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Cette voie étroite par laquelle la France tente une médiation dans le dossier kurde
©REUTERS/Yuri Gripas

Un trou de souris

A l'occasion de la venue du Premier ministre irakien Haïder Al-Abad, Emmanuel Macron a plaidé pour la reconnaissance du droit des Kurdes dans la Constitution irakienne et veut positionner Paris en médiateur du conflit qui germe entre Bagdad et les kurdes irakiens.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Le président français a accueilli hier le premier ministre irakien sur fond de tension après le référendum sur l'indépendance du kurdistan irakien. Emmanuel Macron a plaidé en faveur d'une voie qui mènerait à une réconciliation nationale et veut que la France joue un rôle de médiateur entre les différents acteurs. N'est-ce pas là surestimer l'importance et le poids de l'Hexagone dans la région ? Est-ce que cet appel a des chances d'être entendu du côté kurde et du côté de Bagdad ?

Emmanuel Dupuy : La visite du Premier ministre irakien Haidar Al-Abadi a Paris, s’inscrit dans un agenda très " levantin " du président français. Emmanuel Macron tente ainsi de replacer la France dans le jeu régional, au même titre qu’il avait tenté  - dans la foulée de son prédécesseur à l’Elysée - de le faire en proposant que Paris puisse jouer les intermédiaires entre les Israéliens et les Palestiniens, dans le cadre du relance du processus de paix et la défense de la solution à deux Etats. 

En recevant à Paris, le premier ministre irakien, le président français entend ainsi faire du retour de la paix et de stabilisation en Irak (comme en Syrie) une priorité vitale pour la France. Il entend aussi changer de méthode. 

Ce changement passe par une approche plus réaliste, plus pragmatique mais aussi plus opportuniste, consistant à faire exercer à la France son rôle de contrepoids, dans le contexte d’un relatif effacement de Washington dans la région, induit par l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, chantre d’un " néo-isolationnisme "  qui invalide la capacité américaine de jouer ce rôle.. Ce fut le cas aussi dans les offres françaises récentes de médiation, comme dans le cadre de la crise entre le Qatar et l’Arabie Saoudite ou encore la tentative plus ou moins réussie de médiation en Libye, à l’aune des perceptions ambivalentes (réactions aussi courroucées émanant de nos partenaires italiens, algériens et tunisiens) suite à la rencontre entre le Premier ministre libyen Fayez Al-Sarraj et l’homme fort de Libye, le Maréchal Khalifa Haftar, le 25 juillet dernier à La Celle Saint-Cloud.

Emmanuel Macron avait, du reste, aussi indiqué, à l’occasion de la Semaine des ambassadeurs, le 29 aout dernier, qu’il se rendrait au Liban, en Palestine, en Jordanie et en Israël au printemps prochain pour parvenir à faire la paix au Moyen-Orient. La visite du Premier ministre irakien, fort de l’avancée militaire contre Daesh et la libération de Mossoul et néanmoins affaibli par la tenue du référendum au Kurdistan, le 25 septembre dernier et son résultat attendu quoique plus élevé que prévu  - 92,73% en faveur du Oui et l’épée de Damoclès que constitue la perspective de la déclaration d’indépendance du Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK) ne pouvait mieux tomber pour le président français, soucieux de cultiver son image internationale.

Cette visite parisienne du Premier ministre irakien conforte aussi l’idée selon laquelle le risque réel d’une guerre civile entre Kurdes et le pouvoir central de Bagdad et la menace brandie d’une réponse "  ferme " par Téhéran et Ankara vis-à-vis d’Erbil, sont prégnants. 

Cependant, reste à convaincre les acteurs périphériques que sont l’Iran, la Russie, la Turquie ainsi que les Etats-Unis, foncièrement hostiles à l’arrivée dans ce jeu de Paris. Il est ainsi intéressant de comparer le timing de cette visite, qui advient alors que le roi d’Arabie Saoudite, Salman ben Abdelaziz se rend pour une visite historique à Moscou. Visite, au cours de laquelle plus de 850 millions d’euros ont été " fléchés " vers la mise en place d’un fonds d’investissement russo-saoudien centré sur l’énergie.

Nul doute que la capacité de régulation et d’ajustement à la hausse sur le prix du baril que Moscou comme Riyad, sont décidés à mettre en oeuvre - jusqu’à fin 2018 - sont des puissants leviers que les deux parties kurdes et irakiennes, ultra-dépendantes des revenus de leurs richesses en hydrocarbures entendent sans doute davantage ces réalités économiques que les promesses d’aide à la stabilisation et la reconstruction formulées par Paris, si nobles et " désintéressées " soient-elles.

Que peut vraiment faire la France sur ce dossier, quels sont les enjeux d'une réconciliation nationale pour l'hexagone ?

Paris entend, avant tout, rappeler aux deux hommes forts irakiens, que sont Massoud Barzani, président du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) à la tête du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) et Haidar Al-Abadi, Premier ministre irakien en quête de légitimité internationale, que rien ne saurait faire dévier Erbil et Bagdad de l’objectif de libérer les 30% de territoires gagnés par Daesh depuis mai 2014. Paris entend surtout rappeler au président du GRK que de vastes territoires sont encore sous le joug de Daesh. C’est le cas des deux poches de résistance de Daesh que constituent les régions d’Akachat et de Hawija dans la province de Kirkouk. 

Ces zones que Bagdad considère comme appartenant à la catégorie des villes disputées entre Erbil et Bagdad (conformément à la Constitution de 2005), riches en gaz, composant, à hauteur de 40%, les réserves irakiennes, sont ainsi vitales pour l’avenir économique tant de Bagdad que d’Erbil.

Paris craint aussi que son soutien militaire à Erbil - via les forces spéciales qui assistent les peshmergas sur le terrain, à l’instar de la Task Force Hydra composée de plusieurs centaines de membres du Commandement des Opérations Spéciales (COS) et dont hélas, l’adjudant du 13ème RDP, est tombé au champs d’honneur, il y a quelques jours était issu - ne soit ainsi considéré comme un signe de soutien implicite à Massoud Barzani. Ce dernier, qui n’a pas organisé de scrutin présidentiel depuis 2013 et a suspendu les travaux du Parlement en octobre 2015 entend ainsi pleinement profiter des résultats du référendum, qui, dans le contexte du décès très récent de l’ancien président irakien, son éternel opposant, Talal Talabani, chef du mouvement politique de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) et défenseur acharné de l’unité irakienne, laisse un boulevard politique au président Barzani.

Dans ce contexte, la France et l’Allemagne se sont fait discrètes sur ce dossier, alors même que les groupes de pression kurdes, particulièrement actifs dans ces deux pays, cherchent à alerter les opinions publiques sur la contradiction qui peut exister entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et du principe de l’auto-détermination et une Realpolitik qui fait d’un soutien, si fragile, soit-il à Bagdad la pierre angulaire de la stabilisation dans la région.

La France a cependant quelques arguments quelle entend imposer aux deux parties qu’elle vise à modérer. 

Tout d’abord, Paris vise à faire entendre raison aux deux parties sur le principe de "  l’Unité dans la diversité ", de l’Irak. Prenant modèle sur la gouvernance libanaise, qui depuis les accords de Taëf en octobre 1989, assure une représentativité conforme à la démographie du pays, le dessein français vise à consolider la gouvernance irakienne sur une base de répartition ethnico-religieuse équilibrée (Présidence assurée depuis juillet 2014 par un kurde, en l’espèce Fouad Massoud, au titre des 20% de Kurdes qui composent l'Irak ; Parlement irakien présidé par le sunnite, Samil al-Joubouri ; sans oublier le poste de Premier ministre qui échoit traditionnellement à un chiite issu du principal parti politique Dawa, comme ce fut la cas avec le prédécesseur de l'actuel Premier ministre, Nouri al-Maliki). 

Par ailleurs, l’offre française de médiation s’accompagne aussi de certaines opportunités économiques que Paris juge importantes pour l’implantation de ses entreprises. Le contrat que la société russe Rosneft a signé avec le GRK, l’objectif de l’extraction d’un million de barils/jours d’ici la fin de l’année (et 2 millions, d’ici 2024) et la garantie d’une stabilité dans l’exportation du brut vers la ville méditerranéenne, de Ceyhan, située en Turquie tendent à confirmer que la question du Kurdistan implique aussi une dimension économique importante et particulièrement attrayante pour les groupes français. Le cas de Lafarge, premier investisseur au Kurdistan irakien et fournisseur de 60% du ciment produit en Irak est symbolique. D’autres entreprises françaises sont ainsi installés de longue date dans le Kurdistan, à l’instar d’Auchan (2014) et Carrefour (2011).

Enfin, ne peut-on pas penser que sur un terrain diplomatique généralement tenu par l'axe Washington/Tel Aviv la proposition de médiation de la France pourrait trouver un écho favorable auprès de puissances régionales comme l'Iran ?

On le comprend, en effet, le Kurdistan irakien demeure - qu’il s’agisse de sa forme d’état indépendant de Bagdad ou sous sa forme actuelle d’autonomie - avant tout, enclavé. 80% de ses besoins alimentaires sont ainsi importés. L’Iran et la Turquie, entendent ainsi jouer sur cette dépendance pour contraindre Erbil à repousser la déclaration d’indépendance d’un an, deux ans, voire plus. 

Dans ce contexte, l’offre de médiation française a reçu un soutien bienveillant tant d’Ankara que de Téhéran. Les "  lignes rouges "  que l’Iran avait évoqué lors des visites des généraux Qassem Soleimani, chef de la brigade Al Qods et Mohammed Bagheri, chef d’état-major des forces armées iraniennes, quelques jours avant la tenue du référendum du 25 septembre sont déjà dépassés. Il en est résulté un blocage des liaisons aériennes entre Erbil, Souleylanieh, Duhok et Téhéran. L’Iran, au même titre que la Turquie, a ainsi massé depuis plusieurs jours, de nombreux moyens militaires aux frontières limitrophes du Kurdistan irakien. Cette menace ne constitue pourtant pas le signal d’une intervention militaire imminente. Il faudrait plutôt y voir une volonté ferme de Téhéran de mettre la pression sur Massoud Barzani, accusé de soutenir, voire d’inciter l’ancrage et le développement d’une coopération militaro-sécuritaire avec Washington et Tel-Aviv, alors que les forces de sécurité et le Conseil national de sécurité du GRK sont conseillé, de longue date, par les Pasdarans.

Plus généralement, la médiation française proposée par Emmanuel Macron trouve un écho favorable auprès des présidents Rohani et Erdogan, eu égard à son " momentum ", c’est-à-dire, alors que la France préside, depuis le 1er octobre, le Conseil de sécurité des Nations Unies. 

Enfin, le constat d’une nécessité de lier processus politique de réconciliation et effort économique de reconstruction, tant en Syrie et en Irak, trouve un écho plus que favorable à Téhéran et Ankara, quoique que moins clairement. La France, par la voix de son Président de la République a ainsi tenu à insister sur la volonté française de faire partie - de manière plus institutionnalisée et pérennisée - au processus d’Astana, visant à oeuvrer à un dialogue direct plus " inclusif " entre parties prenantes au conflit syrien, sous le triple parrainage turc, iranien et russe. 

La médiation française au sujet du Kurdistan irakien, si elle réussissait, pourrait ainsi être le " ticket d’entrée "  dans cette "  nouvelle approche " de régulation et gestion des conflits, vantée par Emmanuel Macron, lors de son dernier discours à la tribune de la 72ème Assemblée générale des Nations Unies.

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