Celui qui oserait dire tout haut ce que les électeurs penseraient tout bas : Jean-Marie Le Pen a-t-il raison de penser que les Français ne croient plus à l’étiquette de fasciste qui lui est collée ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Dans une interview accordée au Point.fr, Jean-Marie Le Pen revient sur les incidents de Brétigny et de Trappes.
Dans une interview accordée au Point.fr, Jean-Marie Le Pen revient sur les incidents de Brétigny et de Trappes.
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Prise de conscience... ou pas

Dans une interview accordée au Point, Jean-Marie Le Pen se présente comme le "tribun du peuple" et explique que la dédiabolisation du Front national viendrait du fait que les Français réalisent que les idées qu'il défend n'ont rien de fascistes.

Laurent Pinsolle

Laurent Pinsolle

Laurent Pinsolle tient le blog gaulliste libre depuis 2007. Il est également porte-parole de Debout la République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan.

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Atlantico : Dans une interview accordée au Point.fr (à lire ici), Jean-Marie Le Pen revient sur les incidents de Brétigny et de Trappes. Selon lui, l'essentiel de la dédiabolisation du FN tient au fait que les gens se disent : "Le Pen avait raison alors qu'on nous a dit que c'était un fasciste, un extrémiste." Jean-Marie Le Pen a-t-il raison de penser que les Français ne croient plus à l’étiquette de fasciste qui lui est collée ?

Laurent Pinsolle :Je ne suis pas persuadé que les Français pensaient que le FN était un parti fasciste. Si cela est sans doute vrai pour une partie de la gauche, je pense que la majorité des électeurs ne l’ont jamais pensé et ne pensent toujours pas qu’il soit fasciste.

Je crois qu’ici, il cherche à nouveau à vendre l’histoire de la dédiabolisation en noircissant l’image qu’avait son parti dans le passé pour la rendre moins sulfureuse aujourd’hui. Si les Français avaient cru en majorité que ce parti était fasciste, alors, il aurait été interdit.

Plus qu’à la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen, la banalisation du FN est-elle dûe au fait que les Français ont ouvert les yeux sur certaines réalités ?

Je crois que nous sommes dans des mouvements cycliques. Les Français se sont toujours préoccupés de la mondialisation, de la sécurité, de l’immigration et cela est encore plus vrai en période de crise économique. Ces débats, nous les avons déjà eu de nombreuses fois, dans les années 1980, au début des années 1990, au milieu des années 1990 et à nouveau en 2002. Mais je ne crois pas pour autant qu’il y ait une banalisation du FN. Si tel était le cas, dans le contexte actuel, il devrait être à 30% dans les sondages.

Est-ce le Front national qui a changé ou la société qui s’est durcie après avoir été confrontée à un certain nombre de chocs : émeutes des banlieues en 2005, affaire Merah, nouvelles émeutes à Trappes ?

La société s’est en partie durcie depuis une dizaine d’années, pour des raisons objectives, avec la forte progression des violences aux personnes, la montée des communautarismes, les demandes des islamistes radicaux. Le contrat social qui lie notre pays s’est affaibli. La crise économique et l’affaiblissement de l’Etat, qui ne semble plus capable de répondre à tout cela, favorisent le repliement des personnes en difficulté dans des comportements anti-républicains. Mais il faut noter ici que cela ne le justifie en aucun cas puisque la grande majorité de ces personnes ne font pas ce choix.

Globalement, un sentiment d’impunité se développe : les délinquants mineurs qui ne sont pas condamnés, les innombrables mesures qui adoucissent les condamnations, quand la justice n’oublie pas de condamner des faits graves (le détroussage du RER D), les zones de non droit dans les banlieues, le développement de la consommation et du trafic de drogue. Pire, face à cette montée de la violence et des délits,une partie de la gauche tient un discours beaucoup trop indulgent. Dans un tel contexte, le débat sur la légalisation de la consommation du cannabis est hallucinant. Parce que l’on n’arrive pas à endiguer un fléau, il faudrait l’autoriser ! Ce genre de discours est dramatique. C’est une démission de l’Etat qui n’assure plus sa mission de respect de l’ordre public, ce qui contribue au durcissement de la société.

La diabolisation de certaines idées du FN concernant notamment la sécurité ou l’immigration n’a-t-elle fait que renforcer la détermination des électeurs du FN ?

En effet, je crois que le rejet épidermique du FN et de ses idées par une partie des élites agit au contraire comme une extraordinaire publicité.Quand Sophia Aram traite les électeurs du FN de « cons » ou quand Canal Plus les attaque, je crois que non seulement ils n’écoutent pas mais que cela les conforte dans leur choix car ils s’y prennent très mal.Ils se placent toujours comme ceux qui savent, s’adressant à des personnes qu’ils jugent moins intelligentes qu’eux. Ils ne savent pas dissocier leur antipathie pour le parti de celle qu’ils ont pour ses électeurs. Or comment convaincre des personnes que l’on méprise ? Il faut chercher à comprendre les motivations de ses électeurs, reconnaître quand ils ont raison et pointer ensuite toutes les carences du Front National, que ce soit sur ses racines extrémistes (encore illustrée par l’épisode Dominique Venner), son manque de crédibilité ou ses mensonges répétés.

Le FN n’a jamais dépassé les 20 % lors d’une élection nationale. La stratégie du cordon sanitaire a-t-elle, malgré tout, réussi à instaurer un plafond de verre infranchissable pour le FN ?

Je ne crois pas que ce soit la stratégie du cordon sanitaire qui explique le plafond de verre des 20%. D’ailleurs, il y a déjà eu des coups de canif importants : en 1988, quand l’UDF et le RPR avaient négocié des accords de désistement avec le parti lepéniste dans le Sud-Est, ou en 1998 quand plusieurs présidents de région UDF avaient été élus avec le concours des voix des élus FN.

Je crois que c’est plutôt la nature du FN et toutes ses limites qui explique qu’il ne parvienne pas à dépasser ce seuil. Il n’est pas évident que la rupture du cordon sanitaire lui permette d’aller plus loin. Quelle serait la réaction des électeurs à un rapprochement du FN avec l’UMP ? Il n’est pas évident que cela lui serait profitable. Beaucoup de ses électeurs votent pour lui parce que c’est le principal parti qui s’est toujours opposé au PS et à l’UMP et qu’il est ainsi totalement vierge du bilan de ces partis. On peut se demander si, en se rapprochant de l’UMP, le destin du Front National ne serait pas similaire à celui du PCF.

La question de la dédiabolisation du FN est traitée de manière souvent un peu trop rapide, et, de manière plus étonnante, avec une grande complaisance pour l’histoire qu’essaie de vendre la famille Le Pen, y compris dans les médias de gauche. Certes, on constate que dans les élections partielles de la dernière année, le parti lepéniste a réussi des scores très importants au second tour qui indiquent a priori un affaiblissement du front républicain qui assurait auparavant un report des voix massif sur le candidat qui affrontait le candidat frontiste. Néanmoins, il ne s’agit pour l’instant que de quelques élections partielles et l’examen des tendances nationales ne permet absolument pas d’accréditer la dédiabolisation :

  • le baromètre du Monde sur l’adhésion des Français aux idées du Front National, qui existe depuis 1984, a atteint un pic de 32% en janvier 2013, mais ce score avait déjà été atteint en 1991 et approché en 1996 et en 2002. L’adhésion des Français aux idées du FN est revenu à son étiage le plus haut mais n’a pas réussi à le dépasser
  • lors de l’élection présidentielle de 2012, Marine Le Pen a atteint le score de 17,9%, soit moins que le score cumulé de son père et de Bruno Mégret en 2002 (16,9 + 2,3 = 19,2%). Aux élections législatives de 2012, le Front National a fait moins qu’en 1997
  • les sondages pour les élections européennes donnent le Front National entre 18 et 21%, à peine mieux qu’à l’élection présidentielle, et surtout, moins que le score qu’ils donnaient à Marine Le Pen à l’automne 2011, qu’ils voyaient entre 22 et 24%.


Si j’insiste sur ces trois faits, c’est que le contexte actuel est pourtant extraordinairement porteur pour le FN. La France a traversé deux récessions en cinq ans, le taux de chômage est au plus haut, le pouvoir d’achat n’a jamais autant baissé, les impôts montent à un niveau inédit, d’innombrables affaires (Cahuzac, Tapie…etc) font la une des médias, les tensions dans notre société sont très fortes après le débat sur le mariage. En outre, les deux grands partis de gouvernement ont énormément déçu depuis un an (le PS au gouvernement, l’UMP avec son élection interne). Si le FN était un parti comme les autres, dans de telles circonstances, il devrait être au-delà de 30%.

Il y a encore un blocage, qui s’illustre par le fait que seulement 25% des Français pensent que le FN ferait mieux que le PS et l’UMP et 72% pensent le contraire, score très éclairant dans un tel contexte et alors que les deux grands partis sont très largement déconsidérés.

La chose qui a changé depuis un an, en revanche, c’est justement que l’image qu’ont les Français du PS et de l’UMP s’est détériorée au point que dans un second tour, en présence du FN, le réflexe du front républicain s’est fortement affaibli, mais je ne pense pas du tout qu’il y ait une dédiabolisation. L’image du FN ne s’est pas vraiment améliorée, c’est l’image du PS et de l’UMP qui s’est fortement dégradée (et encore, pas au point de permettre au FN de casser son plafond de verre).

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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