Cet argument piège qu’utilisent les islamistes pour justifier leur refus de l’égalité homme femme sans en avoir l’air<!-- --> | Atlantico.fr
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Des voiles sont exposés sur un stand lors d'un salon au Bourget, près de Paris, le 2 avril 2010.
Des voiles sont exposés sur un stand lors d'un salon au Bourget, près de Paris, le 2 avril 2010.
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Naëm Bestandji publie « Le linceul du féminisme : Caresser l'islamisme dans le sens du voile » aux éditions Seramis. Le voile dit « islamique » fait débat en France depuis trente ans. Pourtant, son histoire, sa raison d'être et ses prescripteurs restent méconnus. Extrait 2/2.

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

Voir la bio »

Héritage culturel d’un patriarcat antique, quintessence de l’inégalité femme-homme, le voile est l’accessoire vestimentaire le plus sexiste et discriminant que l’homme ait inventé. Par une obsession sexuelle exacerbée dont la religion n’est que le prétexte régulateur, les islamistes ont fait du voile leur cheval de Troie politique, leur porte-drapeau identitaire et de conquête idéologique. Sa fonction de da’wa par la visibilité entre en contradiction avec la discrétion censée être apportée par ce même voile. Dans les sociétés comme la nôtre, où l’écrasante majorité des femmes n’est pas ensevelie, le voile n’est qu’exhibition. Mais, du point de vue des islamistes, ce n’est pas contradictoire. Le voile sert à exhiber leur idéologie tout en dissimulant les formes féminines. La femme s’efface en tant qu’individu particulier pour apparaître comme le pion impersonnel d’un tout. Finalement, pour les islamistes, la femme concernée n’est qu’un support. L’objet n’est pas que sexuel. Il est aussi publicitaire. Le voile fait donc l’unanimité chez les intégristes. Il ne fait pas l’unanimité chez tous les musulmans.

Cela ne veut pas dire que toutes les femmes voilées sont islamistes. Convaincues par des islamistes hommes et parfois femmes de le porter, beaucoup croient que cette interprétation extrémiste est l’islam tout court. Mais il y a un point commun pour toutes : l’acceptation de se soumettre, non pas à un homme en particulier, mais au désir masculin en général. Dans tout ce que j’ai pu observer, dans ma vie privée, dans mes expériences personnelles, dans mes multiples entretiens avec des femmes voilées et des hommes pro-voile, la conclusion est toujours la même : le voile n’est pas un instrument de mesure de la piété mais un accessoire qui conditionne les rapports entre les hommes et les femmes au profit des premiers.

Le spirituel n’est qu’un prétexte, une instrumentalisation de l’islam motivée par une obsession sexuelle envers le corps des femmes. Qui conditionne ces relations ? Qui a décidé que le voile serait un signe de pudeur ? Qui a décidé que dissimuler ses cheveux, ses oreilles, son cou et tout le reste serait un acte de modestie vestimentaire (Et uniquement pour les femmes. Les hommes n’ont pas à faire ce « libre choix ») ? Qui a décidé de tout cela, si ce n’est des hommes ? Quand on fait l’effort intellectuel de travailler sur ce sujet, quand on cherche à savoir d’où vient le voile islamique, qui le prescrit et pourquoi, tout nous ramène à l’islamisme.

Mais par leur rhétorique, nous passons d’une autodiscrimination « choisie » à une discrimination subie. Les coupables ne sont plus les hommes qui leur ont prescrit de cacher leur corps et leur tête, mais la société qui souhaite limiter l’expansion de ce sexisme « religieux » ou simplement faire respecter des règlements qui concernent tous les citoyens sans distinction. Ainsi, le refus de céder à la demande de discrimination sexiste du voile est déclaré être discriminatoire. L’inversion est totale. Le jeu sémantique la rend possible.

Le jeu sémantique au service de l’islamisme politique

Dans les pays musulmans, les islamistes, quels que soient leurs courants, rejettent vigoureusement l’expression « égalité femme-homme ». Ailleurs, notamment en France, l’islamisme politique, par stratégie de développement, ne peut pas afficher ce rejet. Il adopte alors la même attitude que pour nos autres valeurs : il s’approprie la notion d’égalité des sexes pour la redéfinir et la retourner. Prenons pour exemple Ahmed Jaballah. Il est haut placé dans la hiérarchie des Frères musulmans au niveau national et européen : ancien président de l’UOIF, cofondateur de l’Institut Européen des Sciences Humaines (IESH), membre fondateur et secrétaire général du Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche, membre de l’Association internationale des savants musulmans, etc.

En 2018, lors d’un débat à la « Rencontre Annuelle des [Frères] Musulmans de France » (RAMF) au Bourget, il affirma son hostilité aux mariages mixtes. Si, malgré tout, cela devait se produire, il considère qu’un musulman a le droit de se marier avec une femme d’une des religions du Livre (chrétienne, juive ou musulmane). Et la musulmane ? Elle a l’obligation de se marier avec un musulman. En cela, Ahmed Jaballah reste fidèle au fiqh (jurisprudence islamique). Mais il s’exprime depuis Le Bourget, pas depuis Le Caire ou Rabat. Il rajoute alors d’emblée que les hommes et les femmes sont quand même égaux : J’ai des textes coraniques qui établissent l’égalité absolue entre l’homme et la femme. Il n’y a pas de discrimination. Seulement, il y a un « mais » : Mais il y a une vision en islam qui est basée aussi sur ce que j’appelle la notion du couplage. C’est-à-dire que Dieu a créé l’homme et la femme, le mâle et la femelle. Et il a réparti quelques fonctions. C’est-à-dire à la base il y a une égalité absolue entre les deux. […] Cette différence existe par le fait qu’il y a une complémentarité entre les deux éléments qui vont être unis pour former justement la famille.

Nous assistons à un exercice de contorsion sémantique typique des Frères européens. « L’égalité absolue », oui, mais seulement « à la base ». Cette fameuse « complémentarité » revient souvent dans les discours des Frères, comme dans ceux d’intégristes des autres religions. Ce terme permet de rester ambigu et de ne pas affoler ceux qui le seraient par « infériorité de la femme ». Cette ambiguïté permet également d’y associer l’égalité tout en la relativisant. La « complémentarité » avait été un point d’achoppement en Tunisie. Lors de l’élaboration de la nouvelle Constitution en 2012, les Frères musulmans tunisiens (le parti Ennahda) avaient rejeté le terme « égalité » au profit de « complémentarité » de l’homme et de la femme, avec toutes les conséquences discriminatoires que cela pouvait inclure. Les Tunisiens s’étaient alors mobilisés et avaient fait reculer les islamistes.

Ce détournement de l’égalité des sexes permet d’y inclure le sexisme du voile. Une femme a le droit de travailler et d’avoir un salaire comme un homme. Elle a le droit de faire du sport, de s’engager en politique, comme un homme. Mais à la condition que, en tant qu’objet sexuel tentateur, elle porte le stigmate patriarcal et infériorisant qu’aucun homme ne portera jamais : le voile. Ainsi, pour Ahmed Jaballah et l’ensemble de ces islamistes, l’« égalité absolue (à la base) », à travers la « complémentarité », ne signifierait pas que la femme est inférieure. C’est l’homme qui serait supérieur…

Ces subtilités sémantiques aux conséquences colossales montrent que, si le voile est l’outil matériel fondamental de l’islamisme politique, la sémantique est au cœur de sa bataille des idées. Tous deux (voile et sémantique) sont mis au service de sa propagande : la complémentarité n’est pas un synonyme de l’égalité, le voile n’est pas un foulard, le burqini n’est pas un simple « maillot de bain couvrant », le patriarcat et le sexisme islamiste ne sont pas féministes (même s’ils sont défendus par des femmes), la servitude volontaire n’est pas un libre choix, l’islamophobie n’est pas l’hostilité envers les musulmans. Ainsi, pour lutter efficacement contre l’islamisme politique, il faut commencer par défricher le champ sémantique et s’informer sur le concept du voilement. Mais tout est fait pour faire obstacle à ce travail.

La volonté d’empêcher toute réflexion sur le voilement

Une fois sa décision prise pour un sujet qui exclut tout choix libre, la femme voilée affirme que c’est sa liberté. Alors pourquoi tenter de comprendre le processus de voilement et le remettre en question ? Comment ose-t-on même le critiquer ? Lorsque les opposants aux islamistes, y compris des musulmans, expriment leur opinion sur le sexisme du voile, les pro-voile (islamistes et non-musulmans) brandissent les accusations d’intolérance et de blasphème (« islamophobie »). L’accusation de racisme arrive même à la rescousse pour un sujet qui ne concerne pourtant que la critique d’une idéologie. Avoir recours à cette accusation est une manière d’essentialiser les musulmans, de réduire leur identité à leur religion, leur islamité à leur ADN, faire croire qu’une musulmane ne peut être que voilée. Là est le racisme. Là est la satisfaction des islamistes. Cette vision particulière du débat démocratique illustre leur victimisation permanente pour esquiver toute remise en question.

Les musulmanes ont bien évidemment le droit de porter un voile, dans le cadre défini par les lois de la République. Tout comme nous avons le droit de critiquer cet accessoire vestimentaire car, contrairement à ce que déclarent les relativistes, le voile n’a rien d’anodin. Le droit de l’un ne retire rien au droit de l’autre. Si une femme prend la décision de se voiler, elle prend aussi celle d’être félicitée ou critiquée pour cela. Ce bout de tissu, lourd de symboles, n’a pas de statut d’intouchabilité. Réclamer un recul de la liberté d’expression, du débat d’idées, pour ménager la susceptibilité des intégristes musulmans est un contresens philosophique, démocratique mais aussi spirituel. La critique des valeurs sexistes et patriarcales portées par le voile n’est pas une attaque contre celles qui le portent. Accepter cette confusion est aussi une façon de nier les droits de toutes celles qui luttent pour ne pas se plier au diktat de ce sexisme. Si certain(e)s s’attachent à défendre la liberté de l’intégrisme religieux, de l’apartheid sexuel et du sexisme « choisi », d’autres préfèrent défendre les femmes qui luttent pour s’en émanciper. Cela passe obligatoirement par la critique et la mise en cause du concept de voilement.

A lire aussi : L’aveuglement des féministes intersectionnelles face à l’islamisme

Extrait du livre de Naëm Bestandji, «  Le linceul du féminisme : Caresser l'islamisme dans le sens du voile », publié aux éditions Seramis.

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