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Cette bourde monumentale que s’apprête à commettre l’Etat français en vendant ses participations dans les aéroports de Nice et de Lyon
©REUTERS/Greg Wood/Pool

Etat (mauvais) stratège

Après l'aéroport de Toulouse-Blagnac vendu en 2014 à un consortium chinois, l'Etat s'apprête à se défaire des participations qu'il possède pour ceux de Lyon et de Nice, pourtant bénéficiaires. Une vente qui s'apparente plus à un "coup" pour engranger de l'argent frais que d'une stratégie économique de l'Etat.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » du « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).

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Atlantico : Après la cession partielle de l'aéroport de Toulouse-Blagnac en 2014 ; restée dans toutes les mémoires ; à un fond étranger chinois, la prochaine cession partielle des deux aéroports régionaux de "Nice-côte d’Azur" et "Lyon Saint-Exupéry", semble se profiler. L’Etat est-il bien avisé en la matière, car il ne s'agit pas ici de n'importe quelles infrastructures, mais bien "d’intérêts économiques vitaux" pour la France ?

Franck DeCloquement : Au cœur de l'été, une actualité tout à fait intéressante pour les observateurs avisés de la vie économique française, semble en effet passer totalement inaperçue. Et ceci probablement, en raison de la diversion involontaire opérée par le brouhaha footballistique des dernières semaines. Il s’agit bien entendu de la privatisation partielle du premier et du deuxième aéroport régional français : Nice-côte d’Azur et Lyon Saint-Exupéry. L'article 49 de la loi Macron autorise désormais le transfert au secteur privé, de la majorité du capital des sociétés gérant ces deux grands aéroports régionaux français. Les infrastructures aéroportuaires et le foncier demeureront la propriété de l'Etat. Et cette dernière opération pourrait en outre rapporter jusqu'à 1,6 milliard d'euros dans les caisses de l’Etat Français, qui s'était déjà désengagé en 2014 de l'aéroport de Toulouse-Blagnac. Un aéroport racheté entre-temps par le consortium de sociétés chinoises "Symbiose"

Une vente officialisée en juillet 2015 par l’Etat, qui avait d’ailleurs provoqué une vive polémique. Et ceci, compte tenu de la disparition mystérieuse – dans l’interstice – de l’homme d’affaires qui avait, en outre, piloté ce rachat : Mike Poon. La société française créée pour gagner la privatisation, Casil Europe, avait en effet tout d’une "société écran", avec un capital dérisoire d’environ 10 000 euros, pour mémoire… Mike Poon avait été également mis en cause dans une enquête sur la China Southern Airlines, avait-on appris dans la foulée de cette vente partielle d’ATB. Rétrospectivement, un étrange choix de l’Etat s’il en est, comme certains observateurs s’en étaient émus à juste titre. 

Vendre à ce prix ne s'apparenterait-il pas à une forme de "braderie" de nos deux aéroports régionaux emblématiques, Nice-côte d’Azur et Lyon Saint-Exupéry ? Le bénéfice annoncé de 1.6 milliards ne semble-t-il pas en-dessous de la "valeur stratégique" réelle de ces deux infrastructures françaises, pourtant bénéficiaires ?

Dans le cas qui nous occupe, l'APE (l’Agence des Participations de l'Etat) qui pilote le processus de décision s'est refusé jusqu'alors à faire des commentaires en la matière. Mais des sources proches du dossier ont confirmé dans la presse qu’il y aura bien un troisième appel d'offre en ce qui concerne la privatisation de l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry. Et la cession des participations de l'Etat français sera en principe finalisée d'ici à dix jours. En résumé, la semaine qui s’annonce apparait décisive, pour la reprise des deux plateformes aéroportuaires emblématiques que sont Lyon Saint-Exupéry et Nice-côte d’Azur par de nouveaux opérateurs

Deux candidats semblent se détacher pour l’heure. Le français Vinci pour Lyon Saint-Exupéry et l’italien Atlantia pour Nice-côte d’Azur. Dans le cadre de cette privatisation partielle, onze offres fermes au total auraient été déposées lundi dernier, par des fonds d'investissements, mais aussi des groupes d'infrastructures. En parallèle, deux candidats au moins semblent avoir déclaré forfait. Et ceci dans la dernière ligne droite. De toute évidence, la cession des participations de l'État dans ces deux principaux aéroports régionaux français sera finalisée d'ici à dix jours. Et elle devrait désigner ces deux candidats "Atlantia" et "Vinci", parmi la dizaine de dossiers présélectionnés au début de la semaine.

D'autant que certains postulants à l'appel d'offre n'ont pas démontré - par le passé - de bonnes compétences de gestion... Et ceci pose de véritables questions éthiques en matière de choix ? 

L'État avait inscrit dans la loi Macron, votée le 10 juillet 2015, sa volonté de céder ses 60% du capital de ces deux aéroports français. Pourtant, chez plusieurs candidats  à la reprise, on comprend mal comment des dossiers techniques aussi complexes ont pu être épluchés aussi rapidement par les spécialistes mandatés. Selon certaines sources,  il n’aura fallu que cinq jours à l'État pour analyser les offres déposées le 4 juillet. Alors que la rédaction des cahiers des charges de ces deux opérations de cession prit elle, de très longs mois. Pour Bercy, il n'a semble-t-il  pas été compliqué de réaliser un premier "écrémage" dans les dossiers de candidature, sur la base de points très précis : les candidats qui n'avaient par exemple pas de références dans la gestion aéroportuaire, et dont les offres financières ne dépasseraient pas les ratios appliqués pour l'opération précédente de Toulouse-Blagnac. 

Pourtant,  l'Etat semble bien souvent ne pas disposer d'une vision stratégique très fondée concernant l’évaluation de certaines candidatures, sur la base de critères techniques et industriels objectifs. Certes, la France doit s'ouvrir économiquement aux investisseurs étrangers, chacun en convient. Mais comment expliquer alors que des informations essentielles et discriminantes ne soient pas prises en compte, dans la bonne gestion des candidatures ? Dans les postulants, on pense immédiatement aux mieux-disants étrangers en effet, comme le Turc "Limak" (proche d'Erdogan). Mais également à l'Italien "Atlantia" (souvenez-vous fameux les portiques "Ecotaxe" : c'était eux), donné favoris par certains pronostiqueurs dans la cession de l’aéroport de Nice-côte d’Azur. 

Problème : La mauvaise gestion de l’aéroport international Léonard-de-Vinci situé à Fiumicino près de Rome par Atlantia semble fondée selon certains observateurs, si l’on se réfère à certaines informations de sources ouvertes. Un exemple emblématique parmi d’autres en quelque sorte : en moins d’un an, il y a eu deux incendies dans cet aéroport – dont le dernier – il y a quelques jours seulement, sur une gaine du toit d’un bâtiment proche du terminal T5, rapportait le site Roma Today. Certains feux ayant même contraint l'autorité aéroportuaire à suspendre dans le passé, tous les décollages, avant que la situation ne revienne progressivement à la normale, selon l'Autorité de l'aviation civile italienne (L’Enac). L'activité de l'aéroport de Rome-Fiumicino avait déjà été sérieusement perturbée début mai 2015, par un incendie dans le terminal 3, obligeant en outre une réduction de près de 40% des vols pendant des semaines… Des contradictions notables existent entre la volonté de soigner les apparences et l’image, et l’investissement réel dans la gestion véritable et l’entretien des infrastructures techniques, résumait  "L’Ultima Ribattuta" dans un article de fond consacré spécifiquement à l’analyse de ces différents sinistres à répétition. 

Par ailleurs, "Alitalia", compagnie nationale italienne, avait menacé de quitter l’aéroport international de Rome-Fiumicino afin de "gagner des cieux plus cléments", car selon elle "le concessionnaire n’investit pas assez". C’est un peu comme si Air France menaçait de quitter CDG ! "L’aéroport de Fiumicino n'est toujours pas une infrastructure adéquate pour servir de 'hub' à une compagnie qui a les ambitions que nous avons", a déclaré son directeur général, Silvano Cassano. Les problèmes de Fiumicino résulteraient selon les observateurs, "d'années et d'années d'investissements et de planifications inadéquats" qui en font aujourd’hui "des problèmes structurels", a-t-il ajouté. Et de conclure dans la presse : "si Fiumicino continue à miser sur les compagnies low cost et de médiocres services, Alitalia sera contrainte de se déplacer ailleurs pour assurer son développement". Au point d’abandonner l’escale romaine ? 

Autre mauvais signal s’il en est : pour les mêmes raisons, une compagnie aérienne a déjà décidé de quitter l’aéroport de Fiumicino. La compagnie aérienne "EasyJet" a en effet fermé sa base en 2016. Ses avions seront progressivement redéployés vers Venise, Milan Malpensa et Naples. La low-cost britannique a expliqué cette décision en citant des rendements plus faibles à Fiumicino qu’ailleurs, une dégradation des performances, un doublement de la redevance passagers, de faibles niveaux de ponctualité. Mais pour l’essentiel : "un mécontentement général de sa clientèle". Un retrait progressif d’EasyJet à Rome d’ailleurs confirmé par les chiffres : moins 50% d’activité sur la période 2016 selon Bloomberg, par rapport à l’année 2015. Et ceci sur la même période avril – juin. 

Au-delà de ces exemples partiels, et peut-être aussi partiaux, veut-on vraiment confier les clés de l’aéroport niçois à une société côtée en bourse, et qui semble sous-investir depuis son entrée en gestion en 2013 dans son seul actif aéroportuaire connu – l’aéroport de Rome – au point de dépiter l’une de ses principales compagnies aériennes cliente : Alitalia ? La question peut en effet être posée avant que l’heure des choix ne sonne dans cette "grande braderie". Dans le même ordre d’idées, on pourrait suggérer la lecture édifiante d’un très intelligent petit livre signé d’Olivier Hassid et Lucien Lagarde : Menaces mortelles sur l’entreprise française, et spécifiquement le chapitre III au titre très illustratif : "Le démantèlement des fleurons nationaux". 

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