Ces Américains qui regrettent la réconciliation de leur pays avec Cuba pour des raisons… touristiques<!-- --> | Atlantico.fr
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La même ouverture qui permet aux touristes américains de voir un Cuba pittoresque va transformer Cuba...
La même ouverture qui permet aux touristes américains de voir un Cuba pittoresque va transformer Cuba...
©Reuters

Exotisme de la misère

L’ouverture prochaine de Cuba au tourisme de masse américain révèle une hypocrisie latente : alors que les Etats-Unis et la communauté internationale demandent davantage de respect des droits de l’homme de la part du régime de Raul Castro, les touristes s’enthousiasment pour voir Cuba "avant que cela ne change". La dictature est-elle maintenant une valeur touristique ajoutée ?

Le dégel diplomatique entre Cuba et les Etats-Unis enclenché par Barack Obama dès son premier mandat atteint un stade symbolique cette semaine : en visite à La Havane, il est le premier président américain sur l’île depuis Calvin Coolidge en 1928.

Le rapprochement des deux pays va très certainement avoir un impact important sur la vie des résidents de l’île – principalement la levée de l’embargo en place depuis 1962 – mais pour l’instant, ce sont surtout les Américains qui trépignent, excités à l’idée de pouvoir prochainement visiter La Havane sans restrictions.

Dans un récent article du Washington Post, Albert Laguna soutient que les Américains souhaitent visiter un Cuba que les Cubains préféreraient laisser derrière eux. Difficile de le leur reprocher, puisque ce Cuba fantasque est celui des brochures de tourisme : voitures de collections retapées aux pièces locales, bâtiments vétustes mais majestueux de la Havane, salsa, cigare, mojito… Tout un imaginaire occidental certes exotique, mais qui ne fait pas fantasmer le Cubain moyen.

Celui-ci préférerait sans doute des infrastructures qui ne tombent pas en ruine, et même pourquoi pas un semblant de liberté d’expression. Toutefois, la perspective d’un afflux de touristes américains est vue comme providentielle pour l’économie de l’île – bien que problématique du point de vue des infrastructures touristiques, jugées insuffisantes par le Havana Times.

Selon le site internet cubain, les infrastructures existantes ne correspondent pas aux attentes des touristes américains qui, malgré leur prétendue recherche d’authenticité, préféreront toujours des structures hôtelières luxueuses. Quelle solution, donc ? Les Etats-Unis peuvent financer eux-mêmes les hôtels de luxe et autres resorts que fréquenteront leurs ressortissants, comme ils l’avaient fait à partir des années 50 à Porto Rico. Autre alternative : les Cubains peuvent augmenter eux même – du moins en partie – le niveau des prestations offertes, tout en faisant attention à ne pas faire flamber les prix trop vite.

Comme le met en garde Eillen Sosin Martinez dans le Havana Times, une montée des prix trop rapides pourrait faire s’effondrer l’industrie sur le long terme, suivant le proverbe cubain "Pan para hoy y hambre para manana" ("Du pain aujourd’hui, la faim demain").

La question du tourisme américain ne se pose pas seulement en termes économiques, mais également politiques : selon Albert Laguna, il y a une véritable volonté chez les potentiels visiteurs de l’île de la voir "avant qu’elle ne change" - ce qu’avait parfaitement résumé l’écrivain Michel Houellebecq dans Plateforme en 2001, lorsque son narrateur hésite entre un séjour en Thaïlande et des vacances à Cuba.

"L’avantage de Cuba, c’est que c’est l’un des derniers pays communistes, probablement pas pour longtemps, il y a un côté régime en voie de disparition, une espèce d’exotisme politique", écrit-il.

C’est bien là le signe d’une terrible hypocrisie de la part du voyageur américain – ou occidental - qui souhaite voir l’île avant qu’elle ne change. L’ouverture de l’île s’accompagnera nécessairement d’un changement, que l’on peut raisonnablement espérer être positif.

La notion de liberté individuelle est quotidiennement bafouée à Cuba : le jour même de l’arrivée de Barack Obama, pas loin de 50 activistes du mouvement des "femmes en blanc" (un mouvement de femmes, mères et sœurs de prisonniers politiques manifestant pacifiquement pour la libération de leurs proches) ont été arrêtés.

Cela importe peu aux touristes américains, qui souhaitent simplement profiter de l’atmosphère magique de Cuba tant qu’il en est encore temps : comme le dit Susan Pamberton, 63 ans, citée dans The Standard alors qu’elle faisait la queue devant une cathédrale dans le cœur de la Havane, "dans quelques années, il y aura un Starbucks, un McDonald’s et un Subway, enfin toute les chaînes".

Espérons quand même que si un vent de liberté souffle un jour sur l’île, il ne sera pas nécessairement accompagné de Starbucks et de Subway. Le peuple cubain a assez souffert comme ça.

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