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Ces erreurs de raisonnement qui polluent salement la question de l’environnement en France
©John MACDOUGALL / AFP

Malédiction

Arrivé au bout de ses contradictions, Nicolas Hulot a pris la décision ce mardi 28 aout 2018 de quitter le gouvernement. Démission qui renforce l'idée que l'environnement soit un thème maudit en politique, auxquels s'ajoutent quelques erreurs d'appréciation qui polluent les enjeux sur le sujet.

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme est professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard, ainsi qu'à l'Institut d'Etudes Politique de Paris. 

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Atlantico : Dans une interview accordée à America, Johnattan Franzen (auteur américain tournée vers l'écologie) a déclaré que le combat de l'écologie était vain, et que nous n'allions pas changer nos habitudes (difficiles de se passer du pétrole, du nucléaire, etc...) dans le sens où il faudrait un consensus international pour que cela se produise. Ce qui relève de l'impossible. Ainsi, la question pour lui n'est pas de savoir comment faire pour arrêter le processus, de savoir comment vivre ou survivre avec un environnement qui a de bonnes chances de devenir de plus en plus hostile. Etes-vous d'accord avec cette affirmation ? Dans quelle mesure Johnattan Franzen a-t-il raison concernant le climat ? 

Rémy Prud'homme : Franzen est un romancier et un essayiste talentueux, mais sans formation scientifique. C’est un observateur des oiseaux avéré. Cela n’en fait pas un grand expert du climat, et ses idées sur le sujet doivent être considérées avec prudence. Vous en mentionnez deux. 

La deuxième, à savoir que l’environnement "va devenir de plus en plus hostile”, me semble sans fondement. Le catastrophisme se vend bien, et il est soigneusement entretenu par tous ceux qui en vivent (également bien): politiciens qui vont nous sauver, industriels qui avec de l’argent public  ont inventé ou vont inventer les gadgets qui vont nous protéger, bureaucrates qui vont gérer tout cela. Le catastrophisme a remplacé l’enfer des religions d’hier. En réalité, le monde ne s’est jamais aussi bien porté. La production agricole par habitant, l’accès à l’eau potable, l’enseignement, etc. n’ont jamais été aussi répandus.  La misère, la maladie, la mort, la faim, ont partout reculé. Même si, bien entendu, beaucoup  reste encore à faire. 

La première idé de Franzen, à savoir que, de toutes façons, même si ces peurs étaient fondées, nous n’y pourrions pas grand chose, m’apparaît pleine de bon sens. La plupart des recettes proposées ou imposées – comme par exemple un système électrique mondial sans fossiles et sans nucléaire - sont en effet totalement irréalistes

Le fait de regarder dans la mauvaise direction et de s'acharner vainement, comme l'explique Franzen, nous empêche-t-il d'agir là où il le faudrait ? Quels sont les domaines sur lesquels nous devrions fournir plus d'effort ?

Certainement. La soit-disant lutte contre le réchauffement climatique a pratiquement remplacé et chassé  le souci de l’environnement. On notera que le mot “ environnement" a totalement disparu de l’intitulé du ministère qui s’en occupait, et qui est devenu le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire. Le bruit, la pollution de l’air, la biodiversité, la préservation des paysages, la qualité de l’eau, c’est-à-dire les préoccupations traditionnelle des ministères de l’Environnement, sont maintenant largement ignorées. Pire, elles sont souvent sacrifiées à la “transition énergétique”. Les éoliennes, par exemple, saccagent des sites du Patrimoine Mondial de l’Humanité ; elles tuent des chauve-souris par dizaines de milliers; elles causent des nuisances sonores et visuelles (avec des feux clignotants toute la nuit; pour les implanter en mer on foule aux pieds les  parcs naturels marins; etc. Toutes ces atteintes à l’environnement des Français, et en particuliers des Français les plus pauvres (pas d’éoliennes dans le Lubéron ou à l’Ile de Ré), se font avec la participation active ou même  à l’initiative , du ministère autrefois dit de l’Environnement. C’est le monde à l’envers. Un peu de bon sens serait en effet nécessaire.

Ne sommes-nous pas aujourd'hui dans une forme d'étaux, coincés entre un manque de culture scientifique sur le débat public (duquel découle une forme de névrose) et les abus réels de certaines industries ? Comment sortir de cette impasse ? 

Il n’y a guère de “débat public” en France sur ces questions. Au sens strict (de la Commission Nationale du Débat Public), qui a pourtant fonctionné pour l’implantation de certains projets d’infrastructure; mais qui n’est qu’un exercice de propagande dans le domaine de l’écologie: le responsable du débat sur la Programme Pluriannuel de l’Energie est un ancien politicien d’EELV sans formation technique ou économique qui ne doit son poste qu’à son engagement militant, comme qui dirait un arbitre issu de l’une des deux équipes. On a été jusqu’à tirer au sort 400 Français pour je ne sais quel débat final. Seriez-vous prêts à monter dans un avion dont le pilote serait tiré au sort parmi  les passagers ? 

Au sens large de discussions dans la presse, dans les assemblées, dans les partis, la situation est moins caricaturale, mais  guère meilleure. Une difficulté vient du caractère technique complexe de beaucoup de ces questions. Bien entendu, toutes ces questions ont aussi une dimension politique. Mais qui ne peut intervenir valablement qu’après la connaissance technique. Alors qu’elle intervient généralement avant, et la court-circuitent, l’orientent, l’annulent. C’est un fait que la plupart des journalistes (et des politiciens) en France ont une formation littéraire, historique ou politique, parfois juridique, et pas du tout scientifique. Pour prendre un exemple simple, la grande majorité des articles sur l’électricité confondent les kilowatts (unité de puissance) et les kilowatt-heures (unité de production ou de consommation), ce qui empêche toute analyse et tout débat. Ou plus exactement, ce qui permet aux lobbies de faire passer facilement les idées qui servent leurs intérêts.

Comment sortir de cette impasse ? Je voudrais bien le savoir. On ne peut évidemment pas exiger des intervenants qu’ils fassent la preuve de connaissances diplômées. On pourrait essayer de multiplier les journalistes scientifiques, de distinguer les véritables spécialistes des faux. On l’a bien, au cours des trente dernières années, fait – en partie – dans le domaine de l’économie. Les journalistes économiques sont maintenant presque toujours des économistes devenus journalistes. Leurs connaissances ne tuent pas le débat, bien au contraire,  elles le permettent et le facilitent.

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