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Ces autres objectifs nettement moins consensuels que les militants du nouvel anti-racisme se gardent bien de mettre en lumière
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

à bas l'état, à bas le capitalisme

Le thème de la "race" occupe l'actualité française depuis plus d'une semaine maintenant. Plusieurs mouvements anti-racistes revendiquent l'usage de ce concept, tout en y mêlant des critiques déjà bien connues du libéralisme et du capitalisme.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico.fr : La rhétorique de la race est souvent accompagnée dans les groupes antiracistes d'une critique du capitalisme. L'anti-racisme n'est-il pas au fond un paravent commode pour réanimer une critique du capitalisme ? 

Yves Michaud : L'anti-racisme est depuis au moins les années 1930 un élément central de la panoplie idéologique de gauche – avec l'anti-capitalisme. Depuis, il est resté dans la panoplie. Pour des raisons historiques évidentes, cet anti-racisme était d'abord tourné contre l'anti-sémitisme souvent de droite depuis la fin du XIXème siècle français.

Le fait très nouveau est que les anti-racistes actuels sont tournés contre le colonialisme et ses séquelles – luttes postcoloniales, décoloniales, indigénistes. Ils sont très peu opposés à l'anti-sémitisme, quand ils ne flirtent pas ouvertement avec lui au nom de la défense de la cause palestinienne.

Comme le désordre des idées et des partis est grand, l'idée de fronts idéologiques et politiques clairement définis a fait place à la notion molle d'intersectionnalité : des luttes très différentes peuvent trouver à s'unir selon les circonstances et sur certains points : anti-capitalistes vieux jeu à la Mélenchon, anarchistes black blocks, islamo-gauchistes, féministes radicales. Les toutes dernières prises de position assez hallucinantes de Virginie Despentes dans sa « Lettre à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème » sont exemplaires de cette confusion intersectionnelle.

En fait l'anti-capitalisme devient fédérateur de positions très hétérogènes et peu compatibles et, comme il est toujours censé être « de gauche », il dédouane opportunément ce que l'anti-racisme nouveau a de...raciste. Car il faut être clair et net : la dénonciation du racisme est aujourd'hui une dénonciation raciste anti-blancs. On a voué aux gémonies Manuel Valls pour avoir dit que la lutte des classes cédait la place à la lutte des races mais c'est exactement ce que disent un certain nombre de prétendus anti-racistes. Je renvoie aux articles publiés dans l'obscure revue Portique, et notamment celui d'un sociologue Ahmed Boubeker qui glorifie la lutte des races en se réclamant de Foucault (revue Portique, n° 13-14 de 2004).

Laurent Alexandre : Il y a convergence entre les discours verts, gauchistes et racialistes.

La gauche a cessé d’être favorable au progrès au tournant des années 1990. Tout bronzé à son retour de Grèce, le candidat du Parti socialiste aux Européennes, Raphaël Glucksmann, a expliqué sur France Inter que les week-ends à Barcelone seraient désormais très chers et donc réservés aux riches. Convaincre les classes populaires qu’il faut vivre une vie frugale semble bien plus facile que de se battre pour augmenter la croissance. Pour la tête de liste socialiste aux élections européennes de 2019, l’avenir est clair : vendons la noblesse de la pauvreté aux Gilets jaunes et réservons les Paris Barcelone à la gauche caviar. Il faut reconnaître que répéter « on va tous mourir » est plus simple que d’expliquer comment lutter contre le leadership technologique chinois pour maintenir le pouvoir d’achat des Gilets jaunes ! 
Se cherchant de nouveaux combats, la gauche et les verts ont rencontré le gauchisme intersectionnel. La convergence des luttes est en marche. Le déplacement du discours de Greta Thunberg de la lutte contre le CO2 vers le gauchisme intersectionnel, témoigne de cette dérive. « Le système d’oppression patriarcal, colonialiste et raciste a créé et alimenté la crise climatique. Nous devons le démanteler », a-t-elle écrit le 29 novembre 2019. L’icône suédoise est passée à un discours que les Indigènes de la République ne désapprouveraient pas : aux yeux de l’électorat, ce glissement ne peut que légitimer un peu plus les positions d’Éric Zemmour et favoriser le Rassemblement National. Tous les malheurs du monde sont dus à l’homme blanc même la hausse du CO2.

Tout est bon pour culpabiliser l’Occident capitaliste. Michel et Monique Pinçon-Charlot, célébres sociologues du CNRS, expliquent dans L’Humanité : « Le dérèglement climatique dont les capitalistes, qui ont pillé les ressources naturelles pour s’enrichir, sont les seuls responsables, constitue leur ultime arme pour éliminer la partie la plus pauvre de l’humanité devenue inutile à l’heure des robots et de l’automatisation généralisée. L’intelligence artificielle régnera alors sur une planète au service des riches survivants, une fois que les ouragans, tempêtes, inondations et incendies gigantesques auront fait le sale boulot. » Aucun écologiste ne s’est insurgé contre ce délire complotiste. Cela nous fait entrer dans un monde manichéen à la recherche de boucs émmissaires faciles. 

Le discours antiraciste est dévoyé par des groupes militants qui attisent les haines raciales et religieuses. Fabriquer une guerre des religions ou une guerre ethnique est extrêmement facile. La Saint Barthélémy est plus facile à fabriquer qu’un Edit de Nantes qui sécurisa les protestants français. La lutte des races remplace la lutte des classes comme l’ancien premier ministre, Manuel Valls vient de la déplorer.

Les anti-racistes en réalité racialistes ont parfaitement compris que la haine identitaire est un extraordinaire levier de mobilisation politique. On ne mobilisera jamais sur le taux de l’Impôt sur les sociétés. En revanche, on lévera des masses entières pour la défense d’une identité raciale ou religieuse.

Le thème de la « race »  devient central ans le discours politique au moment ou la société française pensait que son concept même était en train de disparaitre. Il est prévu de retirer le mot race de la Constitution de 1958…

Au fond, est-ce que la dynamique autour des questions raciales ne cachent pas le fait que la contestation du capitalisme et du libéralisme fait bien moins consensus à gauche que le discours antiraciste ?  

Yves Michaud : C'est évident! Mais hélas pas seulement à gauche ! D'abord au nom de la lutte contre les GAFA et le capitalisme financier (qui sont deux choses pourtant très différentes), au nom de l'écologie aussi, tout le monde ou presque se veut anticapitaliste : Google, Lehmann Brothers et Monsanto, même combat. Quant au capitalisme capitaliste « à la papa », personne ne sait plus de quoi il s'agit. En fait l'anticapitalisme est devenu une tarte à la crème. « A gauche » et plus gravement, il devient le cache-sexe du racisme au cœur du prétendu « anti-racisme » actuel. Rien d'autre. Regardez les contorsions de Mélenchon sur les dénonciations de sa Clémentine Autain, et encore une fois lisez  de Despentes. Tout le monde il est raciste, tout le monde il est anticapitaliste et donc tout le monde il est antiraciste.... 

Où ce discours antiraciste et antilibéral nous mène-t-il ? S'agit-il d'une utopie où chacun replié sur sa communauté pourra se permettre de limiter les libertés des autres en fonction de sa sensibilité ? 

Yves Michaud : Ça mène à ce que j'appellerai un « multicommunautarisme intersectionnel », agressif, haineux et militant sur le mode « clan Traoré ». En 1993, Hans Magnus Enzensberger avait publié un essai Aussichten auf den Bürgerkrieg (traduit en français sous le titre La Grande Migration, suivi de Vues sur la guerre civile, Paris, Gallimard, coll. « L'infini », 1994) où il entrevoyait un avenir de guerres civiles communautaires. Je pense qu'on s'y achemine tranquillement – quand on voit par exemple les affrontements « racistes » entre Tchétchènes et maghrébins à Dijon. Je parie en outre que tous les combattants de cette guerre sont de vaillants anti-racistes. Je constate aussi que dans l'Université, aujourd'hui les groupes racistes/anti-racistes d'enseignants-chercheurs se font de plus en plus nombreux en imposant au nom du postcolonial des censures de plus en plus graves qui détruisent le concept même d'Université (Universitas). En vertu des modes de recrutement par cooptation, ils ont un bel avenir. Apparemment, tout le monde s'en fout mais tout le monde en paiera – en paie déjà - le prix et il sera - est déjà - lourd.

Laurent Alexandre : Ce qui m’inquiète le plus est la multiplication des conflits inter ethniques larvés : le procés fait à Harvard par les Asiatiques est un exemple spectaculaire… La fraternité humaine affronte de nouveaux défis. Nous risquons d’avoir des oppositions violentes entre communautés.

On voit grandir aux Etats unis, l’opposition entre les Asiatiques dont la réussite sociale est exceptionnelles et les autres communautés. Les « Asian American » – les Américains d’origine asiatique – sont 14,7 millions, soit 4,8 % de la population américaine. En 2014, l’université de Harvard a été attaquée en justice par les étudiants asiatiques de « Students For Fair Admissions », en raison des préférences qu’elle accorderait aux candidats blancs, noirs et hispaniques, aux dépens d’étudiants asiatiques plus méritants. Effet de cette politique, les Asiatiques représentaient seulement 19% des étudiants admis, alors qu’ils auraient dû atteindre 43 % sur les seuls critères intellectuels et académiques. Soit quasiment dix fois leur poids démographique ! Ce sont 64 organisations asiatiques qui reprochent à Harvard et d’autres prestigieuses universités, de fixer des critères d’admission plus élevés pour leur communauté. À New York, le très renommé lycée Stuyvesant, qui sélectionne exclusivement sur test et ne pratique aucune discrimination ethnique, est aujourd’hui asiatique à 72 %. Le sociologue Thomas Espenshade, de Princeton, a montré que pour être accepté dans les meilleures universités, les Asiatiques devaient en moyenne obtenir 140 points de plus que les étudiants blancs, 270 points de plus que les Hispaniques et 450 points de plus que les Afro-Américains aux tests intellectuels SAT (sur une échelle de 2400 points). La politique de discrimination positive, pensée dans les années 1960 pour aider les minorités raciales défavorisées, affronte aujourd’hui une grave crise : les Asiatiques sont convaincus qu’elle est devenue un instrument pour réduire leur place. La communauté asiatique a de fait des résultats scolaires et professionnels éblouissants, nettement supé- rieurs à ceux des autres communautés, y compris des Blancs. 

Les statistiques gouvernementales américaines montrent que les Asiatiques gagnent 81431 dollars par an, contre 65041 pour les Blancs, 47675 pour les Hispaniques et 39490 pour les Noirs. Les Asiatiques gagnent donc 2 fois plus que les Noirs et nettement plus que les Blancs. On sait que le quotient intellectuel moyen en Asie de l’Est est très élevé : à Singapour et à Hong Kong par exemple, il serait 10 points au-dessus de celui constaté en France ou aux USA (108 contre 98). L’admission dans les universités américaines utilise systématiquement les tests de mesure cognitive – SAT ou ACT – qui sont très fortement corrélés aux tests de QI. Il est donc logique que les Asiatiques brillent aux tests d’admissions universitaires. Quelles qu’en soient les causes, la France connaît vraisemblablement elle aussi de fortes disparités d’accès aux grandes écoles et de revenus, mais l’interdiction des statistiques ethniques ne permet pas de les mesurer et d’y remédier : les sociologues et politiciens peuvent dormir sur leurs deux oreilles, ils ne seront jamais perturbés par les inégalités intercommunautaires ! Personnellement, je suis favorable à des politiques destinées à diminuer les écarts intercommunautaires. Mais comment les monitorer sans statistiques ethniques ? 

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