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Des ONG, des associations, des juristes, des activistes tentent de plus en plus d'influencer les prises de décisions de certaines institutions.
Des ONG, des associations, des juristes, des activistes tentent de plus en plus d'influencer les prises de décisions de certaines institutions.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Asymétrie des forces en présence

Lors de l’examen de la loi immigration, des associations, des universitaires et des juristes extérieurs ont tenté de peser sur la décision du Conseil constitutionnel. Cette stratégie d’influence est de plus en plus active auprès des institutions et de l'Etat.

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Bertrand Saint-Germain

Bertrand Saint-Germain

Bertrand Saint-Germain est Docteur en droit, essayiste, auteur de Juridiquement correct, comment ils détournent le Droit, publié aux éditions La Nouvelle Librairie (2023).

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Atlantico : Lors de la décision du Conseil constitutionnel sur l’immigration, un certain nombre d’associations avaient pu déposer des observations et déployer un arsenal auprès du Conseil constitutionnel. Y a-t-il un manque de pluralisme dans les associations à qui il a été attribué la possibilité d'entamer ces procédures et à quel point peut-on imaginer que cela ait pu impacter la décision du Conseil constitutionnel ?

Bertrand Saint-Germain : Il est vain d’imaginer que l’action de ces associations soit, en tant que telle, de nature à impacter la décision du Conseil constitutionnel ; d’ailleurs celui-ci, compte-tenu de l’orientation de ses membres, n’avait nul besoin d’une quelconque aide extérieure pour venir neutraliser les rares dispositions restrictives de la loi qui était soumise à son contrôle.

L’action de ces association vise à créer un effet de « bruit » juridico-médiatique et laisser accroire qu’un vaste mouvement social s’opposait aux dispositions de la loi. Le contenu des observations ne diffère d’ailleurs guère d’une contribution à l’autre et les arguments se répondent et se reprennent fréquemment les uns aux autres… Qui plus est les signataires sont fréquemment les mêmes… À titre d’exemple, la CIMADE est signataire de sept contributions volontaires quand le bien connu Serge Slama l’est de dix !

Drieu Godefridi : Le problème n’est pas le manque de pluralisme. Le problème est l’État ou système français, qui a atteint ses limites, au delà desquelles soit il se réformera drastiquement, soit il entrera dans une lente dissolution de et par lui-même. Je m’explique. Il y a deux facteurs ici à prendre en compte. Le premier est la domination de la gauche culturelle. Depuis De Gaulle et Pompidou, dont la Weltanschauung (vision du monde) était authentiquement divergente de celle de la gauche égalitariste, méchante et envieuse — qu’incarne si parfaitement Mélenchon, de nos jours — la droite a rendu les armes, plié puis rompu face à la gauche dans toutes et chacune de ses revendications culturelles. L’accès donné à des associations gauchisantes souvent haineuses au sein du fonctionnement de l’appareil judiciaire n'est que l’une des mille illustrations de ce phénomène. Les principes fondamentaux du droit depuis l’époque romaine exigent l’intérêt à agir; cet intérêt doit être direct et personnel (qu'il s’agisse d’une personne physique ou morale). Au lieu de quoi on a laissé des associations ester en justice du seul fait de l’intérêt qu’elles proclament elles-mêmes pour telle ou telle question ! Autant dire n’importe qui, sur n’importe quoi; il n’y a plus d’intérêt à agir ce qui garantit la plus complète collectivisation du droit. Le second phénomène ici illustré est la vélocité pavlovienne de l’État français à financer, subsidier, subventionner tout ce qui gargarise de principes, dès lors qu’un groupement de deux personnes ou davantage proclame une sorte de lien en rapport avec l’intérêt général — alors que 98% de ces associations ne promeuvent que la vision politique idiosyncratique de ceux qui les ont montées. Ces deux phénomènes — tyrannie de la gauche culturelle, captation de subsides publics massifs — se conjuguent si bien qu’on entre dans la phase de leur sublimation, qui est la naissance d’un système concurrent direct et opposé à celui de la démocratie. En démocratie, le peuple exprime sa volonté, fût-ce par la voix de ses représentants. Nous assistons à la prise de pouvoir par la justice de factieux et de séditieux ultra-minoritaires. L’exemple parfait est celui du climat, qui voit des groupes exiger et obtenir des décisions de justice pour contraindre le politique dans tous les domaines. 

Au-delà de cet exemple-là, il semblerait qu’un certain nombre « d’activistes », via des ONG, via des associations, déploient la même stratégie d’influence auprès de beaucoup d’autres institutions comme le Conseil d’État, des municipalités, des collectivités territoriales, voire de l’État. Qu’en est-il exactement ?

Bertrand Saint-Germain : Cette situation est le produit d’un terreau qu’il faut présenter. La nébuleuse -bien réelle- que vous évoquez, est celle d’un mouvement politique et social peu étudié en France, le cause lawyering. L’expression est née aux États-Unis au début des années 1980 des travaux de deux universitaires, Austin Sarat et Stuart Scheingold. Il s’agit, sous ce vocable, d’envisager l’action de figures de juristes militants : avocats de gauche, spécialisés dans la défense des minorités, magistrats et associatifs. Le cause lawyering étudie leur action, « lorsqu’ils usent de leurs compétences et de leurs ressources en faveur d’une cause (…) au cœur de processus tels que la juridicisation ou la judiciarisation de la société et du politique, les nouveaux usages du droit par les mouvements sociaux ». D’un point de vue idéologique, le cause lawyering est un courant d’inspiration marxiste très influent ; d’un point de vue technique, il apporte aux causes qu’il soutient l’aide d’une armée de combattants judiciaires marxistes. Ce courant est très présent en France et l’on peut identifier sa naissance au début des années 1970, dans le sillage de mai 1968, née de l’action du Parti et de la mouvance communiste, marxiste-léniniste orthodoxe ou maoïste.

L’un des acteurs cardinaux du cause lawyering est le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI),dont il convient de rappeler la naissance. Il est créé en 1972, dans le sillage de l’action de hauts fonctionnaires ne voulant pas rester inactifs après 68, tout en restant discrets ; Nicole Questiaux -ministre de Mitterrand en 1981- l’avouera avec fierté : « dans le bouleversement post-68, nous sommes un certain nombre au Conseil d’État à réfléchir à la façon dont nous pourrions contribuer à une rénovation politique ».

Le GISTI a fédéré ces énergies, s’engageant à cœur perdu dans la défense des immigrés, ses membres s’attachant à mettre leurs compétences et leurs activités au soutien des droits des immigrés, l’immigration étant vue comme une « zone de non-droit » et l’immigré une victime de l’oppression systémique. L’action du GISTI allait de pair avec celle du Syndicat de la Magistrature, fondé en 1968 et du Syndicat des Avocats de France, fondé en 1973…Distinctes juridiquement ces structures se retrouvent dans la quasi-totalité des combats qu’elles mènent en commun… Et si le GISTI n’a pas déposé, es-qualité, d’observations à l’encontre de la loi immigration, nombre des membres de son bureau figurent parmi les signataires de différentes observations déposées devant le Conseil constitutionnel… Les réseaux se croisent et s’entrecroisent…

Cette situation est renforcée par la psychologie des juges. Cette profession s’est toujours montrée sensible aux valeurs dominantes du moment. Cela était vrai hier, sous la IIIe République, en faveur d’un conformisme bourgeois, conservateur et marqué par un maçonnisme républicain bon teint ou quelques années plus tard avec le régime de Vichy : un seul magistrat en France refusera de prêter serment de fidélité à la personne du Maréchal Pétain (Philippe Didier)… Cette réalité s’observe aujourd’hui encore ; cette fois-ci en faveur d’une ligne culturelle germanopratine, mondialisée, écologisée et naturellement américanophile. Les magistrats font leurs les convictions des puissants du moment.

Les entrelacs entre l’unité psychologique des juges et leur orientation idéologique se vérifient dans certaines grandes décisions. Sans qu’il soit besoin de revenir sur la composition actuelle du Conseil constitutionnel et le profil de ses membres, l’étude des personnalités des magistrats ayant statué dans quelques « grandes » affaires est intéressante et révélatrice… A l’occasion de la célèbre décision GISTI de 1979 sur le regroupement familial, que constate-t-on ? La formation de jugement est présidée par Bernard Chenot, vice-président du Conseil d'État. Si sa compétence juridique est indiscutable, comment ne pas relever qu’il appellera à voter pour Mitterrand deux ans plus tard lors des présidentielles de 1981… Dans cette même affaire, le commissaire du gouvernement était Philippe Dondoux, ami proche de Jacques Chirac, dont le frère sera député socialiste puis ministre de Lionel Jospin… Enfin, le rapporteur était Louise Cadoux dont on ne s’étonnera pas de retrouver sa signature dans la revue de La Ligue des Droits de l’homme… Il est plaisant de relever qu’on sait aujourd’hui, que la requête déposée par le GISTI fut surtout rédigée par Philippe Waquet, alors avocat et récompensé depuis pour son œuvre d’un chapeau de magistrat à la Cour de cassation en 1988 ; le hasard faisant bien les choses, il écrira aux côtés de Mme Cadoux dans le même numéro de la revue de la Ligue des Droits de l’homme. Heureux hasard. L’étude du profil des magistrats ayant tranché cette affaire est révélatrice de l’état d’esprit régnant parmi ceux qui présidèrent aux grandes décisions ouvrant les vannes d’une immigration toujours moins contrôlée…

Une étude systématique de toutes les grandes décisions sensibles rendues par la Justice en ce début de XXIe siècle ne manquerait pas de faire apparaître l’importance de ces liens entre les protagonistes de ces affaires ; quand la connivence intellectuelle et programmatique se drape du respect de l’état de droit pour défendre des intérêts et positions idéologiques…

Drieu Godefridi : Je n’en donnerai qu’un seul exemple, plus déterminant que l’échelon local, car le phénomène que nous décrivons ne se cantonne bien sûr pas aux frontières françaises. Cet exemple est l’arrêt HIRSI (2012), par lequel la Cour européenne des droits de l’(homme (Strasbourg) a inauguré et créé l’anarchie migratoire en Europe, en exigeant que les clandestins interceptés en mer Méditerranée même à 300 mètres des côtes africaines soient non pas ramenés en Afrique, mais amenés en Europe pour y exercer ‘leurs droits’. L'arrêt Hirsi s'appuie largement sur le raisonnement juridique des 'amicus curiae’, amis de la Cour qui se sont empressés à son chevet : "Des observations écrites ont été (...) reçues, écrit la Cour européenne, du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, de Human Rights Watch, de la Columbia Law School Human Rights Clinic, du Centre AIRE, d'Amnesty International et de la Fédération internationale des droits de l'homme, agissant collectivement, qui avaient été autorisés à intervenir par le président de la chambre (article 36 § 2 de la Convention)".

Il se trouve que Human Rights Watch, le Centre AIRE - financé par le Programme européen pour l'intégration et la migration (EPIM) financé par Soros - Amnesty International et la Fédération internationale des droits de l'homme - étaient tous financés par l’Open Society Foundation de Georges Soros. Ces organisations ne sont pas seulement mentionnées en passant, leurs rapports sont longuement cités par la Cour européenne dans son arrêt, comme s'il s'agissait d'une source de droit. Cette vassalisation de la justice par de puissants lobbys politiques dévore patiemment le cœur de nos institutions démocratiques.

La même logique se déploie en termes de capacité à capter des ressources publiques pour certaines associations écologistes qui bénéficient de subventions ou de crédits d’impôts lors de campagnes de dons. Est-ce que ce phénomène de captation d'argent et d'aides financières est très répandu ou est-ce marginal ?

Bertrand Saint-Germain : La place manque pour tout détailler, mais là encore il est évident que les liens et corrélations existent. Pour ne parler que du GISTI, une fois de plus, la consultation de la liste de ses mécènes est plus qu’intéressante ! L’association mentionne ainsi pêle-mêle : les services du Premier ministre, le Ministère de l’éducation nationale, la Mairie de Paris ou l’Agence nationale pour la cohésion des territoires, quand les bilans d’activité détaillent l’importance de ces financements publics… Cela d’autant qu’aux financements directs s’ajoutent les financements indirects : ceux-ci interviennent notamment lorsque des administrations envoient leurs agents suivre les formations délivrées par le GISTI… Ou lorsque celles-ci sont suivies par des membres d’autres associations locales, elles aussi bénéficiant de fonds publics… On se prend un rêver que le voile soit un jour levé sur la dilapidation des fonds publics au profit de structures à l’idéologie et l’orientation marxistes marquées.

Il faut encore relever que nombre des contributions extérieures déposées devant le Conseil constitutionnel sont le fait de personnes publiques ou de structures bénéficiant de fonds publics. Lorsque des universitaires rédigent de telles contributions, ils le font sur leur temps de travail rémunéré par la collectivité et lorsque les maires de Rennes, Lille, Strasbourg Lyon oun Paris font de même, leurs contributions sont rédigées par des agents de leurs collectivités… Il y a là tout un écosystème qui se développe et s’auto-entretient par le miracle du ruissèlement des fonds publics…

Drieu Godefridi : J’évoquais en réponse à votre première question la voie d’une réforme drastique. Par quoi j’entends le chemin qu’emprunte actuellement M. Javier Milei en Argentine. Car, il n’y en a pas d’autre. Dans la vision de M. Milei, l’État doit exécuter ses missions régaliennes — lui-même, sans sous-traitance à des associations quelconques — et pour le reste la société civile s’organise par elle-même, en dehors de tout financement public. C’est la vision libérale, au sens fort du terme, celle de Friedrich Hayek, Milton Friedman et de l’école autrichienne. C’est également la seule alternative rationnelle qui s’offre à la France face à l’inexorable descente vers le chaos et l’anarchie, ce cloaque dont n'émerge jamais que la tyrannie.

Est-ce que ceux qui se cachent souvent derrière la démocratie participative ne sont-ils pas des militants qui tentent via des gadgets institutionnels de peser plus que ce que leur accorde vraiment le poids des urnes ?

Bertrand Saint-Germain : La question mériterait là encore une étude détaillée ! Mais oui, la réponse est claire. En quelques mots, on peut relever que ceux qui ont à la bouche le mot de « démocratie participative » sont précisément ceux qui refusent les résultats des votes et de la démocratie élective ! De même, ils sont les premiers à s’opposer à l’idée d’un référendum sur la question de l’immigration ! Topique est d’ailleurs la position du GISTI en la matière. Ces structures se relaient les unes, les autres et visent ainsi à donner la plus grande résonnance possible à leur action afin de faire croire qu’elles seraient majoritaires dans le pays ; chacun sait que c’est loin d’être le cas.

Drieu Godefridi : Là encore, le phénomène n’est en rien propre à la France, même s’il a pris en France des proportions gargantuesques. En Belgique, le parti le plus extrémiste du spectre politique, ECOLO, ne cesse de plaider et réunir des ‘assemblées participatives’ qui concluent, que dis-je, exigent que soient adoptées les mesures prônées par ailleurs, ô surprise, par le parti ECOLO. À l’instar des démocraties populaires de l’époque communiste, la soi-disant démocratie participative est démocratique en nom, et tyrannique en fait.

Bertrand Saint-Germain, Docteur en droit, essayiste, auteur de Juridiquement correct, comment ils détournent le Droit, La Nouvelle Librairie, 2023.

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