Ces demandes de protection qu’Emmanuel Macron juge légitimes… et les autres : petites réflexions sur les droits et les devoirs des citoyens (ET des élus) français <!-- --> | Atlantico.fr
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Dans un entretien au Parisien, Emmanuel Macron a affirmé que les citoyens se définissent à travers leurs devoirs.
Dans un entretien au Parisien, Emmanuel Macron a affirmé que les citoyens se définissent à travers leurs devoirs.
©Christope Petit Tesson / POOL / AFP

Quinquennat des injustices ? 

« Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Qui n’est plus un citoyen ». On peut contester les termes mais accepter l’idée que les non vaccinés ont des devoirs. Mais alors, que dire des libertés que s’accordent les uns en matière de flux migratoires, de mondialisation, de fiscalité, de sécurité, etc… et qui empiètent largement sur celles des autres sans que les demandes de protection de ces derniers ne soient entendues ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Emmanuel Macron a affirmé que les citoyens se définissent à travers leurs devoirs. Il a rappelé aux lecteurs du Parisien que lorsque « ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen ». Cette vision est-elle en accord avec l’histoire française du rapport droits/devoirs ?

Christophe Boutin : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » énonce l’article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. C'est sans doute à cela que faisait allusion Emmanuel Macron, mais il est évident qu'en France le rapport entre les droits et les devoirs des citoyens est quelque chose qui a toujours été très difficile à définir. En effet, depuis la Révolution, et même avant, chez les philosophes des Lumières par exemple, l’individualisme sous-jacent aux idées nouvelles induit à considérer l’État avant tout comme une menace contre laquelle il faudrait en permanence protéger les droits des individus. Tel est d’ailleurs très clairement le but de cette déclaration de 1789, qui vise à rappeler des droits dont l'oubli aurait conduit, selon les révolutionnaires, à l’expansion d’un pouvoir absolu qui pouvait attenter impunément aux libertés individuelles.

En sens inverse, les devoirs que pourraient avoir les mêmes individus envers cette communauté dont ils font partie, en tant que citoyens bien sûr, mais même au-delà, dès leur naissance ou dès leur arrivée sur le territoire, ne serait-ce que parce que cette communauté leur permet de survivre dans un monde potentiellement hostile, ne sont que très rarement pris en compte. À preuve d'ailleurs, à part cette mention de l'article 4, le seul autre devoir prévu - mais là encore sans que le terme soit explicitement mentionné - dans cette déclaration de 1789, est celui de participer « à la contribution commune pour l'entretien de la force publique et de l'administration », autrement dit de payer des impôts (art. 13).

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Ce n'est que dans la constitution de 1795, la constitution directoriale qui suit Thermidor et la chute de Robespierre, qu’après les droits sont effectivement listés neuf articles de devoirs. Ceux-ci sont présentés de manière très générale : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît. - Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir » (art. 2), et le respect des lois est bien évidemment recommandé, car « celui qui viole ouvertement les lois se déclare en état de guerre avec la société » (art. 6). On ne verra plus réapparaître ensuite la notion de devoir qu’avec le projet de constitution du 30 janvier 1944, qui précise que « les devoirs des citoyens envers l'État sont l'obéissance aux lois, une participation équitable aux dépenses publiques, l'accomplissement de leurs obligations civiques pouvant aller jusqu'au sacrifice total pour le salut de la Patrie » (art. 9).

Un peu plus de vingt années plus tard il était « interdit d’interdire », et plus que jamais la revendication des droits à tout ou presque était inscrite sur toutes les banderoles. Nous sommes encore les enfants de cette révolte hédoniste, et on comprend donc que notre rapport aux éventuels devoirs des citoyens soit toujours délicat. De nos jours, et de manière assez intéressante, les « droits et devoirs des citoyens » sont par exemple évoqués à l'article 21-24 du Code civil, qui traite des naturalisations, et précise que « nul ne peut être naturalisée s'il ne justifie […] d'une connaissance suffisante […] des droits et devoirs conférés par la nationalité française. » Ces derniers sont rappelés dans la Charte des droits et devoirs du citoyen français que doit signer le nouveau naturalisé, et qui liste ainsi le respect « des symboles républicains » et de la loi, le devoir de participer à la Défense nationale, au jury d'assises, au vote (on y retrouve la formule : « voter c'est un droit, c'est aussi un devoir civique ») et, bien sûr, à l'impôt.

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Quant au fait que l'on puisse déchoir quelqu'un de sa nationalité parce qu'il a manqué à l’un de ses devoirs, ce que sous entend ou presque la phrase présidentielle, c'est effectivement possible, à condition bien évidemment qu'il dispose d'une autre nationalité et que l'on n'en fasse pas un apatride. Par ailleurs, certaines peines complémentaires peuvent affecter des condamnés et les priver d'un certain nombre de leurs droits de citoyens. Ce peut être par une privation du droit de vote, mais aussi en limitant leur liberté d'aller et venir - en leur interdisant de paraître sur telle partie du territoire -, ou leur liberté d’entreprendre - en leur interdisant de diriger tel type de société. Autant d’éléments temporaires qui disparaissent lorsque s’est écoulé le temps de la peine prononcée.

Ajoutons que, dans notre société comme dans nombre d’autres, la réprobation qui frappe celui qui, par son comportement, manque à certains devoirs qu’impose naturellement la vie en commun, est au moins autant une réprobation sociale qu'une réprobation légale. L’inconduite est alors sanctionnée par une mise à l’écart du groupe social, éventuellement par des remarques ou des attitudes hostiles. Mais encore faut-il alors, pour que cette pression sociale soit intériorisée et aboutisse au respect des devoirs, que la société ne soit pas trop fractionnée en groupes antagonistes… et qu’en cas de crise importante l’intervention de l’État rappelle chacun à ses devoirs.

Existe-t-il, d’une manière globale pour l’ensemble des citoyens français, un identique respect d’une même protection accordée ? Comment expliquer ces différences ?

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L’État, pour protéger les droits de certains, doit en rappeler d’autres à leurs devoirs s’ils ne s’astreignent pas par eux-mêmes à les respecter. L’ordre général de la société, et donc sa survie dans le temps, en dépendent. C’est alors un jeu permanent et très délicat d’équilibre entre les intérêts des différents groupes, qui n’ont pas les mêmes attentes.

Les différences dans la prise en compte des devoirs sociaux sont multiples. Si l'on prend par exemple un certain nombre de nuisances, certains groupes respectent moins les règles que d'autres et sont donc logiquement plus sanctionnés. Il est évident par exemple que les règles écrites ou non, les « devoirs », sont généralement mieux respectés par les personnes âgées que par les adolescents en crise – il suffit de voir la question des nuisances sonores. Il y a par ailleurs des tempéraments régionaux différents, et certaines règles ne sont pas appliquées et respectés de la même manière dans le nord de la France que dans le Sud, sans pour cela créer de gène d’ailleurs. Il y a donc là des pesanteurs sociologiques classiques à nos sociétés, que la contrainte sociale avait jusque là régulées au moins autant que la contrainte normative.

À côté de ces différences habituelles dans la prise en compte des devoirs sociaux, il ne faut pas négliger le fait que la relative homogénéité du groupe national a été a été ces dernières années profondément affectée par une immigration de masse qui a installé sur le territoire des groupes à même de maintenir entre eux un réseau culturel suffisant pour ne pas, ou moins, se diluer dans la nation d’accueil. Or ces nouveaux groupes ont des règles culturelles spécifiques, qu’ils appliquent de manière naturelle. Ces règles non écrites mais très prégnantes culturellement, en termes par exemple de proximité corporelle, de bruit, ou d'usage du domaine public, induisent des attitudes ou des comportements qui ne sont pas faits pour heurter, mais qui sont cependant perçus dans l’autre groupe comme une agression.

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On mesure dès lors les difficultés de l’État pour faire respecter les devoirs de chacun. La solution qui consisterait à appliquer avec une même rigueur le contrôle des devoirs – et donc les limitations des droits – pourrait sembler la seule viable. Mais nous sommes dans les faits face à l'existence d'un « deux poids, deux mesures » dans l'application de la norme. Ces différences dans l’application sont parfois légitimes, voire nécessaires, lorsqu’elles ne font que traduire l’existence d’une différence de situation : que, par exemple, face à une urgence vitale, un conducteur s’affranchisse d’une limitation de vitesse, n’est ainsi pas aberrant. Mais tout autre est le cas de figure dans lequel la différence de situation dont tient compte l’État oblige un groupe à un strict respect de ses devoirs tout en en affranchissant complètement d’autres.

Selon leur situation dans la société, les Français ne ressentent pas le besoin des mêmes protections sur les mêmes sujets car ils n’éprouvent pas les mêmes craintes. L’Etat est-il prompt à protéger certaines choses, selon les thématiques, ou certains individus ?

Oui bien sûr, les citoyens ne demandent pas la même protection à l’État. Et dehors des contextes particuliers – région, insécurité, événement précis – et même s’il existe bien sûr toujours des exceptions, on trouve des variations communes en fonction par exemple de l’âge, ou du patrimoine. Et l'État devra effectivement choisir entre les groupes puisque les demandes que formulent ces derniers sont parfois contradictoires : il privilégie alors telle demande, donc tels droits, et impose à d'autres, pour protéger justement ces droits, sinon des devoirs plus importants, au moins un respect plus strict de  leurs devoirs.

Même s’agissant de devoirs dont l’État ne peut relever les citoyens – au premier rang desquels le paiement d’un impôt qui le fait vivre - il fait des choix : sans pitié pour le citoyen lambda, il est ainsi beaucoup plus laxiste envers certaines entreprises. Et on a vu de tels choix cette fois avec l’application de règles de sécurité, lors du confinement, avec un contrôle très strict sur certaines zones, mais à peine esquissé dans d'autres.

La question du « deux poids, deux mesures » réapparaît ici, en sachant que lorsque le manquement aux devoirs du citoyen est impitoyablement sanctionné dans certains cas, pour être très largement toléré dans d'autres, cela ne peut que conduire à fractionner la société. Rien n’est pire que le sentiment d’injustice.

Ces différences s’expliquent-elles par des choix idéologiques ? Peut-on y voir le résultat de volontés politiques ?

Les deux, bien sûr. Il y a effectivement des choix idéologiques. C'est, d'abord, celui qui découle de cette approche individualiste qui est la nôtre depuis la Révolution française, ce choix de faire primer autant que faire se peut les droits de l'individu sur les droits de la communauté à laquelle il appartient, sans guère lui demander de respecter des devoirs. Le devoir serait fasciste, ou peu s’en faudrait, tant il renverrait à une primauté de la communauté, ici nationale, sur les individus. Les jurisprudences actuelles, des cours internationales comme des juges internes, traduisent dans les faits cette idéologie des droits de l’homme qui déconstruit aujourd’hui pans par pans ce qui nous a permis de devenir ce que nous sommes. Un monde dans lequel les droits de la victime semblent parfois compter moins que ceux du coupable.

C’est aussi, liée à la première, l’influence de l’idéologie mondialiste, celle d’un capitalisme financiarisé, qui fait que l'on choisit de taxer plus lourdement la fortune immobilière que la fortune mobilière, ou les individus, à qui on ne fera grâce d’aucun impôt, que des entreprises  auxquelles on permet une « optimisation fiscale ».

Ce sont enfin de nos jours les conséquences de ces approches déconstructionnistes typiques de l’idéologie progressiste, qui visent cette fois à penser les rapports sociaux en termes de lutte entre des groupes « dominants » et « dominés », offrant à ces derniers tous les avantages d’une « discrimination positive » qui ne leur donne que des droits – mais quels devoirs se reconnaîtraient-ils face à la société des « dominants » ?

Idéologie donc dans les grands choix, mais volonté politique aussi. Lorsque l'État fait le choix de sanctionner ou pas certains groupes qui manquent à leur devoir, il n’est en effet jamais indifférent aux conséquences de ce choix, et se pose des questions très pratiques : Quel groupe vote ? Que vote-t-il ? Quel groupe est à même de se rebeller ? Avec quel niveau de rébellion ?

Vous évoquiez la récente déclaration d’Emmanuel Macron. On peut faire l’hypothèse d’une intime conviction qu’aurait le Président que sa politique est la seule à même d’empêcher des millions de morts, et de sa légitime indignation face à ceux qui se refusent à appliquer ses consignbes. Mais on peut aussi penser qu’il estime que les groupes actuellement en forte attente de protection, et notamment les classes aisées et âgées, forment traditionnellement une part non négligeable des votants. Certes, me direz-vous, ces mêmes classes aisées et âgées ont aussi des revendications sécuritaires autres que sanitaires, et cette fois nettement moins bien satisfaites. Mais Emmanuel Macron sait aussi quel groupe est susceptible de se rebeller de manière violente, et quel autre ne l’est pas. On peut toujours tirer sur des antivax, comme on l’a fait sur des Gilets jaunes, mais ailleurs…

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