Ces énormes freins à une renaissance française que se garde bien d’évoquer Emmanuel Macron (alors qu’ils sont gérables)<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron a accordé un long entretien au magazine Zadig.
Emmanuel Macron a accordé un long entretien au magazine Zadig.
©Ludovic MARIN / AFP

SOS défis politiques ignorés

Alors que le chef de l’Etat mise sur le rebond économique post-Covid pour essayer de générer une vague d’optimisme avant la présidentielle de 2022, il nous voit à la sortie de ce qui aurait été un nouveau Moyen-Age comme expliqué dans son entretien à Zadig. Une référence historique qui relève plus de l’écran de fumée que de l’éclairage du présent.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève est délégué général de l'Institut pour la Justice. 

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Atlantico : Dans un entretien au magazine Zadig, Emmanuel Macron voit dans la période post-Covid une Renaissance. Cette comparaison semble toutefois hasardeuse…

Pierre Bentata : C’est soit une comparaison hors sol, soit une comparaison malheureuse. Nous ne sommes pas du tout dans la même situation. D’abord pour des raisons qui sont purement économiques. On a certes une vague d’innovation qui arrive mais il n’est pas dit que ça soit comparable à ce qui a pu donner lieu à la Renaissance. On sent qu’il va y avoir une vague forte, mais impossible de la prédire. La comparaison demeure donc assez osée. Mais il y a mon sens deux raisons qui font que cette comparaison n’a pas lieu d’être. La première est qu’il omet de dire que le lieu de la Renaissance est l’Europe alors que l’innovation actuelle n’est pas en Europe mais aux Etats-Unis et en Asie. S’il y a une Renaissance, nous n’en sommes pas la locomotive et nous n’en bénéficierons pas de la même manière. Sur un plan plus culturel, nous ne sommes pas du tout dans cet état d’esprit. Il est normal de penser que lorsqu’il y a une crise, c’est le moment où il va y avoir de l’innovation, c’est la grande idée de Schumpeter. En matière d’opportunités, c’est lorsqu’on croit atteindre le fond qu’il est rentable de prendre des risques, ce qui permet de rebondir. Mais pour ça, il faut des individus avec un esprit d’entreprise ce qui nécessite une atmosphère d’optimisme. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Dans le passage du Moyen-Age à la Renaissance, il y a une sorte d’hubris, de démesure, dans l’optimisme des Européens. Ils sont certains de la supériorité de leurs valeurs, ils connaissent des développements intellectuels et culturels forts. Aujourd’hui, et la France en est le parfait exemple, l’Europe considère plutôt qu’elle est en décadence. Il n’y a qu’à voir la difficulté à défendre le modèle occidental. Si nos décideurs répondent à une demande, elle est d’abord celle d’une sécurité et non de l’entreprenariat, celle de la communauté et du groupe plutôt que de l’émancipation des individus. Ce qu’on voit, ce sont des pays qui se fracturent et n’ont pas un récit collectif progressiste. C’est donc l’inverse de la Renaissance. Deirdre McCloskey explique pourquoi, selon elle, la bourgeoisie est le moteur de l’Occident. Quand l’on compare ce qu’elle observe pendant la Renaissance et ce qu’il se passe aujourd’hui, il devient clair que les sociétés ne sont pas du tout dans le même état d’esprit. On n’a pas cette idée de progrès, de la maîtrise du destin. La situation ressemble plus à Venise au XVIe siècle lorsqu’elle s’est effondrée qu’à un moment de Renaissance : un pouvoir d’achat fort, un refus des nouvelles routes commerciales, la croyance que la richesse nous garantit de rester le centre du monde, etc. Cela ressemble aussi à Londres à la fin du XIXe lorsque la ville cesse d’être le centre du monde.

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Lorsqu’il évoque la renaissance de l’économie française, Emmanuel Macron n’oublie-t-il pas la trappe à croissance faible dans laquelle l’Europe se trouve ?

Pierre Bentata : Il y a deux points à soulever. On a une analyse de la croissance imparfaite aujourd’hui car on est en train de digérer le début d’une vague d’innovation qui ont liey principalement dans le numérique – et donc principalement immatérielles - qu’on ne sait pas bien comptabiliser. Les travaux de Philippe Aghion montre bien qu’on a du mal à chiffrer l’innovation mais que si l’on essaie de prendre autre chose que la simple valeur ajoutée, la croissance est plus forte. Donc, il est vrai qu’on a en France une croissance plus faible que d’autres pays (européens, mais surtout ailleurs dans le monde), mais il faut un petit peu nuancer. Ensuite, il est vrai qu’on a une croissance faible et on sait que la France souffre d’une réglementation trop lourde, qu’il y a un poids administratif très fort, des contraintes sur l’entrepreneuriat, etc. Mais si l’on connaît les causes et qu’elles ne sont pas irréversibles, on n’est pas non plus fichus. Nous ne sommes pas dans une situation ou nous serions condamnés à ne pas avoir de croissance. Il y a des façons de s’en sortir avec un certain courage politique et une vision politique particulière.

Qu’en est-il des difficultés sur le plan de la cybersécurité que connaissent la France et l’Europe ?

Pierre Bentata : On a effectivement un vrai retard sur ces questions, mais c’est un exemple extrême d’un phénomène plus large. On a d’abord un retard technologique, sur le plan informatique, qui se traduit par de vraies défaillances en cybersécurité. Mais surtout c’est un retard énorme en temps de paix, ou de guerre économique, pour l’utilisation des données, pour la création de plateformes. Il est donc héroïque d’imaginer que nous allons bénéficier de la vague d’innovation qui arrive. On voit qu’il y a des changements, mais nous les suivons plus qu’autre chose. Plusieurs nouvelles le montre. Quand le gouvernement veut réduire l’impact des plateformes qui se sont développées grâce au télétravail, c’est une logique de protection, de repli.

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Pourtant ces problématiques semblent gérables…

Pierre Bentata : Sur le plan purement économique, elles le sont. Mais le problème est culturel. Notre population à l’air fatiguée du système actuel et se rebelle contre la globalisation, contre le marché et les entreprises. Elle se rebelle contre le système qu’elle a elle-même créé. Il y a une sorte de détestation de soi d’avoir crée quelque chose qui est ressenti comme les rabaissant. Cela ressemble, si l’on veut dresser un autre parallèle, à la chute de Rome. L’historien Aldo Schiavone a écrit l’Histoire brisée qui a tenté de comprendre pourquoi la révolution industrielle ne s’est pas produite au IVe siècle à Rome alors que techniquement les choses étaient présentes. Et sa réponse est vraiment le malaise de la population. A Rome c’est à cause de l’esclavage, chez nous ce sont les valeurs qui sont les nôtres et qui ont mené à la mondialisation.

L’avenir de la France au niveau pénal semble ne pas dépendre uniquement du gouvernement, mais aussi de plusieurs institutions européennes. Quels sont les freins empêchant une grande fermeté aux flux migratoires ou à l’insécurité ?

Pierre-Marie Sève : Deux droits européens existent : le droit de l’Union-européenne et celui de la CEDH. Il faut savoir que le procès pénal en France se fait détruire en permanence par la CEDH et cela représente un réel problème. L’un des exemples probants de cela est la mise au ban de la garde à vue française suite à un arrêt de la cour. Depuis les années 1970, la CEDH est spécialisée dans l’uniformisation du droit européen pénal avec un sens politiquement engagé, progressiste libéral de gauche.

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Mais qui songe à tirer les leçons de la débâcle européenne sur les vaccins ?

D’autres exemples existent. Prenons celui de la Belgique. Le pays a été condamné par la CEDH suite à l’extradition d’un terroriste vers les États-Unis. Elle a considéré que les États-Unis est un pays où l’accusé peut être exposé à des actes de tortures. Dès lors, le pays a été condamné à payer une somme au djihadiste. Finalement, nous privilégions la défense des prisonniers en lieu et place de la lutte contre l’insécurité.

L’autre point problématique au niveau du droit vient de l’Union Européenne. On peut dire que la plupart du droit français vient du droit européen car c’est en parti vrai. Les directives et les règlements européens constituent une activité législative très intense. Régulièrement, des lois françaises sont des transpositions de directives européennes. Ces normes juridiques ont été décidées à Bruxelles, parfois à Strasbourg, afin de construire des standards européens sans que nous ayons été consulté.

Au fur et à mesure la CEDH et les juridictions européennes prennent de plus en plus leurs aises et elles n’hésitent pas à attaquer la procédure française pénale. Néanmoins, dans le cas de la CEDH cela peut changer avec la pression populaire et c’est ce qui s’est passé avec le Royaume-Uni lorsqu’il a menacé de quitter la convention. Depuis, il n’est plus condamné. Pour récupérer la main mise, il faut faire pression sur la CEDH.

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