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Ce populisme de remise des dettes au fond judéo-chrétien a très peu de chance d’advenir dans une société fort peu chrétienne, a fortiori avec une banque centrale comme la BCE.
Ce populisme de remise des dettes au fond judéo-chrétien a très peu de chance d’advenir dans une société fort peu chrétienne, a fortiori avec une banque centrale comme la BCE.
©Capture écran France TV

Petites idées à piocher

Alors que les dirigeants populistes sont régulièrement accusés de proposer des programmes économiques dangereux ou irréalisables, voici quelques pistes à creuser qui pourraient leur servir, sans se fâcher pour autant avec leur électorat.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : En matière de politique économique, comment définir une mesure compatible avec la ligne des partis ou personnalités populistes ?

Mathieu Mucherie : L'article qui a inspiré ce sujet comporte un certain nombre d’idées dont certaines sont loin d’être idiotes, mais il ne dit rien de la voie la plus lumineuse qu’un populiste pas trop stupide pourrait emprunter s’il voulait faire du bien à l’économie sans trop l’endetter : étudions tout d’abord les quelques pistes évoquées, histoire de garder le meilleur pour la fin.

Encourager l'immigration très qualifiée

Oui mais bof. L’idée est séduisante, mais un peu trop dirigiste à mon goût (et donc ça ne m’étonne pas trop que Maurice Allais soit cité, ainsi que la ville de Singapour, qui au passage comme chacun sait a les mêmes caractéristiques que la France). Je préférerais un marché des droits à immigrer, une sorte de bourse, pour plus de flexibilité : après tout, dans certains secteurs ou certaines régions ou certaines circonstances, il peut aussi être intéressant de récupérer des gens peu qualifiés. Il est bien rare qu’une solution de taxation parvienne à battre une solution de marché, même si je reconnais que les contours de ce marché sont encore un peu flous (lire par exemple Emmanuelle Auriol, économiste de la Toulouse School of Economics, Pour en finir avec les mafias, chez Armand Colin)

Repenser la comptabilité publique pour permettre plus de projets d'infrastructures

L’idée de fusionner les comptes de l’Etat et ceux de la Banque centrale, je n’ai rien contre, je l’ai dit 50 fois dans ces colonnes, même si concrètement avec la BCE cela me semble difficile (il faudrait au préalable saboter son indépendance et donc, concrètement, tuer la Bundesbank). Ce qui me dérange, c’est de faire ça pour dépenser plus dans des projets que le secteur privé aurait bêtement délaissé (dans sa grande distraction capitaliste…). Des infrastructures immatérielles, pourquoi pas (je pense surtout à la santé), mais je crains les infrastructures physiques japonisantes (des routes et des ponts qui ne mènent nulle part pour arroser les copains du BTP). On a déjà le plan Juncker inutile et redondant, inutile d’en faire plus dans cette impasse à la Trump.

Changer la fiscalité

L’idée de l’article cité est archi-classique, c’est le transfert des charges sociales vers la TVA, je ne vois pas bien en quoi c’est populiste puisque c’est (à dose souvent limitée il est vrai) le fond du programme fiscal de nombreux candidats estampillés parfaitement "mainstream".

Un programme fiscal et social authentiquement populiste au sens le moins détestable du terme consisterait plutôt, à mon avis, à éteindre tout ou partie des dettes des ménages via un financement monétaire (une forme ou une autre de monnaie hélicoptère) ; mais ce populisme de remise des dettes au fond judéo-chrétien a très peu de chance d’advenir dans une société fort peu chrétienne, a fortiori avec une banque centrale comme la BCE.

Pénaliser les free-riders (les manipulateurs des taux de changes)

Voilà qui est totalement absurde, surtout si l’on se fie à la "watchlist" du Trésor américain, ou aux déclarations incohérentes de Trump. Primo, il y a plein de confusions entre excédents commerciaux et manipulation FX, souvent des homologies sauvages. Mais si Taiwan fait des excédents vis-à-vis des Etats-Unis, c’est parce que c’est un petit pays ouvert et spécialisé en high tech et très connecté à la Sillicon Valley : sa monnaie est certes contrôlée, elle n'est pas "manipulée à la baisse" (sinon d’ailleurs il y aurait de l’inflation sur l’île) ; les cours l’attestent depuis des années, et il en va de même pour la Chine continentale, où le yuan est l'une des monnaies parmi les plus résistantes face à la montée du dollar depuis des années. Vous voulez un dollar pas trop fort, demandez à la FED de ne pas trop remonter ses taux alors que l’inflation américaine est sous la cible officielle depuis 8 ans, ne venez pas vous servir des Asiatiques comme boucs-émissaires.

Deusio, on atteint le ridicule quand sont blâmés des pays qui font tout pour avoir une monnaie chère : l’Allemagne et la Corée (cette dernière n’a pas fait le moindre QE, par exemple, en dépit d’une inflation très en-dessous de la cible de la BoK depuis des années). Un certain nombre de pays se comportent certes comme de vils mercantilistes, d’autres trichent sur les normes, d’autres enfin sont des isolats rétrogrades, mais les pays qui manipulent durablement leurs monnaies à des fins commerciales sont rares, ils ne se situent pas le plus souvent dans la watchlist du Trésor (nous pourrions peut-être citer l’Angleterre… mais il faut bien lisser le choc du Brexit), et on ne peut guère prétendre les contrarier avec une Fed qui fait tout pour renforcer le dollar.

Ce qui nous amène naturellement au dernier point, celui qui n’est pas même mentionné dans l’article. Une voie certes populiste mais efficace pour œuvrer en direction de l’intérêt général serait d’utiliser le pouvoir de nomination afin de placer des gens moins incompétents et nettement plus "colombes", à la Fed, à la BCE et ailleurs. Tant que nos banques centrales resteront peuplées de gens comme Yves Mersch ou Esther L. George, des gens qui insultent l’analyse économique à chaque fois qu’ils ouvrent la bouche (et ils l’ouvrent très souvent), aucune détente fiscale ne pourra fonctionner, aucun programme de réformes structurelles ne pourra aboutir. Il faut s’occuper du casting monétaire avec plus d’attention, nommer plus souvent des Posen, des Blanchlower, des Svensson, des Kocherlakota, c’est-à-dire des professionnels et des gens qui ont à cœur de ne pas créer des millions de chômeurs pour le seul plaisir de gagner un bras de fer avec leurs gouvernements ou avec le marché.

Je me souviens de ce que nos élites germanophiles et pro-Bundesbank avaient hurlé vers 2011 quand la Hongrie a mis sa banque centrale au service de l’économie : "communisme, fascisme, hyperinflation". Le message était clair : vous pouvez martyriser les enfants tziganes si ça vous chante, mais ne touchez pas à l’indépendance sacro-sainte de la banque centrale. Pendant ce temps, Jean-Claude administrait en toute bonne conscience un remède de cheval à toute la zone euro, qui a fait perdre plus de trois ans à tout un continent, pour rien. Cinq ans plus tard, la Hongrie s’en sort plutôt bien, et n’a connu ni crise hellénique ni inflation… mais pas un seul officiel francfortois ne s’est excusé.

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