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Ceux qui se mobilisent, ceux qui inspirent les réformes… et les autres : mais qui pèse le plus sur les décisions politiques en France ?
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Ampleur et effets de la mobilisation

La journée de mobilisation du 9 janvier est conçue comme un test sur la marge de manoeuvre du gouvernement et sur l'influence de l'opposition et des syndicats. Cela pourrait démontrer que certaines catégories de la population peuvent peser plus que leur poids relatifs dans les élections.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : L'ampleur de la contestation face à la réforme des retraites déterminera l'éventuel recul du gouvernement ou non. Mais qui agit vraiment ?

Si, dans ce cas précis, les syndicats semblent avoir une grande influence, de manière plus globale, est-ce le cas ?

Christophe Boutin : Les syndicats sont-ils à la manœuvre politique dans la France de 2020, et jouent-ils un rôle majeur dans les choix politiques qui sont faits ? On pourrait le croire avec cette crise que nous vivons sur la réforme des retraites, mais on peut se demander s’il ne s'agit pas ici que d'une façade. Retenons d’abord qu’ils n’ont pas été, ou fort peu, consultés en amont de cette réforme. Dans un pays où les syndicats jouent un rôle politique majeur, et pèsent sur les choix qui sont faits – et ce en prenant en compte tous les syndicats, de « travailleurs » comme « d’entrepreneurs » -, une place aussi secondaire  aurait été jugée particulièrement choquante.

Mais il y a belle lurette que les syndicats français ne sont plus des forces de proposition. Ceux qui le pourraient passent au second plan derrière des extrémistes utopistes qui rêvent de faire  la révolution et voient derrière tout compromis l’ombre des sociaux-traîtres, et, surtout, derrière ceux qui conservent des militants dans les secteurs à même de paralyser le pays – les transports publics ayant ici valeur de symbole avec la SNCF et la RATP. Il est vrai que les textes sur la représentativité syndicale ont largement contribué à scléroser le paysage au profit de centrales « historiques », retenues sur la base de leur attitude lors de l’Occupation - ce qui ne manque pas de sel quand on se souvient de celle des communistes avant l’attaque allemande contre l’URSS.

Il y a belle lurette aussi que la cote de confiance des Français dans les syndicats s’est évanouie, entre scandales financiers, goût du luxe des dirigeants, valises de billets du patronat et incompétences manifestes. On en prendra comme preuve le taux de syndicalisation (11%, mais 19% dans le public et 8,4ù dans le privé !), ou celui de la participation à certaines élections – prudhommales par exemple, au point qu’on en termine avec elles ! La crise des Gilets jaunes a été très révélatrice en ce sens, puisque ces derniers se sont, au début de mouvement, opposés à la participation des syndicats en tant que tels, avec banderoles et slogans, dans leurs manifestations.

On peut même penser que le gouvernement a choisi fin 2019 de voir les syndicats revenir sur le devant de la scène plutôt que d'avoir affaire à des mouvements spontanés, sans leaders, impossibles à amener à une table de négociations, incontrôlés et surtout incontrôlables, comme c'était le cas pour une partie du mouvement des Gilets jaunes.

Mais pour tenter de retrouver une part de leur légitimité, les syndicats n’ont d’autres choix que d’user de leur capacité de blocage. C’est une influence, certes – qui, sait, la réforme des retraites sera peut-être retirée par le gouvernement -, mais nous sommes très loin de ce que l’on peut connaître dans d’autres pays.

Christophe Bouillaud : Sûrement pas, en tout cas pas, depuis 2017, face à ce Président de la République et ce gouvernement. Aucune des grandes réformes économiques et sociales de ce quinquennat n’a obtenu un aval franc et massif des syndicats représentant les salariés. La réforme de l’assurance-chômage a laissé tout le monde au bord de la route, y compris même la CFDT. Quand on parle de grande influence sur la réforme des retraites, c’est simplement constater que le gouvernement a dû faire des concessions sous la pression des mobilisations, organisées par les syndicats les plus opposés à sa réforme, depuis le 5 décembre 2019. La plus importante pour calmer les esprits est celle annoncée dès le 11 décembre portant sur le fait que seules les personnes nées à partir de 1974 seraient concernées par la retraite universelle à points, alors qu’au départ, rappelons-le, cela aurait dû être le cas pour les personnes nées à partir de 1963. Sur la philosophie générale de la réforme, pour l’instant, le gouvernement n’a fait aucune concession. Il a certes cédé entièrement à certaines corporations en les ramenant de fait au statu quo ante, mais seulement à celles particulièrement bien organisées et stratégiques. En particulier, il a cédé aux syndicats représentant les intérêts des policiers. Selon France-info, Philippe Capon, le secrétaire général de l’UNSA-Police, aurait d’ailleurs déclaré récemment que ce ne fut pas très dur d’obtenir satisfaction. On ne peut être d’ailleurs qu’être surpris de tant de candeur satisfaite. Serait-ce que la police se sait désormais si indispensable au pouvoir en place pour réprimer les mouvements sociaux qu’elle se sent autorisée à tout demander ? 

On pourrait presque au contraire parler d’instrumentalisation d’un syndicat, la CFDT, par le pouvoir. En effet, ce syndicat réclame certes depuis des années, au nom d’une meilleure couverture des salariés les plus fragiles, un système universel à points, avec des particularités permettant d’assurer une plus grande équité entre les personnes concernées (avec la prise en compte de la pénibilité par exemple). Or, d’évidence, le gouvernement s’est servi de cette généreuse idée syndicale  pour aller vers tout autre chose, tout en se targuant en même temps de ce soutien. 

D’une part, le gouvernement vise à faire une réforme qui limite le poids des retraites dans le PIB, alors même que le nombre de retraités doit augmenter – cela a été vu très tôt par tous les opposants à la réforme. C’est certes une façon de garantir le crédit de la France auprès des prêteurs internationaux, puisque les retraites sont vues par ces derniers comme des engagements implicites de l’Etat, en concurrence avec le service de la dette publique. C’est aussi une façon de refuser toute nouvelle hausse des cotisations sociales, pour rendre ainsi la France plus compétitive, ce qui correspond aux demandes du MEDEF.  D’autre part, la réforme rend nécessaire la retraite par capitalisation pour une catégorie bien particulière de travailleurs, ceux qui gagnent plus de 3 fois le plafond de la Sécurité sociale (10.000 euros), alors que ce n’était que ceux gagnant plus de 8 fois le plafond auparavant (27.000 euros).  C’est de fait sortir dès maintenant du « principe un euro gagné= un nombre fixe de point de retraite », pourtant répété tous les jours sur les plateaux de télévision par les députés LREM, tout le cœur de l’électorat « macroniste » de 2017. C’est d’autant plus choquant que des bonnes retraites continueront à être versées aux prédécesseurs de ces hauts revenus, actuellement en retraite, créant de fait un déficit – un peu comme pour le régime des mineurs de fond -, sauf qu’aujourd’hui il y a bien sûr encore des personnes gagnant plus de 10.000 euros par mois. Avec cette mesure, c’est vraiment organiser la sécession des mécanismes de solidarité par répartition pour une partie – certes réduite, mais stratégique par le montant de leurs cotisations – des personnes concernées par la réforme. Cette situation profitera bien sûr à tous les offreurs de services de retraites par capitalisation, assureurs en particulier. Une magnifique illustration que le « macronisme » ne s’occupe que des « anywhere » (les personnes qui ont la planète pour horizon) prêts à investir partout dans le monde pour assurer leurs agréables vieux jours et se moque des « somewhere » (les personnes qui organisent leur vie autour d’une réalité locale, régionale, nationale) qui comptent eux sur la solidarité au sein d’un territoire bien déterminé. Bien sûr, aucun syndicat de salariés ou d’indépendants n’était demandeur d’une telle mesure qui sape par le sommet tout l’édifice des retraites par répartition. Et, surtout sans le dire. Il aurait mieux valu, si l’on voulait être libéral et transparent, proposer que tout le monde bascule dans un système par capitalisation, en organisant une transition juste avec l’ancien système par répartition. Au lieu de cela, même la droite parlementaire s’est enfin rendu compte qu’il y avait là une embrouille.

La direction de la CFDT, comme elle s’est fait instrumentaliser comme des « enfants de chœur », ne peut sans doute pas officialiser sa propre bêtise. Elle ne peut pas dire que, finalement, la CGT,  la CGC,  FO, etc. avaient raison de se méfier. Comme l’échec de la réforme de la retraite universelle à points serait rapidement interprété comme son propre échec, il est probable que la CFDT finisse par endosser le nouveau système sous réserve de modifications à la marge, pour pouvoir maintenir la justesse de sa position. 

Donc en matière d’influence des syndicats, même si ils ne jouent pas un rôle nul dans cette réforme des retraites, contrairement aux précédentes réformes du quinquennat, il me semble vraiment qu’il faut bien voir le caractère très limité de cette dernière. 

Chaque parti politique accuse l'autre d'influencer, telle ou telle décision du gouvernement. Mais les partis politiques pèsent-t-il réellement fortement dans la balance ?

Christophe Boutin : Ce sont des accusations sans fondements : on n’a guère l’impression que les partis politiques soient à la manœuvre, et ce ni dans la majorité, ni dans l'opposition. Dans la majorité, les textes ne sont pas débattus au sein du parti présidentiel, mais lui sont présentées une fois qu'ils ont été rédigés par les services ministériels compétents, à charge pour ces parlementaires de les valider par leur vote. Il y a bien, très timidement, des tentatives pour apporter çà et là des modifications, par des amendements déposés en commission, mais ils ne changent en aucune manière l'économie générale des textes – et l’on peut même se demander si certains « frondeurs » ne tentent pas seulement à bon compte de trouver ainsi une aura médiatique.

Mais tout aussi faible est l'impact des partis politiques d'opposition. Certes, celui qui a recueilli le plus de suffrages lors des élections présidentielles, et de nombreux encore lors des élections législatives, ou plus tard lors des élections européennes, est quasiment absent du Parlement français. Cela explique, partiellement au moins, son relatif silence. Quant à l’opposition de droite, on comprend son dilemme, prise qu’elle est entre une obligation de principe de critiquer Emmanuel Macron, pour avoir l'air d’être un tant soit peu une opposition, et le sentiment qu’elle a que les réformes présentées par le Président correspondent assez largement à celles qu’elle aurait souhaité mettre en œuvre – et son électorat ne s’y est pas trompé. EELV et le PS sont, pour d’autres raisons peu présents, et il ne reste finalement comme opposition bien visible que La France insoumise, la seule à apporter un peu d’animation sur les bancs de la Chambre, mais ces sursauts ne sont d’aucun effet quand le gouvernement conserve sa majorité parlementaire.

Plus globalement, on aura noté en 2018 et 2019 le peu de goût des partis d’opposition pour s’afficher avec les mouvements qui tentaient de s’opposer à la politique présidentielle. Ce n'est que tardivement qu'une partie de la gauche d'opposition s'est ralliée au mouvement des Gilets jaunes - en fait lorsque celui-ci a été assez largement infiltré par elle pour qu’elle en change les priorités et les slogans. Quant à l’opposition de droite, elle est restée face à ce mouvement en grande partie aux abonnés absents – une part de ses cadres et de son électorat étant en partie au moins favorable à la manière dont étaient traités les manifestants -, et n’a pas été plus prompte à rejoindre les mouvements opposés aux réformes sociétales du progressisme.

Christophe Bouillaud : Le moins que l’on puisse dire, c’est que, dans le conflit actuel, les partis n’ont compté pour rien. Les partis de gauche ont certes critiqué la réforme, mais ils ont laissé – d’ailleurs à juste titre - les syndicats agir. C’est le principe de la « démocratie sociale » à la française. Depuis l’après-guerre, il existe des sujets sur lesquels ce sont les syndicats qui sont pertinents pour porter des mobilisations. C’est lié au fait bien connu que tous nos partis  historiques, en dehors du parti communiste, regroupent des électeurs ayant des intérêts professionnels éventuellement divergents, et que donc les questions dites sociales sont transversale aux affinités partisanes. 

Quant au grand parti de droite, Les Républicains (LR), s’il s’affirme le garant d’un haut niveau de retraite pour tous à un coût maîtrisé par des mesures d’âge, il ne semble se réveiller qu’à mesure que toute cette réforme des retraites parait de plus alambiquée à qui l’examine en détail, et bien sûr coûteuse à force de spécificités. Le Rassemblement national (RN) et Debout la France (DLF) ont été contre dès le départ, mais en se contentant d’espérer profiter électoralement du dépit des personnes concernées et sans rien proposer.

Cet effacement des partis est d’autant plus net que, pour l’instant, il n’y a pas eu de vrai débat parlementaire sur le texte lui-même – qui n’existe pas encore sauf pour le Conseil d’Etat. De toute façon, c’est en vue des prochaines élections que les partis travaillent. Si cette réforme passe, avec l’aval de la CFDT, les grands gagnants de la période risquent fort d’être le RN et  DLF.  

On a souvent reproché à Emmanuel Macron de trop écouter les intérêts privés et de les laisser influencer sa politique. Les technocrates et le privé ont-ils réellement une influence sur les décisions politiques du gouvernement ?

Christophe Boutin : Le pouvoir est clairement assumé par une technocratie qui s'exprime de plus en plus directement et de plus en plus ouvertement au sein des instances de l'État. Une technocratie qui n’a certes pas attendu Emmanuel Macron pour exister et jouer un rôle sous la Cinquième république, mais qui a largement muté depuis les débuts de l’ENA.

Il y a toujours eu en France, depuis les juristes du Roi, une tradition de grands serviteurs de l’État. On pouvait certes leur reprocher leur vision volontiers centralisatrice, une certaine morgue aussi – mais n’étaient-ils pas les gagnants de la course méritocratique des concours des « grandes écoles » ? -, pourtant nul ne pouvait nier à ces « grands commis » un vrai sens de l’État. Il y avait là une élite du secteur public, tout entière vouée à cet « exercice de l’État » qui est d’ailleurs le titre d’un beau film sur la question.

Mais le progressisme ne voulait plus de ces gardiens parfois trop sourcilleux du bien commun. On s’attacha donc à les discréditer : ils se comportaient trop comme une « caste », ils étaient trop coupés des réalités « du terrain », et trop ignorants des réalités d’un monde de l’entreprise auquel ils imposaient leurs réglementations obsolètes. Ou oublia que cette haute fonction publique avait bien souvent réussi à éviter au pays les délires de certains, pour ne plus voir que sa capacité de blocage des innovations nécessaires.

Il fallait ouvrir, on ouvrit. Certains des hauts fonctionnaires qui dirigeaient des entreprises d’État considéraient avec envie les revenus des patrons du CAC 40, on les aligna sur ces derniers, oubliant qu’ils ne courraient eux aucun risques, et que les pires erreurs de ces favoris présidentiels bien facilement reconvertis en tycoons seraient toujours payées par les contribuables.

On ne s’arrêta pas aux allers-retours entre entreprise publique et fonction publique, on fit de même avec le privé. Les parcours des principaux représentants de l'État de nos jours, ministres, membres des cabinets ministériels, hauts fonctionnaires, sont en ce sens tout à fait parlants : après avoir réussi l'un des grands concours qui mènent aux fonctions de direction, on commence à faire quelques courtes années dans la fonction publique, puis on passe dans le privé, où l'on vous demande généralement d'utiliser vos connaissances pour contourner les réglementations que vous venez de mettre en place, avant de revenir au public, cette fois clairement pour satisfaire les intérêts du secteur privé.

Ce qui était, pourquoi pas, louable et judicieux, lorsqu’il s’agissait d’éviter à une technocratie administrative hors-sol un certain nombre d'erreurs dues à sa méconnaissance du monde de l'industrie, est maintenant devenu particulièrement inquiétant pour ceux qui croient encore au service public - et les permanents conflits d’intérêts qui concernent ministres ou hauts fonctionnaires le montrent bien. Au lien d’exporter les concepts de bien public et d’intérêt général  dans le monde du privé pour en tempérer les appétits, au lieu de rappeler le sens de l’État à des entreprises qui s’en sont affranchies, c’est l’inverse qui se passe. Tout un vocabulaire de « management pour les nuls » pénètre en effet la fonction publique, et avec lui le pouvoir de la finance, et ce même à de médiocres niveaux : tel président d’Université se rêve de nos jours en « trader » sur le marché mondial des formations et des diplômes ; tel directeur de collectivité territoriale entend en exporter l’image sur la scène internationale grâce au nouveau logo chèrement payé à une agence de communication.

Au plus haut sommet, l’osmose est faite entre technocrates et financiers, tous persuadés d'être seuls à même de comprendre les arcanes de la modernité, tous tout entier pénétrés de l’absolue nécessité de la mondialisation heureuse et du danger du nationalisme, tous frères de ces autres nomades des grandes métropoles avec lesquels ils partagent bien plus de choses finalement qu’avec ces peuples qu’ils détruisent. Une nouvelle caste, qui ne s’embarrasse plus qu’à peine des masques désuets des partis politiques ou des obsolètes négociations sociales avec les syndicats.

Christophe Bouillaud : Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Toute l’action d’Emmanuel Macron depuis son élection à la Présidence de la République témoigne d’un lien privilégié avec certains groupes d’intérêts. Il restera dans l’histoire du quinquennat que Nicolas Hulot a démissionné sous le coup de l’émotion d’avoir constaté de visu la présence d’un important lobbyiste des chasseurs dans une réunion à laquelle il participait. C’est plutôt inédit tout de même, d’autant plus que le dit lobbyiste n’a pas du tout nié la dite présence et semble même s’être vanté de son influence pour faire tomber ce ministre gênant. Les récentes décisions en matière d’importation d’huile de palme sous l’influence de TOTAL pourraient être un autre « smoking gun », comme on dit en anglais. En fait, c’est tout un florilège qu’on pourrait dresser. Certes, depuis toujours, l’Etat français a su écouter, et s’est laissé influencer par, des intérêts économiques, mais, là, ce qui était parfois caché, subtil à comprendre, devient tellement évident que les analystes de la politique française risquent fort d’être bientôt sans aucune utilité tant cela devient patent pour tout un chacun. Macron et compagnie tuent le job, comme on dit. 

Mais, pour résumer tout de même ce qui apparait de plus en plus nettement, Emmanuel Macron et son gouvernement semblent surtout être très sensible aux injonctions des cadres dirigeants des très grandes entreprises françaises, celles du CAC40. Ce sont, après tout, les principaux donateurs pour financer la campagne de 2016-17. Et ils ont déjà eu la « sucrerie » de la « flat tax » sur les revenus du capital… Plus généralement, tous les secteurs traditionnels qui ont fait la richesse de la France sont dûment écoutés, comme par exemple l’agriculture façon FNSEA ou le déjà cité TOTAL. La « start-up nation », qui vante les jeunes pousses, ne néglige les vieux arbres bien enracinés dans l’histoire longue de l’économie. Par ailleurs, une part réduite de la haute fonction publique, celle qui ne pense plus la réalité du pays qu’en termes financiers, semble bénéficier d’une écoute disproportionnée au regard de sa compréhension limitée du pays et de la réalité concrète des politiques publiques.  Il n’est d’ailleurs que de voir l’action ministérielle qu’inspirent ces hauts fonctionnaires. Aucune ne semble être inspirée par une pensée propre au ministre lui-même. Il n’y a donc pas que les députés « Playmobil » qui ne s’autorisent pas à penser en « macronie », il y a aussi les ministres. Le seul « idéologue » parmi eux, pour le meilleur  et pour le pire, c’est Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale. Au-delà des économies budgétaires, il porte en lui-même une vision de l’éducation nationale – qui, d’ailleurs, lui vaut l’animosité du corps enseignant. Elle va bien au-delà de considérations budgétaires pour cette raison. Tous les autres sont des exécutants, jouissant certes de leur titre de ministre, mais dont l’absence totale d’indépendance politique vis-à-vis du Président de la République restera dans les annales. Peut-on d’ailleurs à ce stade encore parler de gouvernement au sens traditionnel du terme ? Un comité des chefs de service plutôt. 

Bref, ce n’est pas le privé en général  et les technocrates en général qui influencent la « macronie », mais deux sous-groupes bien plus restreints au sein de ces deux univers, et c’est bien là le problème du « macronisme », son absence de lien avec le pays profond. 

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