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Ces Français en plein état d'insécurité : quand les risques du métier sont  bien plus que les risques du métier
©BERTRAND GUAY / AFP

Sentiment d'insécurité

Le sentiment d'insécurité, c'est le sentiment que tout peut arriver, que personne nulle part n'est à l'abri de la violence.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Faits divers, attentats, agressions alimentent ce sentiment et leur diffusion virale par les médias le renforce et parfois l'hypertrophie. On lui oppose depuis quelques années enquêtes de victimisation ou statistiques d'atteintes violentes, mais les statistiques restent abstraites et leur objectivité assez illusoire : les plaintes sont déposées ou non, des incidents mineurs répertoriés ou non, etc.

A la différence du « sentiment d'insécurité », l'état d'insécurité est un fait.

Par état d'insécurité, j'entends l'exposition permanente à la violence, aux agressions de toute sorte avec des taux d'atteintes physiques et psychiques élevés enregistrés par la Sécurité sociale (jours d'ITT – incapacité temporaire de travail -, maladies professionnelles, troubles psychiatriques et dépressions) et les autorités judiciaires.

Cet état touche aujourd'hui en France beaucoup de professions. 

J'énumère :

- les personnels de l'administration pénitentiaire. Ils sont plus de 30.000.

- les membres des forces de l'ordre directement visés et qui font l'objet d'appels au meurtre ouverts - « tout le monde déteste la police » –. Ils sont 250.000.

- les pompiers – Il y a 50.000 pompiers professionnels en France.

- les personnels des transports en commun, notamment sur les lignes de banlieue autour de la plupart des grandes villes. Je ne dispose pas de chiffres, mais leur nombre est important.

- les personnels des urgences médicales. Ils étaient plus de 20.000 au début des années 2000. Il est douteux que les effectifs aient baissé.

- les enseignants et personnels d'encadrement et direction scolaire  - 850.000 !

Jusqu'à il y a une vingtaine d'années, seuls les membres de forces de l'ordre (et les militaires) étaient professionnellement exposés à la violence au quotidien - sans toutefois faire l'objet d'appels au meurtre répétés et largement diffusés. C'étaient « les risques du métier », acceptés comme tels. 

En revanche, il ne faisait partie ni du métier d'enseignant ni de celui de médecin ni de celui de pompier d'être sous la menace de coups, de caillassages, de traquenards, d'agressions par de grands ados, des bandes de quartier, des manifestants cagoulés et armés, des zadistes et black blocks, des parents d'élèves ou des membres de familles de patients ou de délinquants. Drôles de professions où il faut désormais non seulement « faire son métier » mais le faire la peur au ventre !

Sans exagérer, il y a aujourd'hui en France au moins entre 1,2 et 1,5 millions de salariés qui vivent en état d'insécurité – et pas seulement avec le « sentiment d'insécurité ». Leurs familles en sont directement affectées - quand elles ne sont pas obligées de se cacher comme les familles de policiers.

Et encore, je ne fais entrer en ligne de compte ni les salariés de nuit, ni ceux qui doivent aller prendre leur travail très tôt ou très tard. Les autobus dits Noctiliens à Paris, pour ne prendre qu'un exemple, sont des « wagons d'insécurité ». Une des fractures sociales importante aujourd'hui est celle entre citoyens en état d'insécurité et ceux qui ne le sont pas.

L'état d'insécurité pose des problèmes beaucoup plus graves que le sentiment d'insécurité. 

D'abord évidemment en termes de risques physiques et psychiques pour les personnes, avec les coûts économiques et sociaux afférents (par exemple les difficultés de recrutement).

Plus encore en termes politiques : le sentiment d'insécurité va et vient et il y a des manières de « rassurer », alors que les états d'insécurité fragilisent de manière durable un nombre important de citoyens et leurs familles.

Les gouvernements récents, sous les présidences Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron, n'ont pas voulu les percevoir. 

Ils ont d'abord choisi l'incantation – en s'en prenant aux discours sécuritaires de la droite ou de l'extrême droite ou en faisant la publicité des produits Karcher. Seuls quelques propos « off » récents de Gérard Collomb semblent avoir rompu l’omerta.

Ils ont plus pragmatiquement cherché à protéger les personnels menacés en améliorant les équipements, en renforçant les équipes, en fournissant des vêtements de sécurité. Pourtant, aussi nécessaire qu'elle soit, la « robocopisation » n'est pas une solution. D'une part, elle n'est pas applicable à toutes les professions. Imaginons une tenue de prof sécurisée ! Ou encore souvenons-nous de la suggestion à la sapeur Camembert de Mme Royal de faire raccompagner les femmes policiers chez elles par... des policiers. D'autre part, sécuriser, c'est reconnaître qu'on doit prendre son parti de ces violences et les laisser se banaliser. Pire encore, c'est encourager l'escalade : ah le beau défi Facebook que de faire brûler un flic ignifugé !

S'il est stupide de faire, comme souvent en France, des lois au moindre fait divers, il me semble ici s'imposer de réviser de manière très significative le barème des peines dans les cas d'agressions envers ces agents « en état d'insécurité ». Il faut qu'il devienne très coûteux (et de manière automatique) de s'en prendre aux personnes dont je viens de parler, dès la première atteinte et sans excuse quelle qu'elle soit, avec des peines plancher claires. On ne peut pas exiger des policiers, enseignants, urgentistes ou surveillants de la pénitentiaire de se conduire exemplairement  si leur situation reste aussi vulnérable. Il faut leur constituer une sorte d'immunité juridique contre la violence. Corrélativement une éducation civique commencée dès le plus jeune âge devrait impérativement faire connaître ces nouvelles sanctions et leur raison civique – on ne peut pas aimer un jour la police et les pompiers quand ils vous sauvent et le lendemain inciter à les tuer et les agresser.

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