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Le charme irrésistible du manifestant
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L’amour rend aveugle

Le magazine Time y a succombé en faisant de lui "l’homme de l’année". Mais ce personnage fictif et fabriqué a le nez de Pinocchio.

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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Le chanteur chante. Le marcheur marche. Le danseur danse. Le coureur court. Le peintre peint. Et le manifestant manifeste. Comme dirait Monsieur de la Palisse, « c’est ainsi ». Mais au-delà de cet irréfutable constat qui a soulevé d’enthousiasme l’hebdomadaire américain Time, il n’est pas interdit de se poser quelques questions…

Qui chante ? Et que chante-t-il ? Qui marche ? Et vers où marche-t-il ? Qui vend ? Et que vend-t-il ? Qui manifeste ? Et pour quoi (contre quoi) manifeste-t-il ? C’est pourquoi « le manifestant » me paraît une pure et creuse abstraction. Fabriquée avec des bouts de réel, assemblée à la hâte pour former un personnage hybride qui, s’il n’est pas un monstre, est, à coup sûr, un pantin aussi sincère que Pinocchio. Un chouïa de manifestants arabes, un zeste d’Indignés, une goutte de paysans mexicains, etc.

Est-ce que ça, fait un bon mélange ? Aucune importance : l’essentiel est que ça se mélange. Car les journaux, même de la qualité de Time, sont toujours à la recherche de ce qui est « in ». Et, au besoin, comme dans les prophéties auto-réalisatrices, ils s’emploient à le créer. Or, quoi de plus tendance, de plus mode, que le manifestant qui manifeste, qui proteste, qui conteste.

Ce sont, bien sûr, les révoltés des pays arabes qui ont donné le "la". Ils ont renversé des dictateurs : formidable ! Il y avait parmi eux quelques démocrates, mais beaucoup de fondamentalistes musulmans. Ah bon ? Ne gâchons pas la fête avec ce genre de détails. Mais a-t-on encore le droit de ne pas aimer les dictateurs et de ne pas brûler d’amour pour ceux qui leur succèdent ? En 1979, le Shah d’Iran fut obligé de fuir. C’était incontestablement un dictateur et on torturait allègrement dans ses prisons. Il fut remplacé par un vieillard fanatique et sanglant du nom de Khomeiny…

"Le manifestant" donc ne rend en rien compte de la complexité des manifestants. Comment peut-on, sans insulter ceux qui tombent par milliers sous les balles de Bachar el-Assad, les mettre dans la même mixture artificielle que les Indignés ? Les Indignés ne renversent rien, sauf quelques poubelles. Les Indignés s’assoient sur les marches de l’Opéra Bastille et crient qu’ils ont pris la Bastille. Les Indignés étaient quelques centaines à Paris, et on en a parlé comme s’ils étaient des millions. Quand même, rétorquera-t-on, ils étaient des dizaines de milliers en Espagne. Certes. Mais qui a triomphalement remporté les élections espagnoles ? La droite !

Les "Occupy Wall Street", encensés eux aussi par un grand nombre de journaux américains, font partie du bonhomme de papier confectionné par Time. Quelques centaines d’individus au demeurant sympathiques, car quelqu’un qui n’aime pas les riches ne peut être complètement mauvais. Quelques tentes… quelques tours et puis s’en vont… Wall Street est toujours là.  Et on a parlé, parlé d’eux, parlé d’eux à n’en plus finir ! Est-ce que cela fait vendre les journaux ? Ce n’est pas prouvé. Mais les raisons de cet emballement médiatique sont plus profondes et surtout plus pathétiques.

La presse écrite généraliste, agonise et vit sans doute ses dernières années. Comme tout être vivant, elle ne peut, ni ne veut, se résigner à cette fatalité. Alors elle cherche, frénétiquement, passionnément, du neuf, du jeune, du toujours plus jeune, du plus dans le vent. " Le manifestant" est une composante essentielle de cet élixir de jouvence.

Il serait injuste, ici et maintenant, de ne pas parler du seul manifestant qui a compté dans l’histoire contemporaine. Pas l’homme de l’année, mais l’homme du siècle ! Sur une photo célèbre, on voit un petit homme, les bras écartés, comme pour barrer le passage à la colonne de chars qui s’avance sur lui. Cela s’est passé place Tian an men à Pékin en 1989. Le manifestant inconnu annonce la fin du communisme.

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