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Ces millions de chômeurs que l’hexagone aurait pu éviter depuis 35 ans : contexte mondial ou gouvernements successifs, à qui la faute ?
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Katastrof

Comment la France en est arrivée à afficher un taux de chômage moyen de 8.7% et quelles ont été les erreurs commises qui en portent la plus lourde responsabilité ? Qui serait le meilleur candidat pour résoudre la question du chômage en France ?

Eric Heyer

Eric Heyer

Éric Heyer est Directeur adjoint au Département analyse et prévision de l'OFCE (observatoire français des conjonctures économiques - centre de recherche en économie de Sciences Po).

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : La France est frappée par un chômage conséquent depuis les début des années 80, atteignant un niveau moyen de 8.7% entre les années 1983 et 2016. Quelles sont les principales causes de ce chômage endémique, entre "offre" et demande", qui touche le pays ? Qu'est ce qui est véritablement spécifique au cas français ?

Eric Heyer : si effectivement il y a un chômage de masse depuis vingt ans, et qui se situe en moyenne aux alentours de 8,5, il a tout de même varié au cours du temps. Il a augmenté en période de ralentissement économique, et a également baissé lors de période de reprise d’activité. Il y a donc bien un lien très fort entre le chômage, et la croissance économique. Ce qui est notable, c’est que pendant des années le chômage a plus augmenté en période de récession qu’il n’a augmenté en période de reprise d’activité économique. C’est pour cela qu’il y avait une tendance à la hausse au cours d’un cycle complet. Ce qu’on peut noter tout de même, et de façon assez favorable, c’est que depuis la fin des années 90, les périodes d’augmentations du chômage sont plus que compensée par les périodes de baisse de chômage. Juste avant la cris économique, le chômage est descendu en-dessous des 7%. Il y avait une possibilité que, même sans grosse croissance économique, de faire baisser le chômage avec notre réglementation qui est celle des 35h, du code du travail etc. Pourvu qu’on ait 2% de croissance économique, le chômage peut baisser assez rapidement ; un point par an, sans créer pour autant de tensions inflationnistes. Le problème, c’est qu’il y a eu la crise économique, et donc un ralentissement de la croissance, et le chômage est reparti à la hausse. A cela, je tiens à ajouter deux caractéristiques de la France : sa productivité élevée et sa population active élevée. Ces deux éléments-là nécessitent beaucoup plus de croissance que dans les autres pays pour faire baisser le chômage. Le problème semble plus être, d’un point de vue macroéconomique, comment mettre la France sur des rails de croissance dynamiques, plutôt que la réforme des marchés du travail.

Philippe Crevel : Depuis plus de 33 ans, le chômage mine la société française. Nous n’avons jamais réussi à retrouver, une seule fois, le plein emploi. Aujourd’hui, le taux de chômage est de 10 % quand il est de 3,9 % en Allemagne, de 4,5 % aux Etats-Unis, de 4,6 % au Royaume-Uni ou de 5,3 % aux Pays-Bas. 

Malgré cet échec cuisant, les gouvernements qu’il soit de droite ou de gauche n’ont jamais réellement changé de politique. Il y a eu des ajustements mais jamais de remise en cause. Il y a toujours eu une myopie sur ce sujet, une absence de courage. Il faut bien comprendre que le chômage, c’est comme l’enfer, c’est les autres.

Les principes de base de la politique de l’emploi sont simples. Le demandeur d’emploi est une victime, victime de l’incurie et de la méchanceté de son patron. Il est une victime de la société, des étrangers, de la crise qu’il faut donc bien indemniser ce qui n’empêche pas de le considérer comme un pestiféré. C’est ainsi que d’un côté il y a les insiders protégés dans leurs statuts (fonction publique, CDI dans les grandes entreprises) et les outsiders qui sont descendus du cheval.

Deuxième principe de la politique de l’emploi en France, c’est la réinsertion par les emplois aidés, les emplois jeunes, les contrats d’avenir, etc. A défaut de recréer des ateliers nationaux, les gouvernements pour diminuer artificiellement multiplient les emplois de pacotille qui sont payés par le contribuable. En 2016, la France compte plus de 500 000 emplois aidés dont la réalité économique laisse à désirer. Dans certains cas, il y a pour l’employeur un effet d’aubaine. Il engrange une aide pour un emploi qu’il aurait de toute façon créé ; de l’autre, il y a des emplois qui n’en sont pas ; qui n’apportent rien à leur bénéficiaires et qui par leur coût peuvent en détruire d’autres.

Troisième principe, les pouvoirs ont comme objectif de favoriser l’emploi des personnes à faible qualification. Ainsi, depuis 1993, les gouvernements réduisent les charges sociales sur les bas salaires, multiplient les exonérations en créant des effets de seuils qui sont de véritables chapes de plomb. Ce système est antiéconomique au possible. Il a conduit à ce qu’une grande partie des salariés français gagnent moins de 1,6 fois le SMIC, à ce que la France privilégie une production de gamme moyenne quand il fallait au contraire opter pour le haut de gamme. La France compte ainsi deux fois plus d’emplois sous qualifiés que l’Allemagne avec comme conséquences des pertes de marché à l’exportation et une frustration au sein de la population. Cette politique n’a pas sauvé des emplois bien au contraire elle en a détruit.

La France privilégie la demande avec conséquence l’alimentation du déficit commercial.  La politique de la demande tourne autour de la croissance des prestations sociales qui atteignent plus du tiers du PIB, un record mondial. La politique de l’offre qui prend la forme d’exonération de charges sociales, d’amortissement accéléré ou d’incitation à l’investissement est toujours menée avec inconstance.

La France a opté pour un salaire minimum élevé mais celui a, à la différence des autres pays, écrasé l’ensemble des rémunérations. Le salaire minimum représentait, en 2015, 62,3 % du salaire médian dans notre pays contre 35,8 aux Etats-Unis, 36,8 % en Espagne, 47,8 % en Allemagne ou 48,7 % au Royaume-Uni. Cet écrasement est imputable au système d’exonération de charges sociales comportant d’importants effets de seuil. Par ailleurs, la France se caractérise par un nombre élevé d’emplois sans qualification en raison de sa mauvaise spécialisation industrielle – insuffisance du haut de gamme » et par le poids du secteur tertiaire.

D'un point de vue historique, quelles sont les faits marquants, les erreurs commises, ou les chocs subis, ayant pu participer à la formation du taux de chômage en France ?

Eric Heyer : Il y a différents chocs. L’un peut être typiquement macro-économique ; le choix, en 2010-2011, de l’austérité dans l’Union Européenne, qui a cassé la croissance économique partout en Europe et provoqué une double-crise et une augmentation du chômage dans quasiment tous les pays Européens. Il y en a eu plusieurs d’erreurs comme ça, que ce soit dans des politiques budgétaires ou fiscales. Au niveau macroéconomique, elles n’étaient pas adaptées à la conjoncture, et n’ont pas permis de faire augmenter la croissance, et baisser le chômage. Il y a eu également des décisions micro-économiques, ou en tout cas plus spécifiques au marché du travail, et qui sont liées à des mauvais timing. Par exemple la défiscalisation des heures supplémentaires. Celle-ci a été réfléchie en 2007. C’est une politique qui fonctionne quand le chômage baisse, et lorsque l’économie commence à tourner et se rapprocher du plein emploi. En 2007, le chômage baissait d’un point par an, et on était passé en dessous des 7%. Dans ce contexte, défiscaliser les heures supplémentaires avait un sens, et a permis au chômage de baisser avec de la création d’emploi. Sauf que c’est une politique qui ne marche pas lorsque la croissance ralenti, et le chômage augmente. Or, quand cette défiscalisation a été mise en application, c’était juste avant la crise économique. Pendant celle-ci, on a vu que les pays qui ont le mieux résister en terme de chômage étaient ceux qui ont réduit leur temps de travail. C’est l’Allemagne et l’Italie par exemple, avec le chômage partiel. Autre exemple : les emplois aidés, qui fonctionnent en période de ralentissement de la conjoncture, mais qui sont sans résultat lorsque la conjoncture repart. Or, quand est-ce qu’on a créé le plus d’emplois aidées? Au cours de la période 1998-2000, au moment où la croissance économique était à 4%. Il existe pleins d’autres exemples similaires dans l’Histoire.

Philippe Crevel : La fin des années 60 a été marquée par le début de la montée du chômage en France. Il est lié à l’arrivée des classes nombreuses du baby-boom à l’âge actif. Georges Pompidou avait déclaré que « si un jour on atteint les 500.000 chômeurs en France, ça sera la révolution ». Le premier choc pétrolier a provoqué une augmentation du nombre de demandeurs d’emploi qui passe de 2 à un peu moins de 4 %. Le deuxième choc en 1979/1980 entraîne une nouvelle hausse. Le taux de chômage en 1981 est de 7,5 %. La France a tardé du fait du décès de Georges Pompidou en 1974 a bien appréhender les conséquences des chocs pétroliers. Valéry Giscard d’Estaing était partisan de libéraliser l’économie et d’agir sur l’offre quand les gaullistes emmenés par Jacques Chirac étaient les tenants, à l’époque, d’une ligne travailliste favorable à la relance par la demande. Les craintes d’un nouveau mai 68 incitaient les pouvoirs publics à lâcher très rapidement du lest. Raymond Barre à partir de 1976, engagea la France à la fois sur le chemin de la rigueur et de la dérégulation. En 1981, cet effort fut interrompu net. Au moment où tous les pays optaient pour des politiques d’offre, Royaume-Uni, Etats-Unis et Allemagne, la France choisissait une politique de soutien à la demande avec la multiplication par deux des prestations sociales, l’augmentation des dépenses publiques et la dérive du déficit. Cette politique provoqua l’accroissement du déficit commercial, de l’inflation et ne résorba en rien le chômage. François Mitterrand s’était engagé à ce que la France ne compta pas deux millions de chômeurs mais ce fut fait en 1983. Face à cet échec, François Mitterrand hésita entre la sortie de la France de l’Europe et la mise en place du socialisme dans un seul pays et le maintien dans l’Europe avec l’acceptation des principes de l’économie de marché. Il choisit le maintien dans l’Europe et mit en œuvre une politique de désinflation compétitive avec une amélioration des marges des entreprises. Durant  la première cohabitation de 1986 à 1988, le Gouvernement de Jacques Chirac appliqua une politique libérale de réglementation avec à la clef un vaste programme de privatisation. Si les résultats se firent attendre, la France a réussi alors à stabiliser son taux de chômage. La récession de 1993 constitua un choc important pour l’économie française et l’emploi. Cette récession a été provoquée par une augmentation rapide des taux d’intérêt qui atteignirent les 17 %. Cette hausse était en partie provoquée par la volonté du Gouvernement français d’arrimer le franc au deutschemark et de se qualifier pour l’euro. Le chômage atteint alors les 10 % et les 3 millions de personnes. C’est à cette époque-là que datent la multiplication des emplois aidés et la mise en œuvre des exonérations sociales sur les bas salaires. C’est aussi le temps de la réduction du temps de travail avec les propositions de Giles de Robien puis de la gauche plurielle. La France a toujours une vision malthusienne de l’économie et de l’emploi. A la fin des années 90 et au début des années 2000 grâce au boom des nouvelles technologies, le taux de chômage redescend jusqu’à 7,5 %. La France fait néanmoins moins bien en la matière que ses partenaires. La crise de 2009 et surtout celle de 2011/2012 des dettes souveraines entraînent une nouvelle envolée du chômage qui repasse la barre des 10 % et des 3 millions. Depuis 8 ans, la France vit au rythme des résultats du nombre des demandeurs d’emploi. Pour lutter contre ce retour du chômage massif, les vieilles méthodes ont été utilisées (emplois aidés, exonérations de charges) quand nos voisins ont misé sur la formation ou sur les baisses d’impôt sur les sociétés. La France a tenté de limiter les effets de la crise de 2008 en misant sur les prestations sociales quand nombre de nos partenaires ont préféré vivifier l’offre.

Au regard de ces conclusions, quels sont les candidats les plus à mêmes de répondre au défi posé par le Chômage en France ? Le candidat "idéal" existe t il vraiment ?

Eric Heyer : Selon ma grille de lecture,  entre le plein emploi à 5% et le chômage à 9,6%, il y a au milieu le chômage structurel. C’est celui qu’on ne peut pas faire descendre sans réforme de l’économie. Selon moi, il se situe aujourd’hui aux alentours de 6,5%. Ca veut dire, qu’aujourd’hui, on peut de 9,6 à 6,5% sans réformes, mais par des politiques de soutien de l’activité. C’est à dire que notre économie serait capable de résorber le chômage sans tensions inflationnistes. C’est un élément central dans mon diagnostic. Les politiques doivent être aujourd’hui équilibrées entre réformes structurelles, et soutien de l’activité. Et c’est sans doute-là le problème de nos candidats : ils vont tous plus ou moins loin, mais il n’y a pas de politique équilibrée. Soit, il y a les candidats de droite qui vont beaucoup trop loin dans l’austérité, soit les candidats de gauche qui vont aussi beaucoup trop loin dans la relance sans se soucier des règles budgétaires et des réformes à mener.

Philippe Crevel : François Hollande a commis l’erreur de se fixer un objectif quantitatif, le retournement de la courbe du chômage quand ce qui est important c’est le nombre d’emplois créés, les parts de marché, la qualité des produits français, la recherche, l’innovation, l’investissement. Le candidat idéal devrait mettre en place dès le début un plan de renforcement de l’outil productif. Pour cela, il faut partir des conditions de financement en recréant des structures régionales si possibles privées afin qu’elles puissent financer les PME. Il faut instiller de la concurrence au niveau des banques, de la grande  distribution, des intermédiaires afin de réduire les effets de rente. Il faut sans nul doute retisser des liens au sein des bassins économiques pour créer des solidarités entre entreprises comme cela existe avec succès en Vendée. Par ailleurs, la formation devrait relever des bassins d’emploi avec en contrepartie une obligation pour tous les salariés et les demandeurs d’emploi d’y accéder. En ce qui concerne les charges, il conviendrait de mettre un terme aux exonérations avec effet de seuil et les remplacer par un abattement applicable à tous les salariés. Les 800 premiers euros de salaire pourraient être exonérés. Le système de financement de la Sécurité sociale serait ainsi légèrement progressif. Le système actuel favorise essentiellement la grande distribution et la Poste ce qui n’est pas la meilleur utilisation des crédits publics. Parmi les candidats, celui qui a la vision la plus favorable à l’offre est François Fillon. Emmanuel Macron est un social-démocrate qui entend nationaliser l’assurance-chômage et l’assurance-vieillesse. Il veut certes favoriser l’investissement mais à travers un grand plan de 50 milliards d’euros. Ces plans bénéficient avant tout aux grandes entreprises et peu aux PME.


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