Cet incroyable aveu d’Emmanuel Macron sur l’état de la France pourtant passé totalement inaperçu<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron high tech rgpd gafa batx concurrence géant leader du numérique
Emmanuel Macron high tech rgpd gafa batx concurrence géant leader du numérique
©KENZO TRIBOUILLARD / POOL / AFP

RGPD

Emmanuel Macron s'est confié sur la réalité des géants du numérique et sur la situation en Europe face aux leaders américains et chinois : « Les Américains ont les GAFA, les Chinois ont les BATX et les Européens ont la RGPD ». Mathieu Mucherie décrypte les enjeux de ce dossier et revient sur la déclaration d'Emmanuel Macron.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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« Les Américains ont les GAFA [Google, Amazon, Facebook, Apple], les Chinois ont les BATX [Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi] et les Européens ont la RGPD », Emmanuel Macron, dans un entretien diffusé sur le site du fonds Atomico, mardi 8 décembre, à l’occasion de la publication du rapport « L’état de la tech en Europe »

Bravo ! Enfin on s’amuse un peu, chose rare en zone euro. Pour une fois Emmanuel Macron ne suit pas son agence de communication et préfère suivre une voie moins hypocrite et lyrique, plus économique et synthétique, à la façon d’une citation bien connue à l’époque où il préparait l’ENA et où il avait encore un peu d’humour (« L’Irlande a l’IRA, l’Italie a la mafia, l’Espagne à l’ETA, et la France a l’ENA «, Alain Madelin).

Il est bien rare de voir un officiel hexagonal reconnaître ainsi la réalité, à savoir la nullité de nos « licornes » et notre stagnation face à l’Asie (depuis janvier, le Covid a fait 24 morts à Taiwan, 1800 au Japon, 900 au Vietnam, 6000 en Chine…), mais aussi la nocivité de nos réglementations de do-gooders. (Après un an d’application de la RGPD, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui veille à son bon respect en France, a déclaré que cette première année avait été « exceptionnelle »). Une fois n’est pas coutume, Macron fait progresser le débat, le plus souvent pervertit par l’autosatisfaction béate des institutions et le gavage pro-UE : on se souvient de la propagande sur l’A380, qui se souvient des articles sur son échec ? On se souvient de l’Agenda de Lisbonne pour une Europe de l’innovation claironné sous tous les toits, pourquoi les résultats des études comparatives ne font-elles pas l’objet d’un tel tapage ? Et les promesses initiales de l’euro et de la BCE ? etc.

Notre Président aurait pu ajouter que, dans ce grand jeu capitaliste global qui se déroule sans les acteurs eurolandais, nous avions bien des atouts et nous avons raté bien des occasions car les énergies ont été dépensées vers des causes douteuses et des ponts de la rivière Kwaï. Une étude de la chronologie montre que nous avons perdu du terrain crucial avant la RGPD (je ne dis pas ça pour réhabiliter ce règlement nᵒ2016/679 insensé, qui pollue tous les jours la vie de 400 millions d’internautes). Par exemple, on pouvait être pour l’euro, bien qu’il s’agisse d’une monnaie fixiste, anachronique et laissée à des gens [irresponsables] indépendants ; on pouvait aussi être pour les 35 heures, bien qu’il s’agissait d’une idée coûteuse, favorable aux cadres et défavorable aux ouvriers, et qui envoyait un signal pour le moins ambigu ; mais on ne pouvait pas faire les deux en même temps : se lancer (seuls) dans cette politique keynésienne alors que les Allemands préparait une dévaluation interne, le tout dans le cadre d’une monnaie déflationnaire où il ne reste plus qu’à comprimer les coûts et à piquer les flux des voisins… Pendant ce temps là, la Silicon Valley se réinventait, Peter Thiel et Elon Musk vendaient Paypal pour tout réinjecter, les chinois créaient des mastodontes. Moins de diversions, c’est un avantage comparatif important. De vrais entrepreneurs plutôt que des corporates, aussi. Hélas nos diversions réglementaires et législatives ont continué de plus belle après 2017, mais ça il n’est pas sûr que Notre Président le reconnaisse un jour. 

A l’heure où j’écris ces lignes, non seulement nous n’avons pas de GAFA (après tout, pourquoi pas), mais nous n’avons pas plus de next-GAFA : Netflix, Salesforce, Tesla, SpaceX, Nvidia ne sont pas des firmes européennes. Nous avions SAP, qui va désormais assez mal. En France nous avons STM, mais ça ne vaut pas TMSC. Cette année la bourse de Paris n’a connu que 7 IPO minables, et nos analystes abrutis restent sans voix face à l’introduction d’Airbnb. Il y a bien échec total, comme on le voit au quotidien dans les produits high tech que nous utilisons, et comme on le retrouve dans les chiffres de capitalisation boursière. Espérons toutefois que Notre Président n’a pas en tête un appel à des champions nationaux ou européens, une sorte de techno-colbertisme new age étendu à la zone euro, une énième dérive Big is Beautiful : le drame de l’économie française réside dans la difficulté qu’il y a à transformer des micro-PME en grosses PME-PMI, du fait du cadre réglementaire et fiscal, pas dans la difficulté à créer des mini-boîtes ou à gérer des boites du CAC40 ; et la meilleure façon de traiter le problème est aux antipodes de ce que la Commission européenne a dans le pipeline (une nouvelle tentative de punition des GAFA), défavorable aux usagers européens d’internet, favorable à quelques boites rentières et canards boiteux.

Aidons donc un peu Notre Président dans cette voie courageuse de la conscientisation. C'est en montrant l'état dans lequel le pays est tombé qu'on peut espérer contribuer à le relever un peu. Proposons-lui quelques slogans simplistes mais vrais :

  • Pharmaceutiques : « Les Américains ont Pfizer, les Chinois ont canalisé le virus dès fin mars, les Français ont Jean Castex (et Sanofi, dont le vaccin arrivera quand tout le monde sera vacciné) »,

  • Monétaires : « Les Américains ont la FED (avec des économistes dedans), les Chinois ont la PBoC (qui gère la monnaie avec maestria depuis 2008), les européens ont la BCE »,

  • Educatifs : « Les Américains ont Stanford et le MIT, les Chinois progressent à une vitesse stupéfiante dans PISA, les jeunes Français régressent en maths et en tout »,

  • Spatiaux : « Les Américains ont SpaceX, les Chinois progressent vite, les Néo-Zélandais ont RocketLab, les européens auront peut-être un jour une fusée non-réutilisable, Ariane 6 »,

  • Environnementaux : « Les Américains ont les cleantechs, les chinois investissent comme des fous, les Français ont la convention citoyenne, conseillée par des gens ultra-compétents »,

  • Etc. Amusez-vous à compléter, en fonction de vos goûts et de vos expériences. Vous ferez avancer le débat, tout en ne subissant pas les foudres de la communication macronienne ; vous êtes couverts, l’exemple vient d’en haut.     

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