Cercle vicieux sur l'emploi : comment la crise s'auto-entretient en rendant les Français moins mobiles<!-- --> | Atlantico.fr
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Plus d'un chômeur sur deux (55%) exclut de déménager pour trouver un emploi.
Plus d'un chômeur sur deux (55%) exclut de déménager pour trouver un emploi.
©Reuters

Pas bouger

Plus de la moitié des chômeurs refuserait de déménager pour trouver du travail, selon un sondage CSA réalisé dans le cadre du colloque "Emploi et territoires" organisé par le Conseil d'orientation de l'emploi (COE). Les freins à la mobilité sont en effet plus nombreux qu'on ne le croit.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Un sondage CSA réalisé dans le cadre du colloque «Emploi et territoires» organisé par le Conseil d'orientation de l'emploi (COE) ce lundi souligne que l'idée de déménager pour trouver un travail, ou décrocher un meilleur emploi est loin de faire l'unanimité. En effet plus d'un chômeur sur deux (55%) exclut de déménager. Quels sont les différents freins à la mobilité aujourd'hui ? 

Gilles Saint Paul : Les freins à la mobilité sont nombreux. On peut citer au premier chef l'indemnisation du chômage qui rend plus facile le refus d'une offre située dans un autre bassin d'emploi. Les rigidités sur le marché du logement jouent un rôle considérable. Le titulaire d'un logement social détient une rente et s'il doit déménager il perd cette rente et se retrouve au bas de la liste d'attente pour un autre logement social. Ce frein à la mobilité est particulièrement pertinent pour les travailleurs les moins qualifiés au sein desquels le gros du chômage est concentré et qui sont les plus représentés au sein du parc de HLM.

On a montré que les titulaires de logements sociaux y restaient plus longtemps que les locataires du parc privé, et que cette disparité tend à s'aggraver au cours du temps. Ainsi, en 2006, le titulaire d'un logement social y était en moyenne depuis onze ans, contre six pour le secteur privé. Même pour les locataires du parc privé, il leur sera difficile de retrouver un logement dans le secteur locatif, surtout s'ils sont au chômage. Le manque de mobilité résulte ici de la protection excessive des locataires en situation précaire sur le marché du travail, ce qui leur rend très difficile l'accès à un nouveau logement.

Quant aux propriétaires, la vente de leur logement est grevée d'importants droits de mutation ce qui est également une entrave à la mobilité. Ainsi, l'ancienneté moyenne dans le logement des propriétaires est d'environ vingt ans. Les travailleurs plus qualifiés ont également des rentes (autres que celles associées au logement) qu'ils risquent de perdre s'ils vont vivre ailleurs: places dans les bonnes écoles, accès à des biens collectivisés en situation de pénurie chronique tels que places en crèche ou au conservatoire, etc.

Enfin, les relations personnelles constituent un capital social important et qui joue un rôle économique non négligeable dans la transmission de l'information sur certains opportunités. Plus l'économie est réglementée, plus ce capital social est important car il permet d'accéder à des ressources rares car collectivisés; et la mobilité géographique représente également une perte de capital social. 

Quel est l'impact de la crise de 2008 sur cette mobilité réduite des chômeurs et des populations en général ? 

Il n'y a pas de fracture nette en 2008, de plus il existe peu de donnés de l'Insee. Au cours du temps on a l'impression que la mobilité réduit car les personnes qui occupe des logements sociaux y restent plus longtemps tout comme les propriétaires. A cela s'ajoute l'augmentation de l'écart entre les prix du marché et les loyers des logements sociaux de même que la hausse des prix à l'achat. Du coup il y a moins de gens qui revendent leur bien pour acheter un logement plus grand. Cette tendance s'accroit depuis les années 2000.

Historiquement parlant, les Français sont-ils moins disposés à déménager que les autres pays ? Pourquoi ?

Les Français ne sont pas réellement moins mobiles que dans d'autres pays. La proportion de personnes changeant de résidence chaque année est inférieur au niveau des pays scandinaves et anglo-saxons mais supérieur à celui de la plupart de nos voisins européens, en particulier parce que les identités régionales sont nettement moins fortes en France qu'en Espagne, en Italie ou en Allemagne. Il n'y a donc pas de prédisposition culturelle contre la mobilité, mais celle-ci est bridée par les rigidités discutées plus haut, dont celles sur le logement qui grèvent particulièrement la mobilité des chômeurs. 

Comment inciter les populations à se déplacer sur le territoire ? Quelles seraient les mesures à prendre ? 

Se déplacer n'est pas un but en soi. La mobilité résidentielle représente des coûts réels et il n'y a pas lieu a priori de la subventionner. On constate simplement que la quantité de mobilité observée est probablement insuffisante du fait de rigidités et réglementations qui la découragent, telles que carte scolaire, logement social, etc.

Le logement social est une politique redistributive inefficace et à laquelle les économistes sont généralement opposés. Il est fondé sur une redistribution en "nature" qui est inférieure aux transferts monétaires. Il génère des inégalités parce que certains occupent encore un logement social alors que leurs revenus ont augmenté, et parce qu'il y a nécessairement pénurie puisque le loyer est inférieur à celui du marché. Du coup, certains ont accès à un logement social et d'autres pas, et cela est décidé par les bureaucrates et les hommes politiques, ce qui ouvre la voie au clientélisme et à la corruption.

Ce type de politique est donc néfaste, non seulement parce qu'elle réduit la mobilité, mais également pour d'autres raisons. Il faut donc reconsidérer les politiques publiques à l'aune des distorsions qu'elles engendrent, et non pas à travers le seul prisme de la mobilité. D'ailleurs, si certaines institutions réduisent la mobilité, d'autres l'augmentent, comme le SMIC uniforme sur tout le territoire, qui tend à déplacer les travailleurs des régions les moins productives vers les régions les plus productives. 

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