris, sont basés sur des hypothèses construites sur les données disponibles. On n'est pas à l'abri de bonne ou de mauvaise surprise.

Par exemple, dans mon modèle il y a une incertitude, non pas naturelle, mais de nature politique. Est-ce qu'on va pouvoir offrir un passeport vaccinal aux gens qui sont vaccinés pour relancer l'économie de la culture et de la restauration ? Ou est-ce qu'on va continuer à dire aux vaccinés de continuer à se confiner comme les autres par solidarité ? Ce sera un sujet politique dans les mois à venir. Moi je fais l'hypothèse que le confinement s'applique uniformément à tout le monde. Si ce n'est pas le cas, la perte économique que j'estime dans mon modèle sera plus faible.

Vous évoquez aussi la question des externalités liées au mouvement anti-vaccin ?

Les personnes vaccinées vont exercer une externalité positive sur les anti-vaccins en les protégeant d'une possible infection et les anti-vaccins vont exercer une externalité négative sur les autres car ils peuvent contaminer quelqu'un qui n'a pas encore eu le temps de se vacciner.

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Je fais l'hypothèse qu'il y a 30 % de Français qui ne vont pas vouloir se faire vacciner. Par rapport à l'hypothèse où 100% de la population se vaccine à une vitesse de 200 000 doses par jour, la présence de ces 30% d'anti-vaccins implique 64 000 morts supplémentaires parmi les anti-vaccins et 5 000 personnes de plus de 65 ans pro-vaccins n'ayant pas eu le temps d'être vaccinées. Ceci-dit, la présence de 30 % d'anti-vaccins dans la population est une bonne nouvelle pour les jeunes car dans la procédure d'allocation des vaccins ça leur permettra de se faire vacciner plus tôt. Cela pourrait donc permettre de "sauver" 5 000 jeunes grâce à un accès plus rapide à la vaccination. Ce sont donc essentiellement les anti-vaccins qui vont en pâtir.

Vous faites également l'hypothèse d'une vaccination prioritaire pour les enseignants.

C'est l'un des débats actuels. Cela serait compréhensible d'un point de vue éthique car ils sont très exposés au virus au quotidien. Mais toute solution dans laquelle on priorise d'autres gens que les personnes vulnérables aura un coût économique et humain supplémentaire. Dans mon modèle, je substitue une stratégie de priorité aux personnes vulnérables à un tirage au sort déterminant qui serait vacciné. Dans ce cas, j'estime 56 000 morts supplémentaires. C'est donc important de donner le vaccin en priorité aux personnes susceptibles d'être hospitalisées ou de mourir de ce virus.

Et que dire du nationalisme vaccinal ?

Cela fait augmenter le nombre total de morts la pandémie de 20% selon mes estimations. Les Etats qui disposent d'une capacité de production ont un avantage énorme de pouvoir réserver le vaccin pour leurs citoyens en priorité, les coûts économiques sont beaucoup plus faibles. C'est difficile de croire que les Etats vont généreusement laisser les vaccins produits chez eux aux autres. Mais il faut avoir en tête que vacciner un jeune anglais avant un vieux allemand fait augmenter le nombre de morts in fine.

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