Ces discrets gains enregistrés par Marion Maréchal malgré la tempête Zemmour<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Ces discrets gains enregistrés par Marion Maréchal malgré la tempête Zemmour
©Sameer Al-Doumy / AFP

En attendant 2022

La polémique suscitée par les propos tenus par Éric Zemmour lors de la Convention de la droite ne cesse de prendre de l'ampleur. Pour, beaucoup elle serait dommageable pour Marion Maréchal et l'aurait même contrainte à affirmer ne pas avoir l'intention de se présenter à l'élections présidentielle de 2022. Pourtant, une autre lecture de cette polémique est possible.

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

Voir la bio »

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : Les propos tenus par Éric Zemmour lors de son discours à la Convention de la droite ont très largement choqué. Quelles sont les conséquences de ce discours pour Marion Maréchal ? En juin dernier, 36% des Français déclaraient souhaiter son retour en politique (sondage IFOP), cette polémique la classant définitivement à l'extrême-droite risque-t-elle d'entacher sa popularité ?

Christophe Boutin : Rappelons d'abord le contexte : il s'agissait d'une « Convention » rassemblant des personnalités différentes, membres pour certaines de partis politiques, pour d'autres indépendantes, et en aucune mesure de la réunion d'un parti politique. Ainsi, les opinions présentées par les uns et par les autres - celles d'Éric Zemmour comme celles des autres qui ont pu prendre la parole – n’avaient pas vocation à être intégrées dans une « ligne générale » ou le programme d’un parti… et encore moins d’un parti présidé par Marion Maréchal qui n’existe pas. Si influence il y a du discours d’Éric Zemmour sur la popularité de cette dernière, elle relève donc d’une approche bien rapide, facilitée par la tonalité de la polémique qui en a résulté.

Effectivement, les propos tenus par Éric Zemmour ont choqué certains, comme aussi la diffusion de ces propos en live sur une chaîne d'information. On remarquera que la réponse à ce discours porte non sur sa déconstruction, relevant par exemple à l’aide de chiffres précis et de statistiques fondées, les erreurs du polémiste, mais sur son rejet global. Mais un rejet de quoi ? Le fait qu’Emmanuel Macron ait récemment évoqué la question migratoire et ses problèmes, comme auparavant celle de la radicalisation d’un certain islam, sans encourir de telles critiques, montre que ces questions ne sont nullement taboues, et que ce ne serait que le ton, la forme et non le fond, qui seraient rejetés. Restera alors ce subtil examen que feront peut-être les juges du sens des mots pour savoir si l’on a dépassé les limites d’une polémique consubstantielle à de tels discours.

Mais la question est aussi de savoir si cette mise en garde polémique contre ce qu’Éric Zemmiou estime être les dangers d’une immigration qu’il juge incontrôlée, d'une part, et du développement d'un islam radical, d'autre part, lors de cette Convention de la droite à laquelle participait Marion Maréchal, aurait donné de cette dernière dans une image plus « radicale ». Il semble d’abord de plus en plus difficile de déterminer ce radicalisme que vous baptisez « d'extrême droite », ce que reconnaissent tous les spécialistes de cette famille de pensée, au point d'ailleurs que l’on en vient par exemple à parler maintenant « d'extrême droite » pour le parti de Marine Le Pen, et « d'ultra droite » pour ceux qui seraient plus radicaux que les membres du Rassemblement national. Par ailleurs, l’une des clefs de la popularité de Marion Maréchal au sein de la droite française est certainement la place qu’elle donne à la question de l'identité, qui reste l'un des éléments structurant de son conservatisme, et se trouver ainsi associée à une dénonciation de l’immigration incontrôlée et d’un radicalisme islamique n’entachera sans doute que peu sa popularité dans son camp.

Ceux qui écrivent que ce discours aurait conduit Marion Maréchal, deux jours après, à devoir annoncer qu’elle ne serait pas candidate aux élections présidentielles de 2022 semblent oublier, d’une part, que cette dernière a toujours clairement affirmé qu’elle préférait se retirer un temps de la vie politique pour se consacrer à son école, et que, d’autre part, nombre d’intervenants de la Convention – Robert Ménard notamment, mais aussi Jean-Frédéric Poisson – ont insisté sur la nécessité pour les conservateurs alors réunis de se mettre en ordre de bataille, ce qui suppose pour eux d’avoir au plus tôt un leader clairement identifié. Et plus que les conséquences de la polémique liée au discours d’Éric Zemmour, c’est peut-être là une des clefs du choix de Marion Maréchal.

Paul-François Paoli : J'étais moi même présent à cette convention où j'ai animé un débat sur la tyrannie de la pensée unique avec des invités qui avaient un propos nuancé et je trouve affligeant que l'on réduise cette convention au discours d'Eric Zemmour. J'ai beaucoup d'estime pour le travail d'Eric Zemmour ainsi que pour son courage et son brio mais on ne peut, à droite, se contenter de son discours. La situation de secession qui existe aujourd'hui dans certaines villes et dans certains quartiers valident dans une certaine mesure ses analyses. Pour autant je pense qu'il est absurde d'essentialiser les musulmans en en faisant par principe des ennemis potentiels de ce pays.  Lors du débat que j'ai animé Frédéric St Pierre qui est l'auteur de la Droite face à l'islam (Salvator) a développé un argument intéressant sur ce qu'il appelle l'islam culturel. L'islamisation de notre société n'est pas liée selon lui à une volonté de subversion des islamistes, elle se fait pour ainsi dire "naturellement" dès lors que les musulmans ne perçoivent plus le fait d'être français comme porteur de sens sur le plan religieux, culturel ou moral. Les valeurs démocratiques et laïques suffisent d'autant moins à identifier la France qu'elles donnent théoriquement la possibilité à quiconque de vivre selon ses propres normes du moment que celles ci ne sont pas contraignantes pour ceux qui n'y adhèrent pas. Je suis de ceux qui pensent qu'il existe un rapport entre l'anomie croissante des grands villes occidentales et le progrès de l'islam qui instaure des normes et des interdits, notamment liées à la sexualité, là où elles ont simplement disparu. Ce n'est pas en ouvrant des espaces naturistes au Bois de Boulogne comme l'a fait Mme Hidalgo que l'on luttera  contre l'islamisation des moeurs. Au contraire on y concourra. Concernant Marion Maréchal je ne suis pas sûr qu'elle souscrive totalement aux propos ultra guerriers de Zemmour. Le fait qu'elle soit catholique pourrait au contraire induire une forme de modération. Sa popularité est liée à sa fraîcheur d'esprit et à son dynamisme. Au fait aussi qu'elle semble habitée par des convictions qui ne sont pas liées à des préoccupations électoralistes. Quant à ceux qui la classent à l’extrême droite ils n'ont ni tort ni raison puisqu'ils sont eux même généralement dans l'incapacité de définir ce qu'est "l’extrême droite". Le général de Gaulle quand il s’insurgeait contre l'idée d'une France avec 10 millions de musulmans d'origine algérienne était il d’extrême droite? On voit bien que cette cette notion est aussi relative aléatoire.

Face à elle, Eric Zemmour qui était jusque là considéré comme présidentiable par certains, semble s'être décrédibilisé pour une partie de la droite traditionnelle. A-t-il perdu ce statut qu'on lui avait donné, à l'insu de son plein gré, depuis 2017 ?

Paul-François Paoli : Qu'il se présente ou non Eric Zemmour est assez avisé pour savoir qu'il ne peut surement pas conquérir la majorité. Il est aujourd'hui sans doute plus clivant que Marine Le Pen, voire même plus clivant que Marion Maréchal. Personnellement je n'ai jamais cru qu'il se présenterait même avant son discours de la Convention de la droite.. 

Christophe Boutin : Là encore, il faut rappeler qu’Éric Zemmour n'a jusqu'ici jamais annoncé qu'il se portait candidat à une quelconque fonction, pas plus à une mairie qu’à la présidence de la république. Il a toujours revendiqué un statut d'intellectuel libre, volontiers polémiste dans le ton, ce qui a d'ailleurs fait son succès dans les émissions de radio ou de télévision auxquelles il participe – et le succès de ces dernières, car c’est un « bon client » en termes d’audimat –, mais aussi essayiste politique et historique capable d’analyses de qualité qui lui ont valu les succès de librairie de ses ouvrages récents consacrés à l'histoire et à l'évolution de la France.

Si la question du statut de présidentiable d’Éric Zemmour a pu être posée – on rappellera l’ouvrage très finement vu de Geoffroy Lejeune Une élection ordinaire -,  c’est à cause de l'absence de leader reconnu par l'ensemble de la famille conservatrice en France. Cela a conduit à tenter de fédérer cette famille, mais les débats intellectuels prometteurs n'ont jamais débouché sur le plan politique, les appareils comme leurs leaders entendant garder leurs distances, obsédés par l’idée que celui qui arriverait à se positionner entre des Républicains en capilotade et la droite la plus radicale pourrait rassembler la plus grande partie de cet électorat – sur le modèle du rassemblement opéré par Nicolas Sarkozy en 2007 sur les conseils de Patrick Buisson. Mais si l’on remarque quelques egos surdimensionnés, manquent encore les statures politiques incontestables désireuses d’entrer dans la lutte.

Présidentiable par défaut donc, Éric Zemmour a-t-il perdu ce statut à la suite de cette polémique ? Restons prudent sur ce point. Si l’on regarde la scène politique occidentale, on constate que, dans ce monde où une frange non négligeable de la population estime, à tort ou à raison, que le pouvoir a été capté à son seul profit par une caste fermée, être « disruptif », utiliser les mots interdits, créer une polémique, et soulever la colère indignée de ce qui peut être perçu comme une  oligarchie médiatico-politique n'est pas nécessairement négatif. Être attaqué par les journalistes ou les hommes politiques, soit finalement deux des catégories les plus décriées dans les sondages d’opinion, et deux auxquelles par exemple les Français font le moins confiance, vaudra bientôt brevet d’intégrité, et, loin de stigmatiser celui qui en serait la victime, le conduisant à devoir abandonner tout espoir politique, peut bien au contraire lui servir de rampe de lancement. N’était-ce pas la tactique d'un Donald Trump que de susciter par ses provocations les attaques de l'intelligentsia démocrate, puissante politiquement et plus encore sans doute dans les milieux intellectuels, mais détestée par un électorat oublié auprès duquel elles ces attaques n'ont fait que renforcer le « briseur de tabous » ?

Cette polémique dont Eric Zemmour fait l'objet ne pourrait-il pas être finalement favorable à Marion Maréchal ? Si pour l'instant ni l'un ni l'autre n'avaient déclaré vouloir se présenter en 2022, mettre Zemmour, cette polémique ne l'a-t-il pas mis hors du jeu politique définitivement ?

Christophe Boutin : Il n'est pas certain qu'il faille penser Éric Zemmour et Marion Maréchal comme deux opposants briguant la direction d'une écurie de présidentiable pour 2022. L'un comme l'autre ont choisi de se tenir à l'écart de la politique, et pour des raisons différentes, ne sont pas entrés dans le cursus honorum qui aurait pu leur permettre de prendre leurs marques pour 2022 : absents aux municipales de 2010, ils n'évoquent pas plus la possibilité de venir en politique lors des élections départementales et régionales qui précéderont la présidentielle.

On a dit ce qu’il fallait penser de l’efficacité limitée de la mise au ban du journalisme d’Éric Zemmour par ses zélés confrères. On le voit déjà : en sus de ceux qui ont pu se retrouver plus dans son discours polémique que dans d’autres analyses contemporaines plus éthérées de l’immigration ou de la radicalisation religieuse, la polémique est maintenant lancée sur les limites de la liberté d’expression, pose effectivement un certain nombre de questions, et peut même conférer un statut de victime à celui que ses adversaires tentent de lyncher.

Effectivement, être trop disruptif, trop polémique, empêche de rassembler derrière soi des électeurs plus modérés, mais  il est permis de penser que cette capacité était déjà sérieusement obérée. Par contre, cela peut permettre de réveiller des abstentionnistes dont il ne faut pas oublier qu'ils représentent une part non négligeable du corps électoral, et dont une partie d'entre eux au moins estime que l'offre politique n'est pas assez variée, ou ne met pas assez l'accent sur ce qui lui semble important. Un électorat nouveau, qui vient soutenir dans les urnes ces candidats disruptifs qui ont à ses yeux le mérite de « renverser la table ».

N’oublions pas ensuite qu’en politique la claire définition d’un ennemi commun peut rassembler  dans une même lutte des groupes qui, sinon, s’opposant entre eux sur d’autres points, permettent la victoire d’un tiers. Et que certains sujets trouvent une résonnance immédiate dans la société actuelle, transcendant parfois les appartenances politiques ou sociales. N’oublions pas enfin qu’au vu de l’ampleur de la crise actuelle revient ce vieux mythe politique français analysé par Raoul Girardet du « sauveur », présent aussi derrière cette demande « d’homme fort » que révèlent nombre de sondages, et qu’on s’embarrasse bien peu alors de certains excès de langage.

Pour toutes ces raisons, il semble difficile de croire qu’une polémique comme celle qui entoure actuellement Éric Zemmour – et, à travers lui Marion Maréchal, et même, au-delà, une droite conservatrice identitaire – soit politiquement incapacitante.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !