Cellules souches : entre gains médicaux et défis éthiques, ce qu'on y gagnerait, ce qu'on y perdrait<!-- --> | Atlantico.fr
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La recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines est débattue ce jeudi à l'Assemblée nationale.
La recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines est débattue ce jeudi à l'Assemblée nationale.
©Reuters

Jusqu'à l'impossible et au-delà

Déjà adoptée au Sénat, la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines sera débattue cette après-midi à l'Assemblée. Coincée entre les évidents progrès médicaux que celles-ci ouvriraient et les risques de dérives, la France est déjà en retard.

Atlantico : L'Assemblée examine ce jeudi une proposition de loi visant à assouplir la liberté de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, qui est déjà autorisée sur les cellules souches animales et humaines post-natales. Quelles en sont les principales vertus potentielles ?

Roland Moreau : Les auteurs de la proposition de loi ont compris que la « recherche sur les cellules souches embryonnaires est porteuse d’espoir et ne cesse de susciter l’intérêt en raison de leur potentiel thérapeutique considérable ». Ils ont donc proposé de remplacer les dispositions juridiques actuelles d’interdiction (avec quelques dérogations) par un régime d’autorisation encadrée. Utilisée avec succès depuis plus de cinquante ans dans le traitement de certaines leucémies, la recherche sur les cellules souches a connu un développement considérable au cours des vingt dernières années. Les cellules souches seront au cœur de la grande révolution de la médecine qui va passer d’une logique de « réparation » à une logique de « régénération ».

Les cellules souches sont des cellules indifférenciées qui possèdent la propriété de se spécialiser pour former des tissus et des organes (tissu nerveux, foie, cœur…). Il faut distinguer les cellules souches embryonnaires qui font l’objet de la proposition de loi et les cellules souches « IPS » qui sont produites à partir des cellules adultes reprogrammées en cellules souches. Les deux types de cellules souches sont au centre des débats parlementaires et des prises de position des responsables politiques et scientifiques.

Quant aux succès thérapeutiques actuels (à vrai dire peu nombreux), il est bien difficile d’établir un score entre les deux types de cellules souches. Dans ces conditions, quel est l’intérêt de développer la recherche sur les cellules souches embryonnaires ? La première vertu de la proposition de loi consiste précisément à permettre aux chercheurs de comparer l’efficacité respective des cellules IPS et des cellules souches embryonnaires. En l’état actuel de la recherche, aucune des deux techniques n’a pris l’avantage sur l’autre. En abandonnant la recherche sur les cellules souches,  la France aurait donc une chance sur deux d’être définitivement exclue de la grande révolution thérapeutique des années à venir. La deuxième vertu de la loi est de disposer, avec les cellules souches embryonnaires, d’un outil essentiel pour la recherche fondamentale et le développement des médicaments.

Ari Massoudi : Les cellules souches embryonnaires humaines (CSEH) sont pluripotentes c’est à dire qu’elles ont la faculté de générer quasiment tous les types de cellules permettant le fonctionnement des tissus et organes de l’organisme (muscle, os, cartilage, neurones, sang, peau …). Cette faculté étant fortement diminuée dans les cellules souches post-natales (qui ne peuvent générer qu’un nombre limité de types cellulaires) elles ont donc un potentiel thérapeutique beaucoup moins intéressant que les CSEH. Par conséquent, le potentiel thérapeutique des CSEH pour les patients est immense, et de fait, le potentiel financier et économique est également immense pour les entreprises qui auront la mainmise sur les brevets et qui commercialiseront des thérapies basées sur ces cellules.   

Quels en sont les vices potentiels tant idéologiques que scientifiques ?

Roland Moreau : Les vices potentiels résident essentiellement dans un développement incontrôlé des vertus que je viens d’évoquer. La commercialisation des cellules souches embryonnaires constituerait une dérive inacceptable. Leur utilisation pour l’industrie pharmaceutique devrait elle aussi être encadrée. Pour le gouvernement, le risque de cette proposition de loi est d’ordre politique, puisqu’elle provoque les critiques d’un certain nombre de catholiques qui ont déterminé, sans aucun fondement scientifique, les bases intangibles du statut de l’embryon humain.

Comme toujours en France, on aborde les problèmes scientifiques complexes par la voie d’une guerre de religions. D’un côté, « les progressistes », qui estiment qu’il faut ouvrir largement la recherche sur les cellules souches embryonnaires, et de l’autre, les «dogmatiques » qui estiment, pour des raisons religieuses, qu’il ne faut pas utiliser l’embryon pour la recherche, même si celle-ci a pour objet de guérir des malades. A la manière des débats télévisés entre économistes, les scientifiques eux-mêmes se jettent des arguments chiffrés. Certains dénoncent le risque cancérogène des cellules souches IPS, ce qui est vrai, tandis que d’autres estiment que l’utilisation des cellules souches embryonnaires pose un problème d’instrumentalisation d’embryons humains et un risque de rejet pour des raisons immunologiques, ce qui est vrai aussi.

Ari Massoudi : Si la question concerne les pseudo-problèmes éthiques quant à l’application des CSEH, je répondrais que ce qui n’est pas éthique aujourd’hui le sera demain. Dans les années 70, il était interdit aux femmes de bronzer topless sur les plages en France, aujourd’hui est-ce que cela gène quelqu’un ?

Si la question concerne des applications potentiels des CSEH à des fins qui pourraient être dangereuses, je répondrais qu’il faudra étudier au cas par cas, et légiférer en conséquence et une fois seulement qu’une application a été avérée, prouvée comme dangereuse. Si on interdit d’effectuer des recherches car on fantasme par avance sur des applications dangereuses, alors on aurait aussi du interdire à Einstein de découvrir E=MC2, on n’aurait peut-être pas eu la bombe atomique ou la catastrophe de Fukushima, mais on n’aurait pas eu aussi toutes les applications qui servent aujourd’hui à diagnostiquer ou traiter des maladies comme le cancer.  

Quel avantage la France peut-elle tirer de cette loi et sur quels grands projets médicaux ? Ne pas l’adopter nous mettrait-il en retard ?

Roland Moreau : La principale motivation des auteurs de la proposition de loi est de répondre à la demande pressante de nombreux chercheurs scientifiques, préoccupés du retard croissant de la France dans ce domaine de la recherche. Les contraintes imposées à la recherche sur l’embryon humain par la loi bioéthique de 2011 constituent l’une des causes de ce déclin. Un assouplissement de ce texte devrait permettre d’amorcer un redressement de notre recherche fondamentale dans les domaines de la génétique et de la connaissance des maladies rares.

Un autre avantage consisterait à «booster» les processus de découverte des nouveaux médicaments dont le rendement diminue d’année en année. L’industrie pharmaceutique souhaite en effet utiliser les cellules souches pour découvrir de nouvelles molécules, réaliser de nouveaux tests prédictifs de toxicité et mettre en place un «criblage haut débit». Les cellules souches permettraient de réaliser dans l’industrie pharmaceutique l’impossible synthèse du principe de précaution et du dynamisme de la recherche-développement

Ari Massoudi : Nous avons déjà pris un important retard, tant sur la recherche fondamentale académique que sur les applications  en thérapie. Par conséquent, cette loi permettra enfin non seulement de mieux comprendre la biologie de ces cellules (et donc d’éviter ou de mieux contrôler des effets secondaires potentiels) mais également d’explorer le potentiel thérapeutique dans maladies dégénératives particulièrement handicapantes telles le Parkinson. Malheureusement, le mal a été fait, et le retard pris sera difficilement rattrapé.

La France et l’Europe ont pris énormément de retard dans la recherche sur les CSEH (en dans les biotechnologies de façon général). Les conséquences de ce retard sont bien évidemment économiques. On ne peut pas d’un côté prôner la destruction-créatrice de Schumpeter inhérente à l’économie de la connaissance et de l’innovation, et de l’autre s’interdire de créer ! Il faut être cohérent. Dès que des recherches scientifiques pourraient avoir la moindre potentiel d’une application commerciale à fort enjeu, comme par hasard, les tenants du principe de précaution montent au créneau, se déchirent la chemise dans les médias et crient aux désastres avenirs. Internet, gaz de schistes, nanotechnologies, biotechnologies … combien de révolution scientifiques, technologiques et industrielles pouvons-nous encore nous  permettre d’ignorer voir de saboter ?

La recherche sur les cellules souches est sujette à de nombreuses critiques notamment le risque d’une remise en cause des fondements de l’humanité. Existe-t-il réellement un risque de dénaturation de la race humaine ?

Roland Moreau : De récent travaux de génétique permettent en effet d’envisager, dans un avenir assez proche, une augmentation de la durée de vie jusqu’à plus de 200 ans, et une amélioration des performances intellectuelles et humaines par la modification du génome humainCes dérives eugéniques sont très inquiétantes et il conviendra de limiter rigoureusement la génomique au traitement des maladies graves et invalidantes. Pour autant, les cellules souches  ne constituent pas, en elles-mêmes, un risque pour l’avenir de l’espèce humaine.

Ari Massoudi : Est-ce que les découvertes en astronomie de Galilée ont entrainé la dénaturation de l’espèce humaine ? Évidemment, non, et les découvertes scientifiques dans le domaine des cellules souches ou de tout autre sujet de recherche n’auront aucune incidence négative sur l’espèce humaine. Ce n’est pas le savoir qui dénature, c’est l’usage que l’on en fait. A la société civile d’être vigilante, mais pas paranoïaque.  

En conclusion, les cellules souches sont-elles le fléau de l’humanité ou la condition de son immortalité ?

Ari Massoudi : Les cellules souches ne sont certainement pas le fléau de l’humanité. Pour l’immortalité, je laisse les auteurs de science-fiction nous faire rêver et fantasmer !

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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