Cette asphyxie économique qui menace désormais plus l’Ukraine que l’armée russe<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky prend la parole lors d'une conférence de presse avec des médias internationaux dans une station de métro à Kiev, le 23 avril 2022.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky prend la parole lors d'une conférence de presse avec des médias internationaux dans une station de métro à Kiev, le 23 avril 2022.
©GÉNIA SAVILOV / AFP

Blocus

Depuis le début de l’offensive russe en février dernier, l’Ukraine est particulièrement soumise aux effets du conflit. Le blocus des ports ukrainiens par l’armée russe pourrait porter un coup fatal à son économie.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Alors que les troupes russes ont commencé leur invasion de l'Ukraine il y a plus de 10 semaines, dans quelle mesure l'économie du pays est-elle, par sa nature même, particulièrement sensible aux effets du conflit ?

Michael Lambet : Bien qu'elle ait subi les effets de la chute du communisme, l'économie ukrainienne était l'une des plus diversifiées d'Europe avant la guerre de 2022, avec une main-d'œuvre qualifiée, et des secteurs d'excellence dont notamment l'automobile, le nucléaire, et l'aéronautique avec des entreprises emblématiques comme Bogdan et Antonov. Le Fond Monétaire International (FMI) estime ainsi que l'économie du pays devrait diminuer de 35% à cause de l'invasion russe.

Si l'Ukraine exportait des hydrocarbures, du charbon, des engrais minéraux, de l'acide sulfurique, ou encore du bois, c'est l'agriculture ukrainienne qui s'est avérée la plus vulnérable aux effets de la guerre, le pays exportant ses céréales vers le Moyen-Orient via la mer Noire. Avant la guerre, l'Ukraine était le premier producteur mondial de graines de tournesol, le troisième producteur mondial de pommes de terre, le huitième producteur mondial de blé et le cinquième producteur mondial de maïs. Dans ce contexte, le manque de céréales ukrainiennes va engendrer une hausse des prix sur les marchés mondiaux, mais pourrait aussi provoquer des révoltes au Moyen-Orient, voire des famines dans des pays comme l'Egypte, et accentuer des crises déjà existantes comme au Yémen. Signe de cette situation critique, l'Egypte a récemment décidé d'importer des céréales d'Inde, pour compenser le manque de céréales en provenance de la mer Noire. 

Avec la guerre, les ukrainiens ne peuvent plus s'occuper des industries, de l'agriculture ou des services, car ils sont pour la plupart mobilisés pour le combat. Tandis qu'une grande partie des femmes ukrainiennes fuient le pays, pour se mettre à l'abri et protéger leur famille, et se retrouvent ainsi dans une situation précaire.

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A cela s'ajoutent les embargos sur les produits russes, notamment les hydrocarbures, qui transitent par l'Ukraine, ce qui constitue une perte économique considérable pour le pays, combinée à la destruction des industries lourdes (métallurgie) et à l'impossibilité de relancer la production agricole car cela nécessite un déminage des champs, de rénover les infrastructures routières, et d'avoir accès aux ports de la mer Noire, qui sont actuellement menacés par la Russie dans le cadre du projet Nouvelle-Russie (Novorossia) qui vise à annexer le sude l'Ukraine pour rejoindre la Transnistrie et la Gagaouzie. 

Le blocus des ports ukrainiens par l'armée russe pourrait-il porter un coup fatal à son économie ?

C'est effectivement le cas. L'Ukraine exporte via la mer Noire et notamment des ports emblématiques comme Odessa. Non seulement la guerre va détruire une partie des équipements présents dans ces ports, mais elle va également bloquer l'accès de l'Ukraine à la mer Noire, ce qui rendra l'exportation de sa production peu ou pas compétitive par rapport aux autres pays. À bien des égards, cette guerre est une guerre entre deux géants de l'agriculture, la Russie et l'Ukraine, et le Kremlin est parfaitement conscient de l'importance du blé et du "food power" dans un monde où les ressources s'amenuisent.

En outre, l'économie des zones portuaires comme Odessa ne se limite pas aux exportations, c'est aussi une zone de villégiature où de nombreux touristes viennent se reposer et profiter de la "perle de la mer Noire". 

En résumé, avec le projet Novorossia qui étendra l'influence russe dans le sud de l'Ukraine jusqu'à la Moldavie dans les prochains mois, l'économie ukrainienne a de fortes chances de ne pas pouvoir se redresser.

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Par conséquent, la seule solution sera, si la Russie laisse une partie du territoire ukrainien inoccupé, d'inclure l'Ukraine dans la politique agricole commune (PAC) afin que les exportations ukrainiennes puissent être vendues au sein de l'Union européenne, et exportées via les ports roumains et bulgares. L'inclusion de l'Ukraine dans le marché commun profiterait également à l'UE, car les produits sont réputés pour leur grande qualité. 

L'occupation du pays n'est que partielle et toutes les infrastructures n'ont pas été détruites. Néanmoins, l'économie peut-elle fonctionner, même partiellement ? Si oui, dans quels secteurs ?

Le capital humain est la principale ressource de l'Ukraine. Ainsi, les Ukrainiens ont pu bénéficier d'une excellente formation académique, parlent souvent plusieurs langues et sont au cœur de plusieurs entreprises leaders dans le secteur informatique. WhatsApp, Grammarly, Gitlab et Solana ont toutes été fondées ou cofondées par des Ukrainiens.

Il faut rappeler que la diaspora ukrainienne est au cœur du succès des économies canadienne et tchèque, et si l'Union européenne se décide à octroyer des permis de travail et de séjour permanents aux réfugiés ukrainiens, ce sera une valeur ajoutée considérable pour notre continent.

La relance de l'industrie n'est pas une priorité car elle n'est pas au cœur du succès ukrainien, le secteur agro-alimentaire quant à lui mériterait une aide à la relance de l'UE car il possède un fort potentiel dans le contexte mondial où les ressources s'amenuisent.

Les domaines sous-développés tels que le tourisme mériteraient également de retenir l'attention des pays occidentaux. A ce titre, L'Ukraine est une destination touristique populaire avec 23 millions de visiteurs et dispose d'un fort potentiel.

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L'Ukraine pourrait-elle souffrir encore plus de la guerre que la Russie, malgré les sanctions économiques imposées ? L'Occident pourrait-il soutenir l'Ukraine sur le plan économique ?

L'Ukraine souffrira encore plus de la guerre dans les mois à venir, non seulement parce que le nombre de morts augmente chaque jour, dans un pays où le taux de natalité était déjà faible, mais aussi parce que de nombreux réfugiés ne retourneront jamais chez eux, pour des raisons légitimes.

L'Ukraine aura du mal à se remettre de cette guerre et l'Occident devra adopter une approche stratégique pour soutenir le pays, différente des aides gouvernementales/UE qui sont lourdes sur le plan administratif et d'une lenteur affligeante. Donner à chaque citoyen ukrainien les moyens de postuler à un emploi en Occident est une priorité absolue, le libéralisme offrant une opportunité économique pour ceux qui innovent et travaillent.

Les deux priorités sont dès lors d'accorder un permis de travail aux Ukrainiens pour leur donner les moyens de faire carrière et de s'intégrer, afin de réinvestir ensuite dans leur pays, et de commencer à numériser les services publics ukrainiens en suivant le modèle estonien, l'administration la plus efficace qui soit aujourd'hui.

Par ailleurs, l'Europe doit proposer de toute urgence une approche plus stratégique vis-à-vis des crypto-monnaies. Comme l'ont montré les exemples du Liban, de la Turquie, du Venezuela et de l'Ukraine, le passage d'une monnaie nationale (la hryvnia ukrainienne) à une crypto-monnaie procure plus de mobilité aux citoyens et aux réfugiés, constitue un rempart contre la dévaluation en temps de guerre, et lutte contre l'inflation.

Quelles pourraient être les conséquences à long terme de cette asphyxie de l'économie ?

Outre les conséquences sociétales pour les Ukrainiens, l'Union européenne adoptera une approche moins écologique pour compenser le manque de céréales ukrainiennes (qui servent essentiellement à nourrir les animaux), ce qui aura de lourdes conséquences sur la santé des Européens (les crises sanitaires n'ont de cesse de se multiplier, par manque de conscience environnementale). 

Le plus préoccupant reste le manque de céréales ukrainiennes qui devaient aboutir au Moyen-Orient et en particulier en Egypte, ce qui engendrera plusieurs crises sociales, des famines, et un possible exode de réfugiés de la zone MENA (Middle East and North Africa) vers l'Europe.

Cette crise est mondiale, pas seulement ukrainienne, et ses effets commenceront à se faire sentir dans les prochains mois, au moment où les récoltes attendues ne seront pas produites à cause de la guerre.

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