Ces voies d’information qui parviennent à contourner le rideau de fer digital imposé par Vladimir Poutine <!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine salue la journaliste de télévision Nailya Asker-Zade lors d'une émission annuelle avec les citoyens du pays à Moscou, le 30 juin 2021.
Vladimir Poutine salue la journaliste de télévision Nailya Asker-Zade lors d'une émission annuelle avec les citoyens du pays à Moscou, le 30 juin 2021.
©Sergei Savostyanov / SPUTNIK / AFP

Guerre médiatique et numérique

Alors que l’offensive russe se poursuit en Ukraine, Vladimir Poutine est également engagé dans une guerre médiatique et numérique en Russie. Alors que le dirigeant russe étend son contrôle sur l'espace médiatique de son pays, de nombreux médias russes et occidentaux tentent de riposter.

Carole Grimaud

Carole Grimaud

Carole Grimaud est analyste géopolitique, spécialiste de la Russie et des espaces post-soviétiques. Fondatrice du Center for Russia and Eastern Europe Research, pour lequel elle a publié des analyses et articles sur sa zone de spécialisation, elle a également publié pour le Groupe d'Etudes géopolitique de l'Ecole Normale. Professeure en géopolitique de la Russie à l'Université de Montpellier et à Montpellier Business School, où elle enseigne la géopolitique et les stratégies inter-étatiques, à EMLyon Business School (géopolitique, globalisation et cyber-espace).

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Atlantico : Alors que les forces russes poursuivent leur invasion en Ukraine, Vladimir Poutine mène une véritable guerre numérique en Russie. La sphère médiatique russe, qui était déjà étroitement contrôlée par l'État avant l'invasion de l'Ukraine, s'est encore rétrécie. A quel point la censure et le "rideau de fer numérique" qui touchent les médias russes et occidentaux sont-ils importants ? Comment Poutine présente-t-il une telle censure à la population russe ?

Carole Grimaud Potter : La censure numérique qui est aujourd’hui pratiquée en Russie est le versant répressif du projet plus ancien de « souveraineté numérique » telle que l’a décrite V. Poutine dans de nombreux discours et programmes. Cette souveraineté numérique a pour but d’isoler l’internet russe pour d’une part, et c’est l’explication donnée à la population, de le « défendre » des ingérences et influences extérieures ou des risques supposés d’une coupure de l’internet russe au réseau global par les américains et d’autre part, augmenter les possibilités et les offres technologiques numériques de la Russie. Si en effet, le pouvoir a rêvé d’une muraille numérique comme c’est le cas de la Chine, le projet est très difficilement réalisable. L’ossature de l’internet russe est construite sur le modèle occidental et le contrôle total de l’espace cyber est impossible.

La censure des médias est elle aussi inscrite dans une volonté de reprise du contrôle de l’information, toujours considérée comme une menace par les autorités russes ou soviétiques ou tsaristes, encore plus en temps de guerre. La fameuse loi « agent de l’étranger » qui oblige les médias a inscrire la mention dans toute publication, un cran avait été franchi récemment.

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Dans les deux cas, censure numérique et censure des médias, la guerre en Ukraine aura permis au pouvoir d’aller encore plus loin dans la reprise du contrôle de l’information et donc des technologies.

En ce qui concerne les médias occidentaux bannis du pays, en représailles de la fermeture de médias russes en Occident, il s’agit d’une politique d’œil pour œil, dent pour dent à laquelle nous sommes plutôt habitués.

Suite à l'invasion de l’Ukraine, de nombreux grands médias occidentaux ont ainsi été chassés du pays et des millions de Russes n'ont plus accès aux principales plateformes de médias sociaux. Les organismes de presse internationaux tentent-ils d'exploiter les failles de cette censure ? Quels moyens ont-ils à leur disposition pour continuer à diffuser leurs contenus sur le sol russe ?

Les Russes n’ont en effet plus accès à certaines plateformes américaines, ils se tournent donc vers les plateformes russes, qui sont nombreuses. WhatsApp continue encore de fonctionner mais jusqu’à quand ? Ces plateformes russes ne sont pas uniquement réservées à la Russie, sans doute y aura-t-il un afflux d’internautes occidentaux qui les rejoindront. Les cartes vont se redistribuer.

Le classique accès VPN peut-être utilisé pour déjouer la censure. La messagerie Telegram est encore « à peu près » libre et certains médias américains y ont installé leurs « rédactions » à défaut d’avoir des journalistes dans le pays. Le site de la BBC avant d’être bloqué par le Kremlin donnait des conseils à ses lecteurs en matière de VPN. Les « sites miroirs » peuvent aussi être utilisés ou tout simplement la radio, comme à l’époque de la guerre froide, où, dans les cuisines, dit-on, la chute de l’URSS se prépara.

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D’un autre côté, Vladimir Poutine s’assure de véhiculer sa propagande par tous les moyens possible : la télévision d'État reste la principale source d'information pour 62 % des Russes, selon une étude réalisée en 2021 par le Levada Center de Moscou. Quelle part d’information occidentale arrive aux russes malgré le rideau de fer ? Et à qui ?

Ceux qui sont le plus impactés par la censure médiatique sont surtout les jeunes, car ils trouvent essentiellement l’information sur internet et parfois aussi la télévision d’Etat mais beaucoup moins que leurs aînés. Et c’est bien cette population là que le pouvoir vise, qu’il soupçonne d’être influencée par les idées occidentales qui la détournent des valeurs traditionnelles. Ceci est d’ailleurs inscrit dans la nouvelle doctrine de sécurité de la Russie. Mais comme je l’ai évoqué plus haut, la muraille numérique russe n’existe pas. Certains sites et médias occidentaux peuvent être censurés mais comment voulez-vous censurer tout l’internet global ? Il ne pourra jamais y avoir un agent derrière chaque internaute russe. Je pense que plus que l’information prise sur un site occidental ce sont les réseaux sociaux qui représentent le plus grand danger pour le pouvoir. Car on sait maintenant que les grands mouvements de foule, les protestations se préparent sur les réseaux sociaux, un foisonnement d’idées et d’opinions d’où peuvent naître des mouvements de contestation. Là est la grande peur du régime. Isoler les individus, éviter qu’ils communiquent entre eux à grande échelle, peu importe ce qu’ils pensent, a été l’une des règles de la société soviétique imposées par le pouvoir. Aussi, même si Facebook ou Instagram sont bannis aujourd’hui, le contrôle s’exerce toujours sur les réseaux sociaux russes. Et le pouvoir se réjouit de voir un grand nombre d’internautes russes affluer sur les réseaux produits par la technologie russe.

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Dans quelle mesure les médias occidentaux ont-ils intérêt à continuer de trouver des moyens de contourner la censure mise en place par Vladimir Poutine ? Quel est l’enjeu pour le monde occidental ?

L’idée occidentale d’un internet libre et sans frontières, telle qu’idéalisée par ses pionniers, est non seulement une idée mais une valeur profondément ancrée au sein de nos cultures. L’accès à l’information, le droit de la presse et la sécurité des journalistes dans l’exercice de leur métier en est une autre. Aujourd’hui les technologies offrent des possibilités toujours plus grandes pour contourner la censure et promouvoir ces valeurs. Les médias occidentaux continueront à défendre ce qu’ils considèrent être un droit universel.

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