Chine ou Occident : qui régnera sur le marché de l’automobile du futur ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des voitures BYD lors du 19e Salon international de l'industrie automobile de Shanghai, le 19 avril 2021.
Des voitures BYD lors du 19e Salon international de l'industrie automobile de Shanghai, le 19 avril 2021.
©Hector RETAMAL / AFP

BYD vs Tesla

BYD a vendu 641.000 voitures électriques et hybrides rechargeables au premier semestre 2022. Le constructeur chinois a multiplié ses ventes par 4 par rapport à l'an dernier. Tesla est donc battu par un groupe qui réalise la quasi-totalité de ses ventes en Chine. Le groupe d'Elon Musk a écoulé 561.000 véhicules sur la même période.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : BYD, le groupe automobile chinois soutenu par Berkshire Hathaway de Warren Buffett, a détrôné Tesla d'Elon Musk en tant que plus grand producteur mondial de véhicules électriques en termes de ventes. Est-ce le signe d’une future domination chinoise sur le secteur ?

Jean-Pierre Corniou : Tesla voit sa couronne de leader mondial du véhicule électrique contestée par le constructeur chinois, peu connu du grand public, BYD. Les chiffres du premier semestre 2022 montrent un tassement de Tesla avec la vente de 561 000 véhicules et la percée fulgurante de BYD qui a vendu 641 000 véhicules NEV, ce qui inclut toutefois 314 000 hybrides rechargeables. Même si l’intégration des électriques pures et des hybrides rechargeables, qui est la pratique courante en Chine, permet à BYD d’annoncer des chiffres spectaculaires, cette situation, sur le fond, ne doit pas surprendre.

Dans ce marché concurrentiel des véhicules électriques, Tesla a joui pendant une décennie de l’absence de concurrents compétitifs en termes de gamme et d’image. En effet, se positionnant sur le haut de gamme avec des véhicules au design clivant et aux performances sportives, Tesla a rallié une communauté de clients enthousiastes qui ont pardonné à la marque ses insuffisances, notamment en finition, mais aussi ses retards et les ambiguïtés de son Autopilot, souvent mis en défaut par les utilisateurs. Cette place privilégiée lui est désormais contestée à la fois par les constructeurs premium et généralistes qui proposent des gammes de véhicules performants mais aussi par des constructeurs qui ont précisément ciblé le haut de gamme de Tesla et parviennent, comme l’américain Lucid Air ou  le chinois NIO, à faire aussi bien. Mais si tous les constructeurs automobiles mondiaux se sont engagés dans le monde du véhicule électrique, leur montée en puissance est progressive, Tesla conservant le leadership avec le succès du Model 3 et de son équivalent, SUV, le Model Y au cours de l’année 2021 où la marque a produit 930 000 véhicules. BYD en 2021 a livré 320 000 véhicules. Mi-2022, BYD a réussi une performance exceptionnelle de 300% de croissance par rapport au premier semestre 2021 alors que Tesla a souffert de la crise des composants et de difficultés propres au marché chinois, notamment dans la région de Shanghai où le confinement a été imposé pendant deux mois. Toutefois, si on ne comptabilise que les voitures entièrement électriques, Tesla garde encore son leadership mais voit les concurrents se rapprocher.

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Quelles pourraient être les conséquences d’une domination chinoise sur le secteur de l’automobile ? Ces véhicules, encore rares en Europe, pourraient-ils faire une percée sur le vieux continent au détriment des constructeurs historiques ? 

On ne peut analyser la place actuelle des grand groupes automobiles chinois, largement inconnus du public occidental, sans comprendre l’essor de l’automobile en Chine au cours des vingt dernières années. La Chine, qui ne connaissait pas l’automobile avant 1980, a conquis une place essentielle dans l’industrie automobile mondiale qu’il n’est plus possible de négliger. La Chine est le premier marché automobile mondial depuis une décennie et a représenté, en 2021, 38% du marché mondial. Elle dispose du parc le plus récent. Elle s’appuie sur une industrie électronique et logicielle de premier plan, maîtrise tous les composants de l’électromobilité, notamment toute la chaîne de production de batteries et a décidé d’être le leader du monde automobile du XXIe siècle comme l’Europe, puis les États-Unis le furent au XXe.

La pandémie de 2020 n’a pas cassé la dynamique du marché chinois de la voiture électrique mais obligé les entreprises chinoises, euphoriques en 2019, à se professionnaliser.  2022 est une année de relance qui permettra aux leaders du marché de consolider leurs positions sur un marché prévu en forte croissance pour atteindre 5 millions de véhicules. Le plan 2021-2035 accélère la décarbonation des flottes de nouveaux véhicules, dont 20% devront être NEV ( New Energy vehicule, c’est-à-dire hybrides, électriques à batteries ou hydrogène) en 2025, et mise sur la généralisation des véhicules connectés et inter-opérants pour rendre la route sûre et efficiente. Le plan insiste aussi sur la visibilité et la réputation des marques chinoises, préalable à toute stratégie de conquête des marchés internationaux. En 2021, les constructeurs chinois ont capté, sous leurs marques, 45% du marché et deux millions de véhicules ont été exportés, dont 310 000 NEV. Mais les véhicules électriques exportés le sont sous des marques déjà connues comme Volvo, qui appartient à Geely, ou l’ex-britannique MG, acquise par le groupe SAIC, dont l’origine européenne historique facilite le marketing,  ou, pour moitié, sont des Tesla fabriquées à Shanghai. Il faut noter que la petite voiture électrique du groupe Renault, la Dacia Spring, est fabriquée en Chine par le groupe Dong-Feng.

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Si les exportations ne représentent qu’une faible part de l’activité de l’industrie automobile chinoise, elles sont clairement l’objectif du gouvernement qui veut faire de l’électrification le fer de lance de son activité mondiale. Il y a une cinquantaine d’entreprises qui produisent en Chine des véhicules électriques compétitifs. Pour le moment, leur focalisation sur le marché chinois, et leur dispersion en taille, ne leur ont pas permis d’exporter. Mais leur compétitivité leur permettra. La maîtrise des batteries est une des forces de l’industrie chinoise, le leader, CATL, équipe 52% du marché chinois. BYD a réalisé de belles percées sur le marché américain avec ses autobus et dispose d’une usine en Hongrie. Fort de cette présence, BYD va s’orienter sur les marchés d’exportation avec une large gamme de véhicules.

Comment expliquer que la Chine, dont la production automobile était quasi-inexistante il y a une vingtaine d’années, produise désormais une voiture sur trois dans le monde ?

Parce qu’elle n’est pas visible dans nos rues européennes, l’automobile chinoise est une abstraction pour le grand public. Mais quand on suit attentivement la progression régulière sur leur marché domestique des constructeurs chinois, on mesure à quel point l’industrie automobile chinoise peut devenir une menace réelle pour les constructeurs automobiles des grands pays producteurs que sont les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. Adeptes du jeu de go, les Chinois sont des stratèges aussi implacables que patients. Si leur progression a été spectaculaire dans la plupart des créneaux de l’industrie, d’abord comme producteurs, puis comme concepteurs, ils font preuve dans l’industrie automobile d’une grande prudence. Ils ont en effet mesuré avec leurs partenaires étrangers que l’industrie automobile est une industrie exigeante. Industrie de volume, elle exige une maîtrise parfaite de toute la chaîne de valeur. Et pour devenir leader, ils se donnent le temps et les moyens d’apprendre.

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L’exemple de BYD est une démonstration de la puissance de l’industrie chinoise qui applique à l’automobile les méthodes employées dans tous les secteurs industriels. BYD est une entreprise récente qui n’a été créée à Shenzhen qu’en 1995 pour produire des batteries  pour appareils électroniques. Sa filiale BYD Auto a été créée en 2003, la même année que Tesla. BYD signifie Build Your Dreams. Initialement constructeur généraliste, BYD a cessé toute fabrication de véhicule thermique en mars 2022. En 2022, l’entreprise dispose de trente installations industrielles dans le monde. C’est une entreprise pensée pour devenir un pôle global d’innovation dans les secteurs de la mobilité et de l’innovation. BYD a mis en place six instituts de recherche qui couvrent l’innovation dans les secteurs de la mobilité, automobile, camions, bus, mais aussi dans les technologies traversantes comme les matériaux, l’engineering, les technologies et l’environnement. BYD a lancé un modèle de train monorail urbain, suspendu, déjà en service en Chine et en cours de développement sur 380 km de projets différents, en Chine et à Sao Paulo. BYD a été une des premières entreprises automobiles à imaginer un projet industriel entièrement fondé sur une stratégie zéro émission. Elle partage d’ailleurs avec Tesla cette vision.

Mais la force initiale de BYD réside dans son expérience en matière de batteries. BYD est le second producteur mondial de batteries pour véhicules derrière le leader, le chinois CATL. BYD vient de ravir cette seconde place au coréeen LG Chemicals.  Les batteries de BYD sont utilisées dans 40 modèles de véhicules de toutes natures, BYD ayant notamment développé une expertise  spécifique sur le marché des autobus électriques dont elle est second producteur mondial, derrière son concurrent chinois Yutong, et des véhicules spéciaux notamment le ramassage des ordures. 99% de la flotte mondiale de bus électrique circule en Chine, soit 420 000 véhicules.

La comparaison avec Tesla est intéressante. Tesla se positionne comme le leader de l’innovation dans le véhicule électrique et s’est doté de moyens industriels et d’une compétence en moteurs et batteries électriques qui lui a permis de dominer le marché pendant dix ans. Malgré le choix initial de véhicules puissants et emblématiques, comme les modèles S et X, Tesla souhaite la démocratisation de la voiture électrique et a réussi brillamment son pari grâce au Model 3 qui représente aujourd’hui 80% de ses ventes. Mais la concurrence s’est organisée et plus de 150 modèles électriques à batteries ou hybrides rechargeables sont aujourd’hui proposés sur les marchés. La compétitivité chinoise, mais aussi les règles vigoureuses de préférence nationale imposées en Chine aux industriels étrangers, a conduit Tesla, qui est déjà client en Chine de CATL,  malgré ses compétences en matière de batteries, et ses investissements en gigafactories, à passer à BYD une commande de batteries lithium-phosphate en 2022 pour équiper 204 000 véhicules .

La Chine pourrait-elle également dominer le marché des véhicules à moteur thermique dans un futur plus ou moins proche ?

La Chine a fait de la maîtrise de l’automobile sa priorité. Après avoir rattrapé son retard dans l’industrie conventionnelle des moteurs thermiques grâce aux joint-ventures construites avec les firmes occidentales et japonaises, ses entreprises étant moins compétentes en moteurs thermiques que leurs concurrents, l’industrie chinoise s’est orientée délibérément vers les véhicules électriques dont elle a appris à maîtriser tous les composants.  Représentant, en 2000, 1% de la production mondiale, l’industrie chinoise en a réalisé 28,4%, avec 26 millions de véhicules vendus en 2019, dernière année pré-COVID, Elle dispose désormais des moyens de production modernes, de l’écosystème de fournisseurs et d’une capacité nouvelle à produire des véhicules de qualité identique aux autres pays producteurs, ceci avec des coûts inférieurs de 30% en moyenne. Les constructeurs chinois s’appuient pour progresser sur les performances de leurs firmes électroniques et sur leurs capacités à produire des logiciels performants. La Chine aujourd’hui fait jeu égal dans ce domaine avec les États-Unis grâce à des acteurs comme Huawei, Alibaba, Baidu, Tencent. La Chine a considérablement investi aussi bien en communication qu’en traitement des données et intelligence artificielle pour atteindre en peu le temps le meilleur niveau international.

Forte de cette capacité en véhicules connectés et électriques, la Chine met ses ambitions sur l’objectif de devenir leader mondial des véhicules électriques, connectés et autonomes et ne prendra pas part à la compétition dans les moteurs thermiques qui sont en fin de croissance.

Jean-Pierre Corniou a publié "Et la voiture du XXIe siècle sera... chinoise" aux éditions Marie B

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