Ce qui se cache derrière la peur des hommes de la sexualité féminine<!-- --> | Atlantico.fr
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L'histoire de l'émancipation des femmes est marquée par de nombreuses craintes de la part des hommes.
L'histoire de l'émancipation des femmes est marquée par de nombreuses craintes de la part des hommes.
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Pilule rose

Après la petite pilule bleue, place au Lybrido. Ce viagra féminin devrait être commercialisé en 2016. Les hommes goûtent peu cette nouvelle : des chercheurs craignent en effet de transformer leurs consommatrices en accros du sexe. Deuxième épisode de notre série.

Fanny Bugnon

Fanny Bugnon

Fanny Bugnon est historienne au Centre Emile Durkheim de l'IEP de Bordeaux, spécialiste de l'histoire des femmes et du genre. Ses travaux portent tout particulièrement sur les femmes déviantes et dissonantes.

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Atlantico : Le viagra pour femme (Lybrido), qui ne devrait pas être commercialisé avant 2016, suscite déjà la polémique : certains s’inquiètent que ce médicament ne soit "trop efficace" et qu’il ne transforme les femmes en redoutables nymphomanes. Que révèle cette polémique sur les peurs et les tabous qui subsistent quant à la sexualité féminine ? Quels sont-ils ?

Fanny Bugnon : Les scandales autour de la sexualité des femmes ne datent pas d'hier. Je pense que ce qui dérange surtout c'est que les femmes puissent être les actrices de leur propre sexualité - en particulier lorsque celle-ci n'inclut pas les hommes. L'histoire de l'émancipation des femmes est marquée par des réactions de crainte, en grande partie masculines, et de fantasmes en tout genre.

Cette angoisse est celle d'un ordre des sexes brouillé, dans lequel les femmes ne seraient plus politiquement, socialement, économiquement, et sexuellement soumises aux hommes. L'affirmation des désirs féminins, quels qu'ils soient, et notamment sexuels, dérange lorsqu'ils ne sont pas soumis à ceux des hommes. Il y a là une peur de dérèglement social de la part des hommes qui traduit la crainte de perdre le pouvoir qu'ils exercent et dont ils bénéficient sur les femmes.

D'où viennent ces peurs et ces tabous ? Comment expliquer qu'ils perdurent ?

Ces réactions de peur traduisent les résistances sociales à l'émancipation des femmes, la sexualité étant un enjeu principal de cette émancipation. C'est la question du plaisir sexuel qui est en jeu. Les hantises d'aujourd'hui peuvent être rapprochées, sur le plan des discours, de celles agitées pendant les débats sur la contraception et l'avortement au début des années 1970. On se souvient notamment du slogan féministe "Mon corps m'appartient", qui allait de pair avec la connaissance de son corps (ce dont témoigne la pratique du "self help" ou auto-examen gynécologique et les échanges autour du plaisir sexuel dans les milieux féministes).

Avant cela, à la Belle Epoque (fin du XIXe siècle - 1914, ndlr), la pratique de la bicyclette ou le port du pantalon par les femmes (deux choses considérées alors comme masculines) ont entraîné des réactions de même nature, motivées notamment par la supposée excitation sexuelle qu'ils procureraient aux femmes en raison des frottements exercés. Dans ces deux cas, il s'agit de moyens d'autonomisation des femmes, perçus par leurs détracteurs comme des brouilleurs de genre, des sources de dérèglement sexuel, et donc de désordre social.

La sexualité féminine, contrairement à la sexualité masculine, gardera-t-elle toujours une part de mystère ? Pourquoi ? Quelles conséquences cela peut-il avoir sur les femmes ?

La sexualité humaine, des femmes comme des hommes, a sa part de mystère puisqu'elle renvoie à l'intime de chacun et qu'il n'existe pas de mode d'emploi universel. Selon moi, le problème ne vient pas de l'existence d'un supposé mystère, mais bien des tabous entourant la sexualité (en particulier celle des femmes) et les injonctions contradictoires qui leur sont adressées - disponibilité au désir des hommes, rhétorique de la performance, tout en étant constamment l'objet d'examens de moralité.

La polémique autour de cette "pilule rose" révèle surtout les angoisses suscitées par la possibilité technique proposées aux femmes de doper leur désir sexuel. Toutefois, il me semble que la sexualité ne saurait être résumée à une question technique, car les injonctions (au plaisir, au désir) mises au service de la performance sexuelle ne me semblent guère compatibles avec l'épanouissement des individus, femmes et hommes.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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