Cette catastrophe économique ET SOCIALE que provoquerait l’application du programme du Nouveau Front Populaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Les membres du « Nouveau Front populaire » réunis à la Maison de la Chimie, à Paris, le 14 juin 2024.
Les membres du « Nouveau Front populaire » réunis à la Maison de la Chimie, à Paris, le 14 juin 2024.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Programme « de rupture »

Blocage des prix des biens de première nécessité dans l'alimentation, l'énergie et les carburants, faire passer le SMIC à 1.600 euros ou revaloriser les APL… Le « Nouveau Front populaire », qui rassemble les principaux partis de gauche, a dévoilé les mesures-clés de son programme commun de gouvernement.

Nathalie Janson

Nathalie Janson

Nathalie Janson est professeur associé d'économie au sein du département Finance à NEOMA Business School. Elle a obtenu son Doctorat en Economie à l'Université Paris I-La Sorbonne en collaboration avec le programme ESSEC PhD.

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Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Atlantico : Au lendemain de la signature de l’accord qui donne naissance au Nouveau Front Populaire, les cadres des quatre principaux partis de gauche en ont présenté les grandes lignes et le programme « de rupture » ce vendredi 14 juin. Ce programme est-il crédible et financièrement réaliste ?

Nathalie Janson : Le programme du NFP n’a pas comme vocation d’être financièrement réaliste dans un premier temps. Il est basé sur le concept du multiplicateur keynésien qui met avant la demande comme moteur de relance de l’économie. En distribuant de l’argent aux familles aux revenus les plus faibles, on augmente la consommation parce qu’elles consomment une part plus importante de leur revenu (propension marginale à consommer) et on relance l’activité économique. L’activité générée par l’accroissement de consommation rembourse la dépense initiale parce qu’on suppose un multiplicateur >1. La limite de ce raisonnement est qu’un multiplicateur >1 n’est pas prouvé.

Au-delà des augmentations irréalistes de salaires minimum et de réforme des retraites, il y a le blocage des prix qui nie l’importance du prix de marché dans l’allocation des ressources. Si les prix sont bloqués, inéluctablement, il y aura pénurie puisque les entreprises n’auront pas d’incitation à vendre.

Jean-Luc Demarty : Le programme du Nouveau Front Populaire est économiquement délirant. Il porte la marque des trotskystes de LFI. Il est plus irresponsable que le programme de Mitterrand en 1981. Celui-ci a pourtant conduit à trois dévaluations successives du franc en moins de deux ans pour aboutir au plan de rigueur de mars de 1983 qui a remis l’économie française sur les rails et restauré sa compétitivité, grâce à deux socio-démocrates courageux, Jacques Delors et Pierre Mauroy. Cet héritage a été saccagé par Lionel Jospin, un autre trotskyste, par l’introduction des 35 h en 1998 dont l’économie française ne s’est jamais remise. En 1981 le budget de l’Etat était à l‘équilibre et l’endettement n’était qu’à 10% du PIB, laissant des marges de manœuvre rapidement épuisées. Aujourd’hui le budget de l’Etat a un déficit qui dépasse 5% du PIB et un endettement qui dépasse 110% du PIB, ne laissant aucune marge de manœuvre.

On ne dispose pas encore du chiffrage détaillé de ce catalogue de mesures couteuses. Selon le LFI Coquerel le coût s’élèverait à 150 milliards d’Euros. Les mesures les plus couteuses sont l’augmentation de 200 Euros par mois du SMIC net, de 10% du point de la fonction publique, de 10% des APL, l’indexation des salaires, le rétablissement de la retraite à 60 ans, le passage à 32h pour les métiers pénibles, la création d’un congé menstruel, la prise en charge complète de l’isolation des logements des ménages modestes. Il serait financé par des hausses massives de l’impôt sur le revenu qui passerait de 4 à 14 tranches, par une plus grande progressivité de la CSG, par la suppression de la flat tax, par l’augmentation de la progressivité de l’impôt sur les successions et la fixation d’un héritage maximum, par le rétablissement et le renforcement de l’impôt sur la fortune, par la taxation des « superprofits » des agro-industriels et de la grande distribution. 

Ce programme n’a aucune crédibilité. La France a déjà le record du monde des dépenses publiques (57% du PIB), des prélèvements obligatoires (47% du PIB), des transferts sociaux (32% du PIB) et du taux marginal de l’impôt sur le revenu (55% avec la CSG), un taux marginal élevé des droits de succession (45%), une flat tax élevée (30%). L’industrie agro-alimentaire française, comme l’agriculture française, ont déjà un problème majeur de compétitivité à l’intérieur de l’UE. Il est peu probable que la grande distribution fasse des superprofits même si son comportement est souvent proche de l’abus de position dominante. Il est probable que les quatorze tranches de l’impôt sur le revenu aboutiraient à concrétiser le rêve obsessionnel de Piketty d’un taux marginal de 80%, alors que la France est un des pays les moins inégalitaires (indice de Gini de 0,28 qui n’a pas bougé en trente ans)

Ce matraquage fiscal sans précédent, proche de la spoliation, serait probablement quand même insuffisant pour couvrir les 150 milliards d’Euros de dépenses supplémentaires. Même si c’était théoriquement le cas, l’encouragement à la fuite, à l’évitement et à la fraude serait énorme et conduirait à des recettes très inférieures. En outre cela ne couvre en aucune manière le déficit excessif actuel. Les taux d’intérêt auxquels la France doit financer sa dette pour plus de moitié auprès des non-résidents exploseraient. En une semaine le spread avec l’Allemagne s’est accru de 0,2% et le CAC 40 a baissé de 7%. Il est lamentable de constater que les taux d’intérêt français sont désormais supérieurs aux taux d’intérêt portugais et proche des taux d’intérêt espagnols. Le Portugal est un cas très intéressant. Ce pays dans une situation gravissime après la crise financière de 2008/2010 a fait courageusement des efforts inouïs pour s’en sortir principalement sous la direction d’un premier ministre socialiste modéré, Antonio Costa. Il recueille maintenant le fruit de ses efforts. La comparaison n’est pas à l’honneur des gouvernements de la France depuis 25 ans. La gauche française actuelle, la plus folle et la plus dangereuse du monde développé, trouve le moyen de sombrer dans la démagogie et le laxisme.  

Les effets économiques de ce programme seraient encore pires que ses effets budgétaires et financiers. Le problème actuel principal de l’économie française est déjà que les Français à temps complet ne travaillent pas assez en moyenne dans l’année et tout au long de la vie (15% de moins que les Allemands). Le retour en arrière sur les réformes de l’assurance chômage réduirait encore l’incitation au travail, déjà insuffisante. La compétitivité de la France déjà atteinte depuis les 35h, même si un début de réindustrialisation se manifeste, serait massivement dégradée par l’explosion des coûts salariaux. L’indexation des salaires contre laquelle Jacques Delors s’est battu avec succès entre 1981 et 1984, appliquée seulement en Belgique, ferait repartir fortement l’inflation. Le déficit commercial de la France déjà de 100 milliards d’Euros doublerait. Le déficit de sa balance des paiements, actuellement de 2% du PIB, passerait à 5% du PIB. Il ne serait plus finançable. Il ne faudrait plus compter sur les capitaux extérieurs pour investir en France. Il est surréaliste que le programme du Nouveau Front Populaire prétende relancer la production. C’est un programme de sortie de l’Euro et de l’UE.

Blocage des prix des biens de première nécessité dans l'alimentation, l'énergie et les carburants, faire passer le SMIC à 1.600 euros ou revaloriser les APL… Dans quelle mesure un tel programme peut-il en réalité se retourner contre ceux qu’il est censé aider ?

Nathalie Janson : Le premier retournement serait la pénurie dans le cas de blocage de prix puisque si les entreprises ne pourront plus vendre à ce niveau de prix. Elles délaisseront les produits de première nécessité pour produire les produits dont les prix ne sont pas bloqués. S’il est bien un consensus en économie, c’est bien sur l’inefficacité du blocage des prix. Les entreprises privées n’ont aucun intérêt à poursuivre la production de biens qui n’est pas rentable. Cette situation engendrera pénurie et marché noir. En ce qui concerne la revalorisation du SMIC, elle a toutes les chances d’augmenter le chômage puisque dès que la valeur produite par les salariés au SMIC  est en deça de 1600€, les entreprises n’auront plus intérêt à embaucher et/ou on aboutira à une accentuation de la smicardisation de l’économie.

Jean-Luc Demarty : Le blocage des prix ne marche jamais. Son seul effet est de chasser les produits des rayons. On le voit déjà pour les médicaments de base. Dans une économie ouverte, les produits aux prix bloqués vont se vendre ailleurs. Cela créée une économie de pénurie qui pénalise les plus modestes.  C’est le modèle vénézuélien cher à Mélenchon. Une augmentation du SMIC de près de 15% avec une inflation à 2,5% est déraisonnable. LFI la présente comme un rattrapage sur l’inflation. C’est un mensonge grotesque puisque le SMIC est indexé sur l’inflation par la loi. On notera que Mitterrand n’avait augmenté le SMIC que de 10 % en 1981 pour une inflation du même ordre de grandeur. Le résultat sera la destruction de plusieurs centaines de milliers d’emplois et une explosion du déficit extérieur. Il est vrai que le travail n’est pas assez rémunéré du fait du coût de l’assistanat généralisé, des arrêts de travail abusifs, et du chômage de convenance qui représente environ un tiers des chômeurs, qui sont financés par les cotisations sociales au-dessus du salaire net. Il n’y a que deux moyens d’augmenter le salaire net, soit les gains de productivité, soit la réduction des cotisations sociales. L’APL est une des dépenses publiques les plus inefficaces qu’il faut réformer.


Dans quelle mesure ce programme peut-il vraiment être mis en œuvre au regard de la pression des marchés ou des instances internationales ? Quel serait son impact sur la croissance ?

Nathalie Janson : Effectivement la réaction des marchés peut être ce qui précipitera la fin d’un tel programme puisqu’au vue des réactions à la seule probable changement de majorité plus nationaliste, le spread s’est accru de plus de 50 points de base. Un tel programme conduirait à une crise de la dette souveraine française appuyée par un rappel à l’ordre des instances Européennes pour manquement au pacte de stabilité et de croissance récemment adopté par le Parlement Européen. Il serait inimaginable que l’Europe nous enverrait une troika comme ne Grèce !!

Jean-Luc Demarty : Le coût du financement des déficits français va exploser et risque de devenir non finançable. Les autres pays de la zone Euro n’accepteront jamais que la France mette en cause la stabilité de l’Euro. Si la France n’applique pas les ajustements nécessaires que d’autres pays plus mal en point, comme la Grèce et le Portugal, ont acceptés, la sortie de l’Euro et de l’UE deviendrait inévitable. Ce serait un appauvrissement de la France, comme le Brexit l’a démontré, mais aussi le début de la fin de l’UE. Ce serait gravissime pour le continent et une victoire de Poutine. 

Ce programme keynésien très mal dosé pourrait entraîner un supplément artificiel de croissance pendant un trimestre, générant un énorme appel aux importations et une contraction ultérieure de la production domestique qui généreront très vite des effets récessifs avec un déséquilibre extérieur massif.

S’agissant des accords de libre-échange, la France ne pourra rien faire contre les accords existants ni empêcher la conclusion de nouveaux accords qui relèvent de la majorité qualifiée du Conseil et de la majorité simple du Parlement Européen. Même si elle notifie son incapacité définitive de ratifier l’accord avec le Canada, il n’est même pas certain que cela mette fin à l’application provisoire, favorable à la France. Même si cela était le cas il suffirait de transformer l’accord avec le Canada en un accord de libre-échange de compétence exclusive, que la France ne pourrait empêcher.


Quelles mesures ce programme détricote-t-il du quinquennat Hollande ?

Nathalie Janson : La plus importante sans aucun doute serait la loi travail et le CICE. 2 lois qui ont clairement réorienté la politique économique en faveur de l’offre alors que le programme du nouveau FNP est orientée uniquement sur la demande.

Jean-Luc Demarty : François Hollande a mené pendant les deux premières années de son mandat un programme keynesien modéré de 20 milliards d’Euros, financé par des impôts supplémentaires, qui n’a pas amélioré la compétitivité de la France, avec un effet légèrement récessif. Pendant les trois dernières années, François Hollande a mené une politique de l’offre plutôt intelligente, avec notamment le CICE et la loi El Khomri. Cela a été extrêmement difficile parce qu’il n’avait plus de majorité du fait des frondeurs placés par Martine Aubry qui avait géré les investitures en 2012. Cette politique a amélioré la compétitivité de la France et stabilisé le déficit du commerce extérieur autour de 60 milliards d’Euros, mais à un coût budgétaire élevé.

Le programme du Nouveau Front Populaire est la négation des efforts de François Hollande. Il est d’autant plus incompréhensible qu’il se soit rallié au Nouveau Front Populaire à la différence de ses deux anciens premiers ministres Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Son ralliement est intervenu avant la publication du programme, imprudence surprenante d’un politique aussi expérimenté et madré. Probablement il ne pouvait imaginer que les dirigeants socialistes pourraient soutenir un programme aussi démagogique et dangereux.


Le président du Rassemblement national, désireux d’apparaître « raisonnable » sur le plan économique, est d’ores et déjà revenu sur une mesure phare, la retraite à 60 ans. Le programme du Nouveau Front Populaire est-il pire que le programme du RN ? Si oui, à quel point ?

Nathalie Janson : Il est pire parce qu’il est plus dispendieux et il revient vers une retraite à 60 ans. Dans le programme du RN, l’essentiel se fait sur la baisse/suppression de la TVA. On retrouve en commun le blocage des prix.

Jean-Luc Demarty : Le programme du RN, dans sa version de 2022, est d’une intensité démagogique proche de celui du Nouveau Front Populaire, 120 milliards d’Euros de dépenses et 18 milliards de recettes. Il est pire sur le plan des déficits et moins mauvais sur le plan de la compétitivité.

Il est vrai que Jordan Bardella se concentre actuellement surtout sur l’immigration et la sécurité. Toutefois il maintient la baisse de la TVA sur l’énergie qui coûte 12 milliards d’Euros. La principale incertitude concerne le retour à la retraite à 60 ans avec 40 années de cotisations. Si cette réforme est abandonnée, le programme du RN devient nettement moins dangereux que celui du Nouveau Front Populaire, et même nettement moins dangereux tout court.

Malheureusement Jordan Bardella maintient son plan pour les retraites pour un deuxième temps. Le RN n’a pas compris que les Français ne travaillaient pas assez dans l’année et tout au long de la vie par rapport aux autres Européens, ni qu’on ne pouvait distribuer de pouvoir d’achat sans gain de productivité. Ainsi le pouvoir d’achat a progressé de 5,7 % depuis 2020, malgré une baisse de la productivité de 6%. C’est le reflet des excès du quoi qu’il en coûte. La France ne pourra se redresser qu’à la condition que les Français travaillent en moyenne davantage, à l’exception des cadres supérieurs et des indépendants qui travaillent déjà davantage que leurs homologues européens. C’est aussi la condition pour demander des efforts supplémentaires aux plus aisés.

En conclusion il subsiste beaucoup trop d’incertitude pour savoir si Jordan Bardella est en train de se Meloniser ou bien si la ligne de Marine Le Pen, à la préférence pour la démagogie et à l’inculture économique notoire continuera de s’imposer.

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