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Cécile Duflot peut bien s'encagouler, tant qu'elle reste dans le rang
©Reuters

Verts solidaires ou solitaires ?

La ministre du Logement s'est faite photographier encagoulée vendredi pour soutenir le groupe de rock Pussy Riot condamné à deux ans de camp en Russie. Elle a estimé par ailleurs qu’elle-même, habituée à parler librement, porte désormais "une muselière" lui permettant "un petit peu de l’ouvrir".

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Les citoyens lassés par le conformisme politique en vigueur tant sous le règne de l’UMP que de celui du PS se féliciteront du vent d’air frais que Cécile Duflot fait souffler sur la scène estivale.

Après avoir revêtu la cagoule des Pussy Riot, en soutien à ces chanteuses russes envoyées dans des camps pour leur faire passer l’envie d’insulter Dieu et Poutine dans une église, la voici littéralement déchaînée lorsqu’elle parle de Jean-Luc Mélenchon (qualifié de "mon lapin"), et plus encore lorsqu’elle parle de la solidarité gouvernementale où elle se mime en femme portant «une muselière qui lui permet de l’ouvrir un petit peu».

Il faut une sacrée dose de culot pour emprunter ses références au registre canin quelques semaines après le vote sur le harcèlement sexuel. Un homme aurait employé ce langage (surtout un homme du genre hétérosexuel et peu effarouché par les personnes de l’autre sexe, comme notre vie politique en connaît tant), il serait déjà devant les tribunaux pour propos sexistes.

Félicitons-nous donc de cette liberté de ton qui renoue avec la tradition française de mordant et de gouaillerie dont l’oubli rend les débats politiques si ennuyeux et si plats. Bravo, Madame la ministre, pour cette fraîcheur aussi colorée que vos robes délicieuses et injustement raillées par vos collègues !

Sur le fond, et au-delà de la métaphore animale qui nous divertit, Cécile Duflot pose avec vigueur la question sempiternelle de la solidarité gouvernementale, tranchée de façon un peu militaire en son temps par Jean-Pierre Chevénement sur le mode du "un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne". En considérant qu’elle avait le droit «de l’ouvrir un petit peu», Cécile Duflot interprète différemment cette notion qui agite tous les gouvernements, surtout lorsqu’ils sont de coalition.

La ministre s’accorde en effet un droit d’amendement qu’elle semble vouloir utiliser largement lors de la prochaine conférence gouvernementale sur l’environnement, après avoir produit cet été une tribune dans la presse sur les insuffisances de son collègue de l’Intérieur en matière de Roms.

Dans la pratique, il n’existe pas de doctrine écrite sur cette notion de solidarité gouvernementale, selon laquelle chaque ministre est solidaire de l’ensemble de la politique menée par le gouvernement auquel il appartient. Elle est simplement déduite de la Constitution, qui prévoit que la politique est conduite par le Premier ministre, dont les ministres n’agissent que par délégation.

Dans quelle mesure un Premier ministre peut-il accepter que ses délégataires manifestent publiquement leurs désaccords avec la ligne qu’il détermine? Il revient maintenant au Premier ministre lui-même de trancher.

La question est moins simple qu’il n’y paraît.

D’un côté, l’ensemble du droit administratif français est fondé sur le principe d’un secret inhérent aux débats gouvernementaux, supposé protéger la liberté d’expression des ministres. C’est pourquoi la loi (injuste sur de nombreux points) du 17 juillet 1978 interdit aux citoyens d’avoir accès aux documents ayant trait au secret des décisions gouvernementales, notamment celles prises en conseil des ministres.

L’équilibre juridique et politique des gouvernements consiste donc à compenser l’obligation de réserve qui pèse sur les ministres par une liberté de ton dans les réunions gouvernementales.

Dès lors que les ministres s’affranchissent de leur obligation de réserve en faisant connaître aux citoyens leurs divergences d’appréciation avec le Premier ministre, cette liberté de ton dans les réunions internes ne paraît plus très utile. On imagine l’ambiance...

Dans la pratique, le Premier ministre se trouve prisonnier d’un bourbier complexe à traverser.

Les Verts qui représentent peu de voix ont obtenu de nombreux sièges à l’Assemblée Nationale grâce à leurs négociations de couloir de l’automne avec Martine Aubry. Le PS a besoin de leur soutien pour ne pas apparaître isolé et abandonné par ses alliés, à un moment où Jean-Luc Mélenchon tonitrue avec talent contre le Premier Ministre.

Car l’alternative consiste à démissionner les ministres turbulents. Mais à ce jeu, le gouvernement risque d’alourdir la facture de la contestation à gauche. L’erreur commise avec Jean-Luc Mélenchon, consistant à ne pas lui donner de poste, serait ici reproduite avec les Verts. Et pourquoi pas avec Christiane Taubira et les radicaux de gauche...

En un mot, Jean-Marc Ayrault doit choisir entre le moindre de deux maux : compter sur des ministres écologistes turbulents mais contrôlables, ou se passer d’eux et grossir le rang de l’opposition de gauche.

Vu le contexte, le choix est assez vite fait : des Verts solidaires sont moins dangereux que des Verts solitaires... Cécile Duflot le sait, et compte bien en profiter.

Il est donc très probable que Jean-Marc Ayrault doive prendre son mal en patience et adopter une nouvelle conception de la solidarité gouvernementale, probablement éprouvante pour ses nerfs.

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