Ces raisons pour lesquelles le Brexit est bien plus probable que l’on ne croit <!-- --> | Atlantico.fr
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La France compte16 000 naissances de moins qu'en 2014.
La France compte16 000 naissances de moins qu'en 2014.
©Reuters

Way out

En dépit de tous ses défauts, l'Union Européenne apporte un certain nombre d'avantages à la Grande-Bretagne, notamment en raison de son statut si spécifique au sein des pays membres. Pour autant, peu d'Anglais y sont attachés et de ce fait, il est probable que le Brexit l'emporte.

Philippe Legrain

Philippe Legrain

Philippe Legrain est chargé de cours à l'institut Européen de la London School of Economics. Entre 2001 et 2014, il a conseillé le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso. Son dernier livre : European Spring: Why Our Economies and Politics are in a Mess – and How to Put Them Right.

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Atlantico : Selon vous, les avantages de l’appartenance à l’UE l’emportent largement sur les inconvénients. En quoi est-ce véritablement le cas ?

Philippe Legrain : L'Union Européenne a de nombreux défauts, que l’on connait de longue date. Des subventions notoirement grotesques pour les agriculteurs et les propriétaires ruraux, une tendance bureaucratique à se mêler de tout en passant par une insuffisance démocratique... Alors que les priorités comme aider les régions les plus pauvres, stimuler l'innovation, et la lutte contre le changement climatique sont souvent mal exécutées. Quant aux objectifs louables, un marché unique de l'énergie et de tous les services, ils demeurent incomplets. L'UE a donc un besoin urgent de réformes.

Mais la contribution nette de la Grande-Bretagne au budget de l'UE coûte 8,4 milliards £ (11,9 milliards €) par an. Soit seulement 36 pence (0,51 €) par personne et par jour - moins que le prix d'une pinte de lait. Et pour ce coût, même une Union Européenne non réformée et en crise offre des avantages à la Grande-Bretagne : des gains économiques, une influence politique et une liberté personnelle.

Le Royaume-Uni bénéficie du meilleur des deux mondes: une option de retrait permanente sur les restrictions économiques et démocratiques d’une zone euro mal gérée, ainsi que l'accès aux 10,6 billions de £ (15 € milliards de dollars) du marché unique de l'UE et de ses 508 millions de consommateurs. Ce qui stimule le commerce et les investissements étrangers en Grande-Bretagne, en augmentant la productivité et les revenus. L’industrie automobile de la Grande-Bretagne, par exemple, qui est détenue par des étrangers, exporte la majorité de sa production, principalement vers l'UE.

L'adhésion donne aussi une voix à la Grande-Bretagne dans la définition des règles qui régissent ses relations économiques avec l'Union européenne, à laquelle près de la moitié des exportations du Royaume-Uni se destinent, et avec une plus grande influence à l'échelle mondiale. Considérant que l'UE négocie d'égal à égal avec les États-Unis dans les pourparlers de partenariat commerciaux et sur l'investissement transatlantique (TTIP), la Grande-Bretagne aurait beaucoup moins d'influence en étant isolée. 

Les britanniques bénéficient également de la liberté d'étudier en France, de travailler en Allemagne, et de la retraite en Espagne avec la gratuité des soins, tout en bénéficiant de citoyens de l'UE qui viennent travailler dur et payer des impôts en Grande-Bretagne.

Aucune des alternatives possibles à l'UE ne peut offrir tout cela.

Dans une tribune publiée par Foreign policy, vous indiquez que le référendum sur le Brexit se réduit à un combat entre une peur excessive et une recherche "présumée" de liberté, ce qui rend la victoire du Brexit bien plus probable. En quoi un tel référendum empêche un débat rationnel coûts-avantages sur le Brexit ?

Les référendums ont tendance à être guidés par l'émotion, plutôt que par la raison. Parce que la campagne en faveur du Brexit est séduisante - la liberté par rapport à Bruxelles, la reprise de contrôle sur le destin de la Grande-Bretagne - alors que le camp européen est goudronné dans la réalité de l'UE. Bien sûr, la plupart des électeurs ont une aversion au risque, mais il est trop complaisant de supposer que l'option du statu quo, qui est de rester dans l'UE, va inévitablement triompher.

Le camp européen a une petite avance dans les sondages. Mais à un moment de rage anti-système et de crise de l'UE, la stratégie du camp du Brexit, qui est de reporter tout ce que les gens détestent de leur vie et de la Grande-Bretagne moderne sur les bureaucrates de Bruxelles et sur les phénomènes migratoires a un attrait évident. Les électeurs en faveur du Brexit peuvent ensuite projeter leur pays idéal personnel sur un futur post-UE. Les Libre-échangistes fantasment sur une Grande-Bretagne libérale dépouillée de toute réglementation. Les gauchistes rêvent de construire le socialisme dans un seul pays. Les xénophobes et les réactionnaires ont pour vision de tirer le pont levis vers le haut, soit un retour en arrière vers les années 1950.

Etant donné que peu de Britanniques ont une relation profonde avec l'UE, la principale carte émotionnelle du camp européen est la peur : un avenir incertain en dehors de l'UE peut engendrer un coût économique et un isolement politique. Mais les menaces alarmistes à propos de la perte potentielle de 3 millions d'emplois liés au commerce avec l'UE n’est pas crédible. Les craintes d'une perte d'influence pour les fonctionnaires britanniques ne résonnent pas non plus nécessairement avec les électeurs. Surfer sur les chefs d'entreprise, les financiers, et les chefs de parti pour soutenir l’adhésion à l'UE peut même avoir un effet repoussoir pour de nombreux électeurs. Et l'UE est trop lourde pour qu’elle puisse faire des concessions de dernière minute pour convaincre les sceptiques.

La bataille du Brexit, entre liberté perçue et peur exagérée, est donc susceptible de fonctionner.

Les partis politiques jouent-ils un double-jeu sur ces questions ? La défense de l’UE est-elle devenue impossible dans le contexte politique actuel ?

Le Premier ministre David Cameron a promis d'obtenir de meilleures conditions d'adhésion pour la Grande-Bretagne, et ce,  avant le référendum. Alors qu'il fera sans aucun doute une campagne en faveur de l’UE, il maintient comme prétexte qu'il pourrait provoquer le Brexit si la renégociation ne parvient pas à obtenir suffisamment de résultats, ce qui l'empêche de soutenir aujourdhui le camp européen. Le Parti travailliste est officiellement en faveur de l'adhésion de l'UE, mais son nouveau chef, issu de la gauche dure, Jeremy Corbyn, en est un adversaire de longue date, de sorte que le parti travailliste reste très discret sur cette question. Tandis que le parti le plus pro-UE, les libéraux-démocrates, sont encore en train de soigner leurs blessures après leur défaite désastreuse aux élections générales de mai.

Dès lors, et pour l'instant, les militants anti-UE, pour qui le référendum est une occasion unique de quitter cette UE détestée, dominent le débat. Lorsque la renégociation sera terminée et que la campagne officielle commencera, le camp du Brexit, largement financé et soutenu par des médias puissants, sera encadré à son avantage. Le plein soutien de David Cameron peut arriver trop tard pour retourner le vote.

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