Ces jeunes qui voient le chômage comme une aubaine <!-- --> | Atlantico.fr
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Le taux de chômage des jeunes est de 24,5% en France.
Le taux de chômage des jeunes est de 24,5% en France.
©Reuters

La valeur des diplômes, partie 3

Le chômage, dont la courbe à la hausse n'a pas été inversée fin 2013, se banalise et ne procure plus un sentiment de honte parmi les personnes touchées. Ce phénomène se retrouve principalement chez les jeunes, premières victimes - ou bénéficiaires - de l'absence d'activité professionnelle.

Didier Demazière

Didier Demazière

Didier Demazière est chercheur CNRS au laboratoire Printemps. Ses travaux portent sur le chômage et les politiques publiques d'emploi et sur les transformations du travail et les dynamiques des groupes professionnels.

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Atlantico : A l'heure où le taux de chômage atteint 10,4% et 24,5% parmi les jeunes, il semble que le statut de chômeur se soit banalisé et ne soit plus un synonyme de honte. Quelle est aujourd'hui la vision que portent les jeunes sur le chômage ?

Didier Demazière : C'est vrai que le chômage se banalise mais ce n'est pas spécifique aux jeunes. Le chômage est beaucoup moins associé au sentiment de honte ou à la dévalorisation de soi qu’auparavant. Maintenant, la manière dont les jeunes vivent le chômage dépend fortement de leur employabilité, de leur formation scolaire et des diplômes qu’ils ont ou qu’ils n’ont pas.

Chez les  jeunes, il y a une polarisation très forte dans la manière de vivre le chômage : soit le chômage est comme une impasse, comme un signal de l’incapacité ou de l’inadéquation à s’insérer sur le marché du travail pour les moins diplômés, soit le chômage est comme une situation relativement banale  dans le processus d’insertion professionnelle pour les plus diplômés. Le chômage apparaît donc comme étant la possibilité de prendre du temps pour choisir son emploi, son entreprise, son orientation sur le marché du travail.

Ce phénomène de banalisation du chômage s’explique par deux raisons principales. D’abord, par un élément historique qui est que, en France, le chômage est à un niveau assez élevé depuis une trentaine d'année donc ce n'est pas du tout une situation exceptionnelle et sa diffusion contribue beaucoup à sa banalisation. C’est très clair par exemple si on compare avec les années 1970 ou si on compare avec des pays comme le Japon où le chômage est plus récent. Le sentiment de honte y est très fort encore. Deuxième élément, plus les individus qui sont affectés par le chômage ont des responsabilités familiales et des charges familiales, plus ils vont avoir tendance à vivre le chômage comme étant potentiellement un dramealors que dans la période de la jeunesse le chômage est vécu comme un passage obligé ou une expérience non-traumatisante et non-dramatique, à la condition que le chômage ne dure pas bien sûr.

Le temps libre engendré par la perte d'un emploi est-il source de créativité et de rebond ? En quoi le chômage rend-il service à certains ?

Le temps libéré par l'absence d'activité professionnelle est vécu différemment selon les cas. Il est vécu soit comme un temps libre, c'est-à-dire vide de sens, sans occupation, un temps qui n’a pas de signification, soit comme un temps libéré c'est-à-dire la possibilité d'avoir du temps pour s'engager dans des activités qu'on n'a pas eu le temps de réaliser jusque-là. Il y a vraiment cette polarité entre temps libre et temps libéré. Cette polarité là est, chez les jeunes, très spécifique.

La période de la jeunesse est une période où le fait de tâtonner, le fait de se lancer dans certaines expériences ou activités avec une part de risque dans le sens où elles ne vont peut-être pas déboucher sur un emploi, est assez admis. Le chômage peut aussi être, du coup, un moment d'expérimentation et de construction de soi, pour ces jeunes.

On le voit quand on interviewe des jeunes diplômés : une fois le diplôme en poche, un certain nombre d'entre eux ont une espèce de peur vis-à-vis de la carrière professionnelle et pensent qu'avant de s'engager vraiment dans une carrière, c'est peut-être bien de prendre le temps de prendre son temps justement et de chercher ce qu'on veut faire, ce qu'on aime faire, voyager, réaliser une expérience à l'étranger, faire une année de césure entre la formation et véritablement le début de la carrière professionnelle.

Quel est le profil des chômeurs pouvant se permettre de considérer la période de chômage comme un bol d'air ?

Il y a plusieurs éléments qui rentrent en ligne de compte pour qualifier le profil des chômeurs pouvant se permettre de considérer la période de chômage comme un bol d’air :

D’abord, il y a un premier élément qui est l'anticipation de la sortie du chômage, l'anticipation de la reprise d'un emploi ou de l'accès à un premier emploi. Plus un chômeur pense qu'il a des caractéristiques de diplôme et d'expérience qui sont attractives sur le marché du travail, plus ça va être facile pour lui de penser le chômage comme un moment non dramatique pour souffler et de faire le point. Pour ceux qui n'ont pas de diplôme ou bien ceux qui sont les plus âgés, le chômage est plus associé à des faibles espoirs de s'en sortir et donc à de faibles possibilités de vivre le chômage sur le mode du bol d'air.

Le deuxième élément qui rentre en ligne de compte est les ressources matérielles des chômeurs. Selon les cas, le chômage peut être associé à l'absence de revenus, aux difficultés très lourdes pour survivre. Mais le chômage peut aussi affecter de manière assez marginale le niveau de vie soit grâce à l'indemnisation, soit grâce à l’environnement familial. Cette distinction a des conséquences directes sur le fait de vivre le chômage comme une période de pause, de liberté et d’ouverture des possibilités.

La nouvelle banalisation du chômage ne marque-t-elle toutefois par une contradiction avec la crainte, voire la possibilité, de ne jamais retrouver du travail ?

Oui, il y a des étapes dans la banalisation.

Il y a un premier moment de la banalisation qui est la banalisation comme déculpabilisation. C'est le moment où le chômage commence à se diffuser et où on n’est pas stigmatisé, où on ne se sent pas responsable, incapable, moins que rien, parce qu’on est chômeur étant donné qu'il y a beaucoup d'autres chômeurs.

Ensuite, il y a l'étape suivante qui est le moment où les niveaux de chômage sont très élevés et où la durée du chômage augmente. La banalisation se traduit alors par une sorte de nouvelle manière de vivre le chômage qui est un découplage entre le chômage et l'emploi c'est-à-dire vivre le chômage comme étant une sorte de destin dont on ne peut pas sortir. Dans ce cas, ce n'est pas une banalisation dans le sens où les individus réaménagent leurs vies pour essayer de survivre, de s'en sortir en dehors du marché du travail, en dehors de leurs recherches d’emploi, à côté de l'aspiration à retrouver un emploi.

C’est une partie de ce qu'on a appelé dans la fin des années 1990 l'exclusion. Une fraction des chômeurs d'aujourd’hui vit le chômage de cette manière.

Propos recueillis par Marianne Murat

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