Ces nouveaux alliés qu’il faudrait peut-être se résoudre à accepter pour vaincre l’Etat islamique <!-- --> | Atlantico.fr
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Les seules forces qui résistent encore à Daesh en Syrie sont : l’armée syrienne, les Kurdes du YPG (d’idéologie marxiste-léniniste) et Al-Qaida.
Les seules forces qui résistent encore à Daesh en Syrie sont : l’armée syrienne, les Kurdes du YPG (d’idéologie marxiste-léniniste) et Al-Qaida.
©Reuters

Pacte avec le diable

David Petraeus, ancien général et directeur de la CIA, a soumis aux responsables américains l'idée de s'allier avec la branche d'al Quaïda en Syrie - Al Nusra - pour combatte l'Etat Islamique. Dans un futur plus ou moins proche, d'autres pays, groupes ou structures inattendus pourraient se rallier à la coalition contre Daech.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Outre les alliés traditionnels qui luttent contre l'Etat Islamique, quels autres alliés peuvent, dans un futur plus ou moins proche, aider la coalition contre l'E.I ? 

Alain Rodier : Il est évident que le problème représenté par l’Etat Islamique ne peut trouver un début de solution que dans une lutte internationale qui s’inscrit dans la durée et dans l’espace. A savoir que le cancer créé par Daesh est à l’origine de métastases qui se développent en dehors du foyer central constitué par le théâtre syro-irakien, particulièrement au Proche-Orient, sur le continent africain, en zone Afghano-pakistanaise (dite AfPak), dans le Caucase et progressivement en Extrême-Orient. Le mal est si important qu’il pousse des centaines de milliers de personnes à fuir les théâtres de guerre même si l’EI est loin d’être le seul en cause. En effet, pour le moment les importants contingents afghans et érythréens, mais aussi constitués de réfugiés économiques, ne sont pas de son fait. Trouver un responsable unique à ce phénomène est beaucoup trop simpliste.

Pour l’Occident qui, pour le moment, n’est menacé qu’en "deuxième rideau" par Daesh, l’Europe et les Etats-Unis faisant partie des "ennemis lointains" pour les idéologues du mouvement salafiste-djihadiste, il n’empêche qu’il convient de soutenir des pays "alliés" qui, eux, constituent l’"ennemi proche" afin de contenir la menace et si possible la détruire avant qu’elle ne déborde dangereusement.

Le problème réside dans le fait que les pays "alliés" ne répondent généralement pas, dans leur grande majorité, aux "valeurs universelles" en vigueur dans le monde occidental. Ce dernier a, d’autre part, beaucoup de mal à comprendre que ces régimes défendent leurs propres intérêts avant de s’occuper des états d’âmes des Occidentaux. En plus, leurs dirigeants ont l’outrecuidance d’être peu réceptifs aux leçons de bonne conduite assénées par les leaders politiques occidentaux et sont réticents à servir d’"infanterie de base" pour protéger les moralisateurs.

C’est là où le mot "Diplomatie" prend tout son sens dans ce qu’il a de grandiose mais aussi de particulièrement pervers. Il convient de savoir avaler des couleuvres (voir plutôt des anacondas) pour faire comprendre à ses "alliés" que la défense de nos intérêts permet la défense des leurs. Encore faut-il qu’ils fassent confiance aux dirigeants occidentaux, ce que les Etats-Unis s’emploient avec persévérance à détruire avec constance -mais eux, ils ont l’argent, la puissance et l’éloignement géographique qui leur permettent d’être un peu plus sereins que les Européens-.

Pour voir quels sont les pays sur lesquels s’appuyer, la simple consultation d’une mappemonde suffit. Au cœur du problème l’Irak (pour la Syrie, le problème est psychologiquement plus compliqué, les dirigeants occidentaux ayant horreur de reconnaître qu’ils se sont trompés), Israël et l’Iran (là aussi, il y a un sérieux problème mais soutenir un pays ne veut pas forcément dire ne pas entretenir des relations avec un autre, même s’il est son adversaire géostratégique), l’Egypte (la découverte récente d’importantes réserves gazières dans ses eaux territoriales pourra peut-être sortir ce pays de la crise économique qu’il traverse -mais cela prendra beaucoup de temps-), l’Arabie saoudite, le Qatar, les EAU dont les dirigeants commencent à être conscients que la menace représentée par Daesh est importante pour la survie même de leurs régimes, le Pakistan et l’Inde (même remarque que pour Israël et l’Iran), la Russie et la Chine qui sont incontournables et les pays africains dans leur ensemble (et Dieu sait c’est là extrêmement compliqué). Cette liste est loin d’être exhaustive.

En ce qui concerne les réfugiés, avant de pouvoir s’attaquer aux causes de leur exil qui sera la seule méthode efficace, mais à long terme, il convient de tenter de les fixer au plus près des zones de départ en aidant à la constitution de centres d’hébergement décents avec l’aide internationale, les pays du Proche-Orient en accueillant des millions sur leurs territoires. Les ONG doivent être associées étroitement à cette solution qui ne peut être que provisoire sachant que le provisoire dure parfois très longtemps (voir l’exemple des Palestiniens).

David Petraeus, ancien directeur de la CIA, a soumis l'idée de demander de l'aide à la branche "modérée" d'al Quaïda en Syrie, Al Nusra. Pourquoi pourrait-elle être potentiellement une aide dans la lutte contre l'E.I ? 

Il faut être réaliste, les seules forces qui résistent à Daesh en Syrie sont : l’armée syrienne, les Kurdes du YPG (d’idéologie marxiste-léniniste) et Al-Qaida "canal historique" via son bras armé officiel al-Nosra, mais aussi plus discrètement d’autres formations comme le Ahrar ash Sham. Mais, ils sont loin d’être "modérés", leur but final étant l’établissement d’un "califat islamique mondial". Faut-il rappeler que les assassinats de janvier en France provenaient de la branche yéménite d’Al-Qaida "canal historique" et pas de Daesh.

De leur côté, je vois mal les Américains qui ont en mémoire le 11 septembre 2001, apporter une aide directe à la nébuleuse initiée par Oussama Ben Laden. Ils ont même bombardé la branche "Khorasan" du Front al-Nosra car elle est soupçonnée préparer des attentats aux Etats-Unis, un des plus grands rêves du bon docteur al-Zawahiri. La maxime "les ennemis de mes ennemis sont mes amis" ne peut vraiment s’appliquer dans ce cas de figure. Al-Qaida et ses branches étrangères restent une ennemi mortel de l’Occident -et de l’Orient-.

Doit-on s'allier à cette branche dissidente ? Quelles seraient les conséquences/retombées à court, moyen et long terme ?

L’alliance officielle est exclue pour les raisons évoquées ci-avant tout autant que des livraisons d’armes qui se retourneraient contre nous dans l’avenir. Mais, pour l’instant la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar se sont entendus pour soutenir discrètement l’"Armée de la conquête" qui s’est emparée de la province d’Idlib et qui lutte contre Daesh dans les régions d’Alep et de Damas. Or, cette coalition comporte -entre autres- le front al Nosra et Ahrar ash Sham… Comme les Américains ne peuvent pas faire beaucoup plus en Syrie (où les Français n’interviennent pas), il est peut-être judicieux de "regarder ailleurs" pour l’instant tout en continuant à taper la logistique de l’EI. C’est pas très "moral" mais l’Occident a-t-il les moyens, et surtout la volonté politique de faire autrement ? Et de plus, quand des ennemis cognent sur d’autres ennemis. Il ne faut surtout pas que l’EI gagne, et d’autre part, il faut prendre garde à la montée en puissance d’Al-Qaida "canal historique". C’est là où se trouve le dilemme.

Dans le même raisonnement que celui de David Petraeus, y a t-il d'autres alliés inattendus venus d'autre branches terroristes qui pourraient aider la coalition contre l'E.I ? La lutte contre l'E.I pourrait-elle prendre un nouveau visage à long terme, si des branches comme telles participait au combat ?

C’est la "moins pire" des solutions à l’heure actuelle. Pour faire un parallèle, la bande de Mokhtar Belmokhtar (MBM) rebaptisée "Al-Qaida en Afrique de l’Ouest" semble tenter de s’opposer à l’expansionnisme de l’EI en Libye, au Sahel et, peut être demain, à Boko Haram (informations à confirmer). Il est bien sûr totalement exclu de l’aider mais, peut-être que dans certains cas ponctuels et isolés, il serait opportun de l’oublier lorsque ses forces affrontent celles de l’EI. Après, on compte les points. Par contre, il faut ne pas perdre de vue que MBM représente un ennemi qu’il faudra neutraliser à un moment ou à un autre. Vous avez lu Machiavel ?

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