Cette dérive de l’ONU qui fragilise plus encore un ordre international déjà largement ébranlé <!-- --> | Atlantico.fr
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Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, s'exprime au siège de l'ONU à New York, le 7 février 2024.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, s'exprime au siège de l'ONU à New York, le 7 février 2024.
©KENA BETANCUR AFP

Nations Unies

Plusieurs expertes de l’ONU s’inquiètent des « attaques » subies par Rokhaya Diallo depuis des années dans le débat public en France. L’ONU n’est-elle pas de plus en plus utilisée par des États du Sud pour mettre les démocraties libérales en accusation permanente ?

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Michaël Prazan

Michaël Prazan

Michaël Prazan est un écrivain et réalisateur français. Il a notamment écrit L’Écriture génocidaire : l’antisémitisme en style et en discours (Calmann-Lévy, essai, 2005), Une histoire du terrorisme (Flammarion, 2012), Frères Musulmans : enquête sur la dernière idéologie totalitaire (Grasset, 2014).

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Atlantico : Plusieurs expertes de l’ONU, dont Mary Lawlor, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les défenseurs des droits humains, s’inquiètent des « attaques » subies par Rokhaya Diallo depuis des années dans le débat public en France, « liées à son travail légitime en faveur des droits de l’homme ». L’ONU considère-t-elle donc que la contestation de propos de militants décoloniaux est une atteinte aux droits de l’Homme ? L’ONU n’est-elle pas de plus en plus utilisée par des États du Sud non démocratiques pour mettre les démocraties libérales en accusation permanente tout en ignorant les dérives souvent plus graves de régimes non occidentaux ? Cela ne contribue-t-il pas à remettre en cause l’universalisme occidental ?

Alexandre Del Valle : L'ONU est devenue depuis les années 1990, une tribune anti-occidentale, surtout via les agences de l'ONU et notamment avec le Conseil des droits de l'homme de l'ONU basé à Genève. L'ONU a plusieurs sièges mais le siège de Genève abrite le Conseil des droits de l'homme qui, depuis les années 1990, passe son temps à traiter l'Europe d'islamophobe et à adopter des résolutions contre l'Europe qui serait raciste et islamophobe. Et il y a même eu des tentatives de faire passer des résolutions pour criminaliser la simple critique d'une religion. Cela a commencé dans les années 2000 avec le sommet de Durban. On le voit aujourd'hui dans les universités américaines avec la rencontre de la haine de l'Occident, de l'antisionisme radical et d'un nouvel antisémitisme qui se posent en antiracistes. Ce phénomène n'est pas nouveau. L'ONU avait reconnu la Déclaration islamique universelle des droits de l'homme qui contredisait totalement la Déclaration universelle des droits de l'homme puisqu'elle préconisait une sorte de conditionnement des droits de l'homme à la charia.

Il y a aussi des raisons structurelles et géopolitiques à ce phénomène. Le Conseil de sécurité permanent des Nations Unies est composé de quinze membres, dont dix rotatifs et cinq inamovibles, les fameux cinq grands de la Seconde Guerre mondiale, les vainqueurs et qui ensuite font partie de l’EU, qui ont fait partie du club atomique, donc la Chine, les États-Unis, la France, l’Angleterre, l’UE et la Russie. Le problème est que l'ONU est totalement paralysée entre les cinq grands qui sont trop souvent assimilés à l'Occident, alors qu'en plus il y a la Russie et la Chine. Les cinq grands peuvent décider de l'emploi de la force et ont un droit de veto sur n'importe quelle résolution du Conseil de sécurité. De l'autre côté, il y a les agences onusiennes comme l'UNRWA, au cœur d’un récent scandale. L'UNRWA est l’agence pour les réfugiés palestiniens A elle seule, l’UNRWA absorbe pratiquement tout l'argent du Haut Conseil pour les réfugiés. Et il y a eu beaucoup de complicité avec le Hamas. Une des agences onusiennes les plus connues, l'UNRWA, chargée de la sacro-sainte cause palestinienne, avait en son sein des gens qui hurlaient de joie quand des Israéliens se faisaient égorger le 7 octobre.

Des pays ont levé les fonds, ont mis des moratoires. Imaginez le nombre d'agences de l'ONU qui sont infiltrées par des milieux tiermondistes radicaux, comme on l'a vu au fameux congrès mondial de Durban. L'Occident a été totalement conspué par une nouvelle sorte de haine anti-occidentale mais phobique de la part des pays du Sud. Le vrai pouvoir de l'ONU, le Conseil de sécurité permanent, est monopolisé par les mêmes depuis les années 50. Il y a une sorte de refuge de tous ceux qui détestent l'Occident et les institutions internationales mises en place par l'Occident. Elles utilisent les agences onusiennes, le Conseil des droits de l'homme, l'UNRWA, l'UNESCO qui avait reconnu déjà la Palestine, mais aussi bien sûr, l'Assemblée générale des Nations Unies. Une partie de l'activité de l’ONU, hors Conseil de sécurité, est devenue une sorte de réceptacle de toutes les haines anti-occidentales du monde communiste, du monde islamique et du Sud global.

Michaël Prazan : Rokhaya Diallo, qui n’est pas la plus sotte de nos décoloniaux, a en partie été formée à l’idéologie woke aux Etats-Unis, après l’élection de Barack Obama. Elle fait figure de symbole des « discriminations » française à l’étranger. D’une certaine façon, elle est le produit du soft power américain, qui a lui-même été influencé par les théories décoloniales sud-américaines. Son discours a fait tâche d’huile dans les rangs de pays du Sud qui en ont fait une arme contre l’Occident. Non sans paradoxe, par atavisme historique, nombre de ces pays que l’on rassemble sous la bannière d’un « Grand Sud » soutiennent, tel le Venezuela, la guerre menée par la Russie. Vladimir Poutine est pourtant loin d’avoir cédé aux sirènes du wokisme ! Beaucoup de ces Etats du Sud dont sont des dictatures. A cet égard, on peut légitimement penser qu’attaquer l’Occident, c’est aussi attaquer la démocratie et donc, de légitimer, de manière performative, leurs pouvoirs autoritaires.

Mais ces discours qui accablent l’universalisme occidental sont aussi devenus un marqueur de gauche dans de nombreux pays occidentaux. De ce point de vue, il est à noter que Mary Lawlor est Irlandaise. On aura remarqué que l’équipe irlandaise de basket-ball a refusé de serrer la main de l’équipe israélienne à l’occasion du match du 8 février dernier. Cela résulte du soft power que je citais plus haut, mais également de représentations nationales. L’Irlande projette probablement une partie de son histoire et de son conflit contre la Grande-Bretagne sur la situation palestinienne. Il y a donc aujourd’hui un prêt-à-penser idéologique qui va de la défense des Palestiniens aux discours sur le genre, aux discours décoloniaux, racialistes, etc. A l’ONU, il cible en partie les membres du Conseil de sécurité, dont les membres représentent le monde de l’Après-guerre, le monde d’avant, et des Etats-Unis. La France n’est pas très loin derrière. On peut donc s’étonner, d’une part de l’extraordinaire ingérence dont font preuve la rapporteuse des Nations Unis pour la défense des droits de l’homme et ses alliées, mais aussi d’un coupable deux poids deux mesures. Il me semble de bonne guerre que Rokhaya Diallo, qui n’a besoin de personne pour se défendre, soit contestée dans le pays où elle s’exprime. Or, je n’ai pas entendu que Mme Lawlor s’insurge contre le fait que les vrais défenseurs de la démocratie ou de l’universalisme – et je pense ici à Philippe Val, notamment – soient menacés de mort par les islamistes. N’oublions jamais que les journalistes de Charlie Hebdo sont toujours sous protection policière et que ses journalistes risquent leurs vies tous les jours. 

De nombreux États n’utilisent-ils pas les armes de la démocratie en retournant ses valeurs contre les États occidentaux, au regard de la composition de la commission des droits de l’homme notamment ?

Alexandre Del Valle : Pour des raisons de diplomatie, parce qu’il y a 192 Etats, il n’est pas possible de donner uniquement des commissions aux Etats démocratiques. Pour des raisons structurelles, très souvent, des commissions tournantes sont attribuées à des Etats qui ont des valeurs différentes, voire opposées. Dès lors qu'une organisation internationale est composée de tous les Etats du globe et dès lors que cette organisation n'est pas réservée qu'aux Etats démocratiques, tout le monde y a droit, y compris la Russie, la Chine, la Corée du Nord. Tous les pays du monde ont le droit d'être membres de l'ONU. D'un point de vue juridique international, dès lors que tous les Etats en sont membres et que cette organisation ne sélectionne pas les membres en conditionnant par la démocratie libérale obligatoirement ces institutions onusiennes qui ont une majorité de pays du Sud et une majorité de pays non démocratiques ou peu démocratiques ou avec une démocratie illibérale, forcément, cela se reflète dans les instances onusiennes.

L'ONU est une est composée d'une majorité de pays qui soit détestent l'Occident, soit n'ont pas les mêmes valeurs que l'Occident. Beaucoup sont ceux, surtout les pays du Sud, en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, mais surtout l'Afrique, l'Amérique latine aujourd'hui, qui utilisent l'ONU comme une sorte de plateforme légale pour régler leurs comptes avec l’Occident. C’est la raison pour laquelle il y a beaucoup de mensonges. Quand l'ONU adopte régulièrement des résolutions ou des questions concernant l'islamophobie et le racisme des Européens, d'Israël ou de l'Amérique. Les pays du Sud ne condamnent globalement jamais la Chine ou l'Inde pour les persécutions des musulmans. Cela montre bien qu’ils savent très bien ce qu'ils font. Ils savent très bien qu'il y a des persécutions bien supérieures en Inde ou en Chine mais l'idée est d'accabler l'Occident et de retourner l'ONU contre l'Occident pour délégitimer les puissances occidentales dans une logique de revanche post-coloniale et post-communiste.

Cette dérive est-elle aggravée par l’alliance entre les militants anti-occidentaux du Sud et les décoloniaux et progressistes occidentaux ? 

Alexandre Del Valle : Il y a une alliance entre les wokistes et les différents mouvements de gauche à l'intérieur de l'Occident. Au niveau international, le sud global revanchard, qui n'est pas toujours progressiste, gauchiste ou marxiste comme on le voit avec les nationalistes au Mali, au Niger, au Burkina Faso, utilise n'importe quel levier pour affaiblir l'Occident. L'OCI, l'Organisation de la coopération islamique, qui réunit 57 pays musulmans, participe également à ce mouvement. Ces pays musulmans veulent un ordre international désoccidentalisé même quand certains sont pro occidentaux. Ces pays veulent un système juridique différent de l'Occident. Il y a aussi la Corée du Nord, la Russie et la Chine qui critiquent l’Occident. 

La gauche internationale d'origine européenne, les pays d'Afrique revanchards, le monde islamique avec l'OCI sont à l'avant garde de cette haine envers l'Occident. 

Michaël Prazan : Elle n’est pas récente : cela fait plus de 20 ans, maintenant, que nous l’observons. Elle s’est manifestée notamment à la conférence de Durban, en 2001, organisée par l’Afrique du Sud, où, sous couvert d’antiracisme, cette conférence onusienne a aussitôt dérivé vers un antisémitisme et un antisionisme aussi brutal que décomplexé. Ces attaques contre l’Occident se cachent derrière des alibis divers, qui permettent de clouer les pays ciblés au pilori.

Cette dérive est-elle arrêtable ou non ? Quelles sont les conséquences pour l’ordre international ?

Alexandre Del Valle : Il s’agit bien plus qu'une simple dérive de l'ONU. L’ONU agit ainsi depuis la décolonisation, depuis que des pays sont devenus libres après la colonisation. La décolonisation a été positive pour les pays concernés mais le problème concerne la seconde décolonisation avec les pays qui n’ont pas été satisfaits d'être devenus indépendants. Ces pays veulent décoloniser en permanence l'Occident de manière juridique, psychologique, politique. L'ONU s'est élargie à des pays qui étaient peu démocratiques ou pas démocratique, ou qui étaient anti-occidentaux. Certains de ces pays avaient une revanche à prendre avec l'Occident parce qu’ils ne digèrent pas d'avoir été colonisés. L'ONU est de plus en plus devenue, à partir des années 1960 - 1970, une organisation de plus en plus composée de membres qui détestent l'homme blanc occidental.

Le monde occidental n'a pas cherché à réformer l'ONU et à intégrer par exemple dans le Conseil de sécurité permanent le Brésil et l'Inde. Le Sud se serait senti inclus. Le problème est que les grandes institutions internationales, comme l’ONU, le FMI, la Banque mondiale sont restées paralysées et n’ont pas voulu partager le gâteau avec le Sud global. Donc ces pays se défoulent à l'intérieur de l'ONU pour critiquer l'Occident qui est accusé d'être toujours colonial et impérialiste.

Michaël Prazan : Les dissensions au sein du Conseil de sécurité conduisent à son inertie, une forme de paralysie qui laisse le champ libre à des acteurs qui, jusqu’alors, avaient le sentiment de n’avoir pas droit au chapitre. L’ONU a pour objectif et pour vocation d’empêcher la guerre. En réalité, elle ne produit que du conflit, et va de discrédits en discrédits. Voyez l'UNRWA (l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens) : douze de ses employés ont directement participé au massacre du 7 octobre en Israël, tandis que 190 sont des agents du Djihad islamiques, 3 000 d’entre eux ont célébré les attentats du 7 octobre sur Telegram. En tout et pour tout ce sont près de 6 000 employés qui sont directement liés ou affiliés soit au Djihad islamique, soit au Hamas. L’UNRWA produit par ailleurs des manuels scolaires qui encouragent le Djihad et la haine des Juifs. Philippe Lazzarini, son commissaire général à l’ONU, prétend ignorer cette situation, ce qui semble bien peu crédible. Quant au Conseil des droits de l’homme, comment le prendre au sérieux. En 2010, il était présidé par la Libye de Khadafi, et aujourd’hui par l’Iran. Cela ressemble à une blague !

Quelle doit être la stratégie de l’Occident face à cette situation et face aux critiques de l’ONU ? Et encore plus à un moment où un divorce est possible entre l’Europe et les États-Unis au regard des récents propos de Donald Trump sur l’OTAN ?

Alexandre Del Valle : Les récents propos sur l'OTAN de Trump sont plutôt bon signe. Il s’agit du meilleur cadeau que l'Amérique pourrait faire à l'UE pour que l'Europe puisse exister vraiment. Les Européens devraient s'occuper eux-mêmes de leur défense et que les Etats-Unis ne payent plus pour l'OTAN. Il faut renverser les choses. Il ne faut pas voir les propos de Trump comme une trahison ou un abandon de l'OTAN ou quelque chose de grave. Il faut voir les propos de Trump comme quelque chose de réaliste. Les États-Unis payent 70 % des dépenses de l'OTAN. Trump nous rendrait un grand service car pour une fois, l'Europe serait obligée de penser à sa propre défense. Et elle serait mieux assurée puisqu’il est naturel de se défendre beaucoup mieux par rapport à ses propres intérêts.

La difficulté de l’Europe concerne le syndrome de la culpabilité. Cette culpabilité européenne a été totalement rendue pathologique et s'est retournée contre les Européens. Lorsque les pays du Sud global critiquent l'Europe pour son racisme ou sa haine envers les musulmans, ils trouvent un écho puisque les Européens sont abreuvés de culpabilisation.

L’Europe doit donc cesser d'entretenir une culpabilité permanente. L’Occident se sent coupable de l'esclavage alors que toutes les sociétés du monde ont pratiqué l'esclavage. L'Occident a aboli la colonisation, combattu le racisme et l’antisémitisme. 

Donc on voit bien la réponse de l'Occident ça devrait être à chaque fois que l'ONU, que les conférences de Durban ou que des déclarations du Conseil des droits de l'homme, des Nations Unies ou autres, etc.

Le problème de l'Occident est que lorsque certains pays se livrent à des critiques racistes, font des généralisations ou de l'essentialisme, l'Occident ne répond jamais. Et quand il y a des propos extrêmement radicaux des résolutions de l'ONU ou d'agences de l'ONU contre l'Occident, on ne voit jamais l'Occident protester ou répondre aux attaques de diabolisation en refusant d'être culpabilisé. L’Occident est complice à chaque fois qu'il est culpabilisé. Lorsqu’un accusateur essaie de vous diaboliser, la seule technique possible est de dénoncer immédiatement sa posture.

Michaël Prazan : L’offensive de Vladimir Poutine, ne s’est pas soldée par une victoire fulgurante. Or, Poutine mise sur l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis pour gagner sa guerre en Ukraine, et je crois que c’est effectivement ce qui se passerait dans ce cas de figure. L’armée ukrainienne vit actuellement sous perfusion de l’argent et des armes fournies par les Etats-Unis. Si le robinet venait à se fermer, la victoire serait acquise pour Poutine. C’est clairement ce qui nous guette. Dès lors, il va de soi que les dernières déclarations de Trump sur l’OTAN, qui entend casser la défense transatlantique et laisser le champ libre à Poutine sont extrêmement préoccupantes, en particulier pour les pays en deuxième ligne du conflit tels que les nations Baltes ou la Pologne. 

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