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Jean Castex Emmanuel Macron gestion de la crise du coronavirus centralisation administration
Jean Castex Emmanuel Macron gestion de la crise du coronavirus centralisation administration
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Dommages collatéraux

La stratégie vaccinale est un nouvel exemple de la gestion hyper centralisée de la crise sanitaire. Selon Le Point, Jean Castex et Emmanuel Macron ne souhaitent pas mettre en place plus de mesures territorialisées pour éviter les inégalités de traitement entre les départements. Cette mentalité technocratique coûte-t-elle cher à la France ?

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : Avec la campagne de vaccination, le gouvernement semble continuer de s’enfoncer  dans une gestion hyper centralisée de la crise. Un peu partout à travers la France, ce sont les élus locaux, les soignants ou les entreprises qui ont pallié les défaillances logistiques comme stratégiques majeures du gouvernement. Devrait-il davantage faire confiance aux territoires ?

Charles Reviens : Le caractère exceptionnellement centralisé de la France dans son organisation administrative et politique ne date pas de la présente pandémie covid-19. En dépit de deux actes de décentralisation – au début du premier septennat de François Mitterrand puis au début du quinquennat de Jacques Chirac, et sans un troisième acte promis mais jamais mis en œuvre par François Hollande, la France est et de très loin le grand pays européen le plus centralisé en dépit du caractère constitutionnel du principe de libre administration des collectivités territoriales.

En 2009 le bureau d’études économiques suisse BAK Basel avait élaboré pour l’association des régions d’Europe un indice centralisation/décentralisation basé sur deux critères : la disposition ou non par les institutions infra-étatiques de ressources financières propres et leur implication dans la production normative. Le résultat donnait à la France un indice de centralisation très supérieur aux cinq autres grands pays de l’Union Européenne de l’époque (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne, Pologne).

Dans le champ sanitaire les vingt-cinq dernières années sont, depuis les réformes d’Alain Juppé de 1995-1996, marquées par une étatisation, une centralisation et une bureaucratisation croissante et les agences régionales de santé (ARS), sortes de préfectures sanitaires, ont été depuis un an au cœur de l’attention et souvent des critiques. Il n’est pas sûr toutefois que cette centralisation avérée constitue l’explication majeure des difficultés initiales de la campagne de vaccination lancée en France depuis quelques semaines, et pour laquelle la France (0,29% de la population vaccinée au 12 janvier) semble en retard par rapport aux autres pays comparables, sans même évoquer Israël qui a vacciné près du quart de sa population en trois semaines.

En effet, la supériorité apparente par exemple des Etats-Unis à date sur la vaccination (proportion de la population vaccinée dix fois supérieur à celle de la France) semble tenir à l’articulation entre administrations publiques et secteur privé dans le cadre du partenariat public privé qu’est l’ « opération Warp Speed » impliquant armée, laboratoires pharmaceutiques (Pfizer, Moderna…) et grandes entreprises de logistique (UPS et fedex).

En France c’est justement sur la question logistique (distribution des vaccins, vaccinodromes) que les responsables élus des collectivités territoriales, et notamment les plus visibles d’entre eux, font les critiques les plus acerbes : « faute gravissime » sur la stratégie de vaccination de l’exécutif pour Xavier Bertrand, « tout est faite en catastrophe » pour Philippe Juvin qui pour sa part joue à la fois dans le champ sanitaire et politique, retard à l’allumage et manque de logistique pour Anne Hidalgo. On note d’ailleurs que ces élus locaux sont tous des opposants politiques compte-tenu de la faible implantation locale du parti présidentiel.

Selon Le Point, Jean Castex et Emmanuel Macron ne souhaitent pas mettre en place plus de mesures territorialisées pour éviter les inégalités de traitement entre départements voisins. La France « n'est pas un gruyère », a glissé Jean Castex. Cette obsession pour l'égalitarisme n'est-elle pas en train de nous mettre en échec face au covid ?

Rappelons comme chaque fois la nécessité d’une palette d’instruments variés pour assurer une bonne performance globale (sanitaire, économique, sociale) face à la crise sanitaire. A l’instar de la question de la très forte centralisation française, il me semble également que l’enjeu de la réduction des inégalités et l’obsession pour l’égalitarisme constitue certes une réalité nationale quasiment anthropologique mais pas un point d’explication majeur de notre réussite ou notre échec dans la gestion de la pandémie.

Le concept de « France gruyère » évoqué par Jean Castex (il aurait également pu avoir recours à la « France léopard ») renvoie à la carte de France avec les départements où le couvre-feu est à 18 heures contre 20 heures au niveau national. L’exécutif semble envisager de revenir à des mesures nationales afin d’obtenir une meilleure lisibilité de la situation sanitaire et d’envoyer un message clair de vigilance à l’ensemble de la population.

La France n’est pas du toute la seule à faire des confinements nationaux : c’est le cas en Allemagne depuis novembre et encore plus le cas au Royaume-Uni soumis à un variant préoccupant, chaque fois face à une situation qui semble devenir incontrôlable et qui fait peser un risque de débordement à l’écosystème sanitaire national.

En revanche les différences de communication sont majeures par exemple entre la France et l’Allemagne, ce qui renvoie à des cadres institutionnels et des cultures politiques fortement divergentes. La France est le lieu de grandes messes communicantes « top down » qui suivent un rituel désormais bien établi : d’abord le Président de la République, puis le Premier ministre, puis le ministre de la santé et celui de l’économie et des finances pour leurs périmètres respectifs, puis les autres ministres, puis le directeur général de la santé… En Allemagne, la quasi-totalité des grands moments de communication associent la chancelière et les dirigeants des 16 Länder.

Cette mentalité technocratique coûte-t-elle cher à la France sur la courbe de mortalité de l’infection ? Si la France avait été gérée comme l’Allemagne, le taux de mortalité aurait-il été le même ?

L’analyse dans la durée de la pandémie covid-19 pousse chaque jour un peu plus à la vigilance et la modestie, et la comparaison France-Allemagne est très emblématique à ce titre. Alors que nos voisins nous donnaient au printemps une leçon de maîtrise, la situation est désormais très différente voire inversée pour le moment : désormais plus de 40 000 morts covid en Allemagne selon l’institut Robert Koch, 5 000 malades en soins intensifs et 80 % de taux d’occupation des lits dans les services de soins intensifs.

Une distinction de performance beaucoup plus opératoire semble être celle proposée par le docteur Claude-Alexandre Gustave dans sa contribution d’hier sur l’analyse cout-bénéfice du confinement. Il y a d’un côté des pays, notamment occidentaux, qui ont décidé de « vivre avec le virus » et ont beaucoup de difficultés à sortir d’une boucle permanente entre restriction et levée des interactions sociale, coincés qu’ils sont entre impératifs sanitaires et impératifs sociaux-économiques. Il y a de l’autre des pays, notamment dans la zone Asie-Océanie, qui sont parvenus à « écraser le virus » par une action précoce et radicale permettant ensuite le retour à une vie quasiment normale. Cette distinction recoupe bien la séparation entre « zones rouges » et « zones vertes » proposée par le professeur Yaneer Bar-Yam du MIT.

Le concept de technocratie, pouvoir des experts (des mots grecs tekhnê -art, métier- et kratos, pouvoir, autorité) était d’abord un terme descriptif ou même positif avant de prendre aujourd’hui une connotation systématiquement péjorative et critique et ceci sous un double angle : critique de la légitimité des experts par exemple au regard de la souveraineté du peuple, mais également critique de la compétence d’experts qui peuvent parfois être davantage autoproclamés qu’efficaces au regard de leurs résultats.

La brutalité du benchmark covid-19 qui est pour partie un match des performances sanitaires et économiques nationales sous le regard des médias et des opinions publiques, a ravivé en France les critiques sur la performance de l’écosystème politico-administratif français au regard des toutes les difficultés rencontrées par le pays dans sa gestion de la pandémie.

On ne compte donc plus les tribunes critique sur cet écosystème, la dernière livraison étant le papier d’hier d’Olivier Babeau dans les Echos sur l’obsolescence des institutions nationales. A cela se rajoute l’importance considérable régulièrement évoquée prise par la communication dans l’activité politique et le fait que l’administration française semble un peu livrée à elle-même et avant toute chose productrice de normes en tout genre.

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