Coup de chaud sur les impôts locaux : ces petits secrets que les collectivités territoriales aimeraient planquer sous le tapis de l'argument de la baisse des dotations de l’État<!-- --> | Atlantico.fr
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Ces petits secrets que les collectivités territoriales aimeraient planquer sous le tapis de l'argument de la baisse des dotations de l'Etat.
Ces petits secrets que les collectivités territoriales aimeraient planquer sous le tapis de l'argument de la baisse des dotations de l'Etat.
©Reuters

La bonne excuse

Le beau temps aura du mal à faire passer la pilule : à partir de l'année 2015, les impôts locaux vont exploser dans de nombreuses villes. Toulouse affiche d'ores et déjà une hausse mirobolante de 15%. En cause selon les collectivités locales : la compensation de la baisse des dotations de l’État. Un argument qui cache d'autres réalités.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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  • La baisse des dotations de l'Etat va se poursuivre jusuqu'en 2017 à un rythme de près de 3,7 milliards d'euros par an, et si les équipes municipales ont eu le temps de se préparer, nombre d'entre-elle opteront pour l'impôt en 2015 pour équilibrer leurs budgets.
  • En cause, les économies d’échelle attendues au niveau des intercommunalités et des agglomérations qui sont à l'heure actuelle insuffisantes, du fait de mutalisations de services encore minoritaires (et des doublons encore nombreux).
  • Le lien entre un clientélisme local et les pratiques de recrutement des fonctionnaires territoriaux sont une autre explication de la dérive budgétaire de certaines communes.
  • L'un des risques est également de voir les collectivités profiter de cette opportunité pour augmenter leurs impôts plus que pour combler les baisses de dotations.
  • Pour  ne rien arranger, le chiffrage prévisionnel de certains chantiers (privatisation de l'eau, construction de réseaux à très haut débit) n'est pas suffisamment rigoureux.

Atlantico : La plupart des élus locaux décline toute responsabilité et pointe du doigt l'Etat et la fameuse baisse des dotations. Le maire de Lyon, Gérard Collomb, justifie l'augmentation d'impôt en disant qu'il faut "ménager l'avenir". Mais la baisse des dotations va-t-elle être ralentie dans les prochaines années ?

Jean-Yves Archer : Pressé par le principe de réalité (ampleur des déficits publics) et par les autorités de Bruxelles soucieuses du respect des Traités, la France s'est engagée à réduire son déficit public de 50 milliards d'ici à 2017. Cette somme est à mettre en perspective avec le niveau habituel de notre déficit public national qui se chiffre à 86 milliards.

Dans le désormais célèbre creuset de 50 milliards, on trouve une baisse des dotations de l'Etat à destination des collectivités locales. Pour être précis, il est annoncé régulièrement ce qui a été voté lors du PLF (projet de Loi de finances) 2015 à savoir 11 milliards de désengagement de l'Etat sur la période 2015 – 2017. Or bien des observateurs négligent un point : le désengagement est déjà de 3,7 mds pour l'année 2015.

Autrement dit, les collectivités locales – et notamment les mairies – qui annoncent qu'elles sont contraintes d'augmenter significativement les impôts locaux le font du fait d'une contraction de moins de 4 milliards des dotations. Or, il reste à répartir 7,3 milliards d'euros pour 2016 et 2017 soit une moyenne annuelle de 3,65 milliards d'euros. La baisse des dotations va donc se poursuivre à un rythme quasiment identique à celui de cette année.

Cette baisse des dotations n'avait-elle pas été prévue ? Les municipalités n'ont-elles pas eu l'occasion de s'y préparer ?

La première conclusion qui s'impose est mécanique autant que sinistre : si les collectivités locales ont visé au plus juste pour boucler leurs budgets 2015, alors il y aura – pour le contribuable local – une sorte de clause de revoyure qui se matérialisera par un autre flux annuel d'accentuation de la pression fiscale : par un flux issu de l'imprévision. C'est cela qui n'est pas dit ces jours-ci aux contribuables locaux et cela forme un secret de Polichinelle pour certains et un mini secret local pour d'autres.

Dans la grande majorité des cas, il faut se souvenir des avertissements aussi stricts que solennels du tout nouveau président de l'AMF (Association des Maires de France) à savoir l'ancien ministre François Baroin. Dès le 2 décembre, au congrès de l'AMF, celui-ci avait été clair (voir ici) et là encore bien des élus ont été fort discrets à commencer par la Maire de Paris.Raisonnablement, les équipes municipales avaient le temps d'anticiper l'évènement et d'éviter le recours à une discrétion de cachottier.

Est-ce qu'il y a un risque pour que la hausse des impôts locaux soit plus importante que la baisse des dotations de l'Etat ?

Si, à l'inverse, les collectivités locales à tendance haussière ont prévu l'ensemble de l'effort triennal, cela revient à dire que l'Etat s'est en apparence délesté de dépenses que l'on retrouve en pression fiscale par effet de capillarité territoriale. A ce stade, la France n'aurait donc fait que du sur-place et vider différemment la poche du contribuable sans alléger vraiment le poids de sa contribution à la dépense publique.

Entre le risque de clause de revoyure et le risque de jeu de bonneteau, notre pays pourrait fort bien avoir commis un écart : celui consistant à voir les collectivités locales prélever plus que 11 milliards d'euros d'ici à deux années complètes. Autrement dit, le désengagement de l'Etat n'aurait nullement été porteur d'effets vertueux sur un plan consolidé et pourrait masquer une hausse "sèche" de la fiscalité locale.

Finalement, accuser l'Etat et la baisse des dotations, n'est-ce pas la bonne excuse trouvée par les municipalités ? Quels autres facteurs, en dehors de cette baisse des dotations, permettent d'expliquer la hausse de la fiscalité locale ?

Pour parer l'éventuel excès dispendieux des collectivités locales, il est impératif que les relations entre les communes faisant partie d'une intercommunalité ou d'une agglomération soient davantage marquées du sceau de la synergie. Mutualiser les achats est un réflexe encore peu développé au regard de ce qui pourrait être fait. Comme dans le cas des relations entre agriculteurs unis par une Cuma (coopérative d'utilisation du matériel agricole) : tournées vers l'efficacité et dénuées de conflits entre baronnies locales.

Partout en France, l'intercommunalité progresse – ce qui est un bien – mais hélas il y a parfois motif à doublons, à création de structures faîtières qui sont coûteuses (exemple de Carcassonne Agglo') et prises dans un entrelacs administratif où le sédiment l'emporte parfois sur la vectorisation des énergies et des initiatives. Dans ce doublonnage réside des foyers de dépenses inappropriées et évitables comme l'ont montré plusieurs études sur la pratique de la décentralisation.

Mais chaque mandat électif semble devoir condamner à porter sa part d'ombre. Ainsi, certains grands élus municipaux voudraient pouvoir augmenter le taux d'équipement de leurs villes sans prendre le risque de l'impopularité fiscale. L'un veut une salle de concert de premier plan, l'autre un tramway dernier cri, etc. Si les villes doivent se moderniser, il ne faut pas gommer les difficultés de pouvoir d'achat de certains de leurs habitants. L'idée de taxer les résidences secondaires à Paris peut sembler juste, mais que dira-t-on au couple de retraités qui vit désormais en Aquitaine dans son ancienne résidence secondaire et a fait le choix de conserver son ancienne résidence principale à Paris, devenue appartement en location pour compléter une retraite ?

Là encore, le dogmatisme fiscal un peu technocratique va l'emporter sur l'observation sociologique et représenter un paravent dont la partie visible sera le désengagement de l'Etat et la partie pécuniaire l'outrance fiscale. A tout prendre, il vaut mieux attirer les projets privés à rayonnement public, comme la Fondation Louis Vuitton, que de s'embrouiller dans les dérives comptables d'entités publiques comme la Philarmonie (triplement du coût de construction) ou que de réussir à rater – par cacophonie administrative - des projets comme le musée Pinault qui ne sera jamais sur l'Ile Seguin à Boulogne-Billancourt puisqu'il est à Venise.

Externalisation des frais de cantines scolaires, privatisation (ou non) de l'eau, un des biens les plus inégalitaires en France en termes de prix, construction de réseau à très haut débit sont des chantiers qui appellent un chiffrage prévisionnel plus rigoureux qu'il ne l'est souvent. A cet égard, la notion de faute de gestion (qui est l'une des causes de mise en jeu de la responsabilité civile des dirigeants sociaux : Cassation, chambre commerciale, 10 mars 1976) dans le privé mériterait d'être revisitée à la lumière des errements détectés et dénoncés par les Chambres régionales des comptes.

Certains ont probablement en mémoire l'affaire Boucheron du nom de l'ancien maire d'Angoulême dans les années 80. (voir ici). Ceci illustre que le mot d'emplois fictifs hante encore les couloirs de certains hôtels de ville. D'autant que les liens avec le tissu associatif sont parfois complexes à comprendre.

Un rapport de la Cour des Comptes pointe du doigt la faiblesse des économies réalisées par les municipalités. Celles-ci ont-elles aussi une part de responsabilité dans la hausse des impôts locaux? Laquelle ?

Le rapport de la Cour des comptes, paru en octobre 2014, pointe un doigt accusateur sur la gestion dépensière des collectivités territoriales et vise particulièrement un lien : celui existant entre le clientélisme local et les pratiques de recrutement des fonctionnaires territoriaux. On est, en la matière, loin de la notion de parcimonie et ceci explique bien évidemment la dérive budgétaire de certaines communes.

A côté du volet personnel, il y a aussi le volet ingénierie financière. Dans bien des cas, on a envie de plaindre les élus qui ont mal compris la portée de leurs engagements financiers face à des emprunts toxiques (généralement pourvus par Dexia) mais symétriquement, il demeure toutefois étonnant de "signer sans bien savoir" surtout s'il s'agit de départements (exemple de la Seine Saint-Denis).

Feu le Professeur de finances publiques Pierre Lalumière stigmatisait, il y a plus de 30 ans, les financements croisés c'est-à-dire ceux où il y a une multitude d'acteurs pour financer un projet considéré et des considérations cachées de nature partisane.

La nouvelle cartographie régionale apportera peut-être des atouts à notre pays mais compte-tenu des imbrications financières, les premiers mois, voire années, seront difficiles d'où le risque d'un recours à l'impôt post-élections de décembre à venir. Là encore, les mêmes causes produisent les mêmes effets...

Techniquement, deux points comptables demeurent à placer sous surveillance : le niveau parfois insuffisant des provisions enregistrées - on minore le risque ou on mésestime le caractère inéluctable d'une dépréciation de créances  et les engagements hors-bilan. " L'analyse des principaux postes du bilan des collectivités, comme celles du recensement de leurs engagements hors bilan en annexe, révèlent le caractère incomplet des inscriptions et l'incertitude des montants qui y figurent ". (page 134, rapport Cour des comptes précité).

Face à ce constat, il est clair que le contribuable local est encore loin du moment où il pourra mettre des oursins dans sa poche pour mieux défendre son bien. La description de la Cour visent autant les villes que les départements ou les régions : 2015 ayant été une année d'élection pour ces deux dernières catégories, il serait hasardeux d'espérer une pause fiscale en 2016.

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