Cette révolution économique post-Covid à laquelle personne ne s’attend vraiment<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Jean Castex prenant un café le 19 mai, jour de réouverture des terrasses.
Emmanuel Macron et Jean Castex prenant un café le 19 mai, jour de réouverture des terrasses.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Ce que nous ne voulons pas voir

Obsédés par un retour « au monde d’avant-COVID », nos responsables politiques oublient de s'interroger sur les accélérations et les révélations liées à cette pandémie. Les programmes des candidats à la présidentielle de 2022 en tiendront-ils compte ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Nous ne voulons pas voir ce qui change autour de nous, obsédés que nous sommes par un retour « au monde d’avant-COVID ». Or ce retour n’aura pas lieu. Nous n’avons pas mis l’économie et la société, en France ou ailleurs, sur « pause », avant de presser sur « start ». Pourtant, au lieu de nous interroger sur les accélérations et les révélations liées à cette pandémie, pour repartir en changeant, nous arrivons avec nos concepts traditionnels, comme avec de vieux outils. Voilà donc la « Relance par la demande », de gauche, et la « Relance par l’offre », de droite ! Est-il possible d’être moins caricatural pour les programmes de 2022 qui se préparent pour la Présidentielle ?

Si nous continuons ainsi, nous allons vers le drame. Blanc ou noir, bien ou mal, gauche ou droite : nous aimons tant ces contrastes, au fond reposants, pour ne pas entrer dans le réel ! Car soutenir la demande, c’est bien et keynésien – donc de gauche. Dans la pandémie en cours, soutenir le chômage à temps partiel des employés de restaurant et les intermittents du spectacle, c’est donc bien. Et « quoi qu’il en coûte », la traduction keynésienne du moment, c’est mieux encore ! Cependant, soutenir les restructurations, pour que les entreprises et les salariés s’adaptent à la concurrence, au monde qui change plus vite, aux consommateurs qui veulent du nouveau et du moins cher, c’est autre chose. C’est schumpetérien si l’on veut, pour aider à créer une suite aux « solutions keynésiennes ». La voie schumpétérienne, souvent qualifiée de compliquée, sinon de droite, en tout cas de long terme, n’est pas inutile, au contraire, même si elle plaît moins. Et c’est souvent ce que nous voulons et cherchons, sans trop le dire.

Keynésiens contre schumpétériens, ces « oppositions économiques » n’ont, en réalité, aucun sens car elles ne correspondent pas à ce que nous devrons faire pour nous sortir d’affaire. Les magasins qui rouvrent, vont beaucoup changer, avec sans doute moins de salariés. Quand les entreprises, surtout les grandes, vont se rendre compte qu’elles peuvent fonctionner avec moins d’employés peu ou moyennement qualifiés, et surtout avec moins de niveaux hiérarchiques, des problèmes d’emploi vont se poser. Ces entreprises vont aussi se demander quelle carrière offrir à des cadres moyens de 50 ans, dont certains étaient déjà dépassés avant la pandémie. La pandémie, le confinement, le télétravail ont éclairé de manière crue nos dépendances, nos doublons, nos faiblesses, nos lacunes. Avec évidence, il faudra former plus et plus longtemps, les soutiens à l’emploi n’y pourront rien, devant, un jour, cesser.

Soutenir la demande est obligatoire dans la transition multiforme actuelle, mais ceci ne ralentit pas les changements structurels en cours, au contraire.Keynes est le facilitateur de Kondratieff ! La demande soutenue à force de milliards d’euros de dette va accélérer les changements de l’offre. L’utilisation de l’épargne qui sera « déconfinée » permettra de faire émerger les nouvelles demandes : davantage de click and collect et de supermarchés de proximité, davantage d’e-achats, plus de discussions par skipe pour préciser les demandes, avoir plus de conseils et d’informations sans sortir de chez soi ou du bureau. Par différence, on verra ce qui sera davantage menacé, ayant plus souffert encore depuis plus d’un an. Les structures fragiles, peu ou mal adaptées déjà, ne bénéficieront donc pas automatiquement des nouveaux flux de demandes qui prendront d’autres canaux, au moment même où il leur faudra rembourser les crédits du « quoi qu’il en coûte ». La désépargne ira vers le plus neuf, pour la satisfaire.

En même temps que la crise sanitaire, l’écologie montre que notre dichotomie offre/demande ne peut nous guider à moyen et long terme. L’écologie n’est pas une théorie, encore moins une solution. Elle est exemplaire de ce monde nouveau qui s’ouvre, avec de nouveaux problèmes à résoudre autour de nouveaux rapports offre-demande, dans la révolution technologique en cours, mais sans donner d’issue. Quand le richissime Apple se lance dans l’automobile, va-t-il changer l’industrie de base de l’après-guerre, base de l’équipement du ménage : foyer, voiture, maison, ville ? Quand Amazon achète MGM, que deviendront les cinémas : le streaming va-t-il se développer partout ? Que deviendront les voyages d’affaires, si on étend les webinaires ? Comment les chaînes de production vont-elles se recomposer, avec plus de proximité par rapport aux marchés, dont la zone euro ? Comment les compagnies pétrolières vont-elles se décarbonner, sous la pression des actionnaires « activistes » ? Et ainsi de suite.

Nous n’avons pas les outils du monde où nous allons : comment gérer le vieillissement de nos populations, quels taux de pollution « gérables » ? S’agit-il de s’inquiéter des inégalités, qui viennent largement du vieillissement dans les économies développées, ou plutôt du vieillissement lui-même, sachant que nous aurons besoin d’une part de cette épargne pour moderniser les PME et les collectivités locales ? Nous entrons dans une période de reconstructions, donc d’essais et d’erreurs, d’investissements nouveaux, matériels et immatériels, avec des engagements à long terme particulièrement risqués.

Les programmes présidentiels verts qui s’écrivent vont-ils parler de la combinaison croissance, compétitivité, emploi, énergie ? Donc de vrais choix, concrets et difficiles ? La gauche va-t-elle saluer le taux minimal d’impôt mondial des entreprises, ou proposer plutôt une stratégie pour les retraites et demander un état plus simple et moderne ? La droite va-t-elle parler d’une Europe puissance, économique et militaire, et de la nécessité de renforcer l’euro, entre dollar et yuan ? Le risque majeur aujourd’hui est de se cacher derrière des simplifications économico-politiques, dans une phase sans exemple de révolution technologique, d’informatisation, et de révolution géopolitique, illibéralisme contre libéralisme.

L’économie n’est pas ou keynésienne ou schumpétérienne : elle est les deux, en doses variables, plus tout le reste, pour réussir en avançant ! Simplifier pour opposer n’amène à rien, aujourd’hui plus que jamais. Le réel est complexe et il revient aux politiques de l’améliorer, pour tous. Encore faut-il commencer par le dire pour aider à le comprendre, sous tous ses aspects. Il faut vouloir voir le monde qui change si on veut participer à ses changements, et non pas les subir.

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