Atlantico : Quels sont les points importants dans cette guerre entre l’Ukraine et la Russie ?

Viatcheslav Avioutskii : J’en soulignerai trois. La dynamique russe dans la région de Kharkiv s’explique avant tout par des problèmes liés aux livraisons d'armes occidentales, et en particulier américaines. Les obus manquent. Cette offensive n'aurait pas pu avoir lieu si les Ukrainiens avaient pu, par exemple, avoir au moins la parité au niveau des munitions. Par ailleurs, les F16 vont être livrés, d'après certaines déclarations, à partir du mois de juin, puis probablement au mois de juillet. Cette livraison va constituer ce qu'on appelle un game-changer. C'est un changement du rapport de force. Il faut s'attendre, dans le meilleur des cas, à ce que le rapport de force se rééquilibre ; ces avions permettront à l'armée ukrainienne d'arrêter l’avancée russe.

Le deuxième point, ce sont les déclarations et le changement d'attitude en Occident, d'une manière générale, aux États-Unis et en Europe. Et là, je me réfère surtout aux déclarations du président français Emmanuel Macron concernant un éventuel envoi de troupes françaises sur place. On peut comprendre l'importance de tout cela si on inscrit cette déclaration dans la durée. Globalement, pour rappel, en 2022, il était hors de question même d'aborder ce type de sujet. Le débat principal portait sur quel type d'armement on peut envoyer en Ukraine. Puis on est passé au niveau supérieur, avec les chars d’abord et ensuite les avions et les différents types de missiles. Là, nous entrons dans une escalade. Pour le moment, il s'agit d'une escalade verbale. Les choses commencent à se concrétiser parce que le président Macron l'a répété à plusieurs reprises. Il commence non seulement à utiliser cet argument pour envoyer des signaux forts à la Russie, mais aussi pour définir les conditions. Lui-même les avait quelque peu abordées. Il faut que le gouvernement ukrainien nous demande une telle aide. C'est la première condition. Et la deuxième condition, c'est que les troupes peuvent être envoyées en cas de l'effondrement du front.

Avec une mobilisation plus concrète dans les airs également ?

En effet, est envisagée la création de la zone de sécurité dans la partie ouest de l'Ukraine. Il faut rappeler qu'il y a plusieurs entreprises du complexe militaro-industriel occidental, notamment des firmes allemandes, par exemple, et d'autres firmes dont les noms ne sont pas révélés, qui commencent à investir en Ukraine en créant soit des coentreprises ou parfois en créant leur propre unité de production d'équipement sur place. Cet équipement va être produit sur le territoire ukrainien avec des ouvriers, des spécialistes et des ingénieurs ukrainiens, mais avec des technologies occidentales.

La Russie a, actuellement, une domination au niveau des missiles. Les missiles russes peuvent atteindre n'importe quel point du territoire ukrainien. Cette zone de sécurité va être protégée par la défense antiaérienne de l'OTAN, notamment celle basée en Pologne ou dans d'autres pays frontaliers, qui pourrait abattre les drones et les missiles qui menacent précisément cette région-là, la partie ouest de l'Ukraine. Il s'agit de trois ou quatre oblasts ukrainiens, notamment ceux de Lviv, de Volhynie ou de Rivne. C'est là où, probablement, va émerger le complexe militaro-industriel ukraino-occidental, qui permettra de fournir aux Ukrainiens les armes, l'équipement et les munitions nécessaires.

Le troisième point, c’est le changement de ministre de la Défense. Sergueï Choïgou, qui était très critiqué car Poutine s’attendait à une offensive russe depuis plusieurs mois beaucoup plus massive, a été débarqué. Le nouveau ministre, Andreï Belooussov, a un style de technocrate, avec une formation d’économiste. C'est un signal très important pour nous aussi, pour les Occidentaux : il n'y aura pas l'effondrement du front, mais on s'installe dans une guerre d'usure. Celui qui va gagner, c'est celui qui parvient à mobiliser mieux les ressources et organiser le complexe militaro-industriel, militariser l'économie, etc. C'est exactement ce qu'on voit avec ce changement. Ça va être la guerre d'un système économique contre un autre système économique, d’une guerre des technologies militaires.

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