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Ce que vos rêves signifient
Ce que vos rêves signifient
©Reuters

Bonnes feuilles

Émanation de l’inconscient vers le conscient, le rêve a toujours suscité l’interprétation. Extrait de "L’interprétation psychanalytique des rêves", de Tristan Moir, publié aux éditions l'Archipel (2/2).

Tristan  Moir

Tristan Moir

Né en 1954 à Pérouges (Ain), Tristan Moir, psychanalyste d’obédience jungienne, s’est rapidement spécialisé dans l’onirologie. Cette orientation thérapeutique est l’aboutissement d’une longue étude du rêve, de la symbolique universelle, de la mythologie, des contes et légendes, des traditions spirituelles et philosophiques de nombreuses cultures. L’étude de la psychanalyse freudienne et une longue pratique du yoga (yoga mental, des énergies, tantrisme) est venue compléter cette recherche. A Paris, il anime en direct chaque mercredi de 23 h à 2 h sur "Ici & Maintenant" (95.2 FM) une émission de radio d’interprétation des rêves. Il a créé en 2007 d’une école de formation au langage du rêve pour thérapeutes : E.V.E.R. Il est l’auteur d’Images & Symboles du rêve (Trajectoire, 2007) et Entrez dans vos rêves (éd. F. Lanore, 2008).

 

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Rêve d’Yves : La queue s’allonge ou La queue de la poire

Je fais la queue à la caisse d’un magasin. Je n’ai pris qu’une poire sans les rayons, ainsi qu’un autre article. La vendeuse me dit que je dois 60 centimes. Elle continue de parler (elle est d’origine indienne je crois). Je ne comprends pas grand-chose à ce qu’elle me dit, mais je lui souris béatement. Ensuite, elle pèse tout un lot de poires ; je vois alors qu’elle s’est trompée. Elle a sans doute mélangé ma poire avec le sac d’un autre client.Je lui expliquequ’elle s’est trompée. Pendant ce temps, la queue s’accroît et je commence à avoir honte… Sur ce, la sécurité arrive et découvre un sachet de fruits dans mon sac. Je leur explique que je dispose d’un ticket d’achat Monop’ pour ces fruits, s’ils veulent vérifier. Je pénètre ensuite davantage dans le magasin et j’arrive au bureau de la sécurité. C’est un espace tout en long, un peu comme les cabines d’essayage dans les boutiques de vêtements Elle vient s’assoir à mes côtés et sa présence m’apaise. Elle met la main autour de mon cou. Ensuite, je lui demande si elle sera là (en Corse). Elle me répond oui et me dit qu’elle aimerait connaitre ma copine et sa fille***.

— Elle a treize ans ?, me demande‑t‑elle.Je lui réponds :

— Non, seize.

— Elle a grandi ! dit alors Manue.

* Amie d’enfance dont le rêveur a été amoureux à l’adolescence sans oser passer à l’acte.

** Lieu des vacances du rêveur.

*** Compagne et fille adoptive du rêveur Voici un rêve dont l’orientation de lecture sera plutôt freudienne. Il va falloir y tenir compte de l’entrée successive des personnages.

Exposition 1

« Je fais la queue à la caisse d’un magasin. Je n’ai pris qu’une poire sans les rayons, ainsi qu’un autre article. La vendeuse [première à entrer] me dit que je dois 60 centimes. » D’emblée, les dés sont jetés crûment ; c’est de la queue dont nous allons discourir. Et puisque nous avons le choix, de ce qui va avec : la poire. Ainsi la queue se trouverait nantie de son complément, les bourses, qu’évoque la forme de la poire. Le rêve pourrait alors faire l’article de cet appareil génital masculin complet et de son usage. Il peut s’agir aussi d’une poire vaginale. C’est ce qu’induit la première entrée, celle du personnage féminin, la première femme dans la vie du rêveur : sa mère. L’oedipe, évidemment, voilà le problème à dépasser ! C’est le moment du choix pour Yves ; l’Amoureux (VI, les 60 centimes) va‑t‑il quitter sa mère ou celle qui lui a succédé ? « Dois-je encore tous ces centimes, m’man ? » Ou bien le rêve lui dit-il : « Sois sans tes sentiments. »

Contre-exposition

« Elle continue de parler (elle est d’origine indienne je crois). Je ne comprends pas grand-chose à ce qu’elle me dit, mais je lui souris béatement. » Si nous considérons maintenant comme postulat que tous les éléments du rêve sont des projections du rêveur, nous pouvons voir dans cette image du rêveur qui sourit béatement son caractère ; il est peut-être un peu « bonne poire » avec sa mère. Il s’agit sans doute ici d’une prise de conscience : la mère était-elle bien compréhensive et se faisait-ellebien comprendre ? A‑t‑elle embrouillé le rêveur par un discours flou lui faisant croire qu’il était « mal comprenant » ? Ici, Yves pose un nouveau regard sur la femme. La connaît-il vraiment et a‑t‑il envie de la connaître ? C’est donc la question du désir qui se pose maintenant pour lui. N’ayant pas eu de représentation claire de la femme au travers de la mère, il doit puiser en lui, se connecter avec son anima pour pouvoir communiquer avec la « femme extérieure » et la connaître. C’est une remontée de l’Ombre qui amorce un processus d’individuation.

Narration 1

« Ensuite, elle pèse tout un lot de poires ; je vois alors qu’elle s’est trompée. Elle a sans doute mélangé ma poire avec le sac d’un autre client. »Ici, il y a confirmation de l’ignorance de la mère et de l’amalgame. Elle s’est trompée : elle a pris la poire (« figure » ou « bourses ») de son fils pour celle ou celles de son mari, les a mis dans le même sac. Elle a pris son fils pour son phallus, l’a mis à la place du mari absent. Littéralement, elle lui a pris son phallus, l’a réabsorbé dans ses trompes. La forte prise de conscience du rêveur lui permet d’affirmer qu’elle était dans l’erreur et qu’elle l’a trompé, ne le mettant pas à la bonne place. C’est ici que s’amorce la séparation qui mène à l’individuation. Plus encore, cette affirmation de soi mène au recouvrement du désir. C’est la phase d’opposition nécessaire à la prise en compte du désir dans la construction psychique de l’enfant.

Exposition 2

« Pendant ce temps, la queue s’accroît et je commence à avoir honte… » Cette phrase contient une image-clé 1, parfaitement visible dans l’équivoque, et dans la gêne du rêveur. C’est une tumescence, apparemment interdite, mais que la nature impétueuse de l’homme libère. De plus, la confrontation et l’opposition sont des processus nécessaires à l’individuation ; ils génèrent une excitation chez le rêveur et une montée de désir, son désir de vie, un recouvrement de la libido, celle de la pulsion de vie. Le rêveur se redresse, entre en érection et entre aussi en transgression de l’ancien ordre établi. Le plaisir n’est pas loin. Cette montée de puissance est-elle honteuse ? Ce sentiment de honte devant cette belle pulsion de vie est-il normal ?

Narration 2

« Sur ce, la sécurité [deuxième entrée] arrive et découvre un sachet de fruits dans mon sac. Je leur explique que je dispose d’un ticket d’achat Monop’ pour ces fruits, s’ils veulent vérifier. Je pénètre ensuite davantage dans le magasin et j’arrive au bureau de la sécurité. » C’est ce que croit et impose encore le Surmoi (deuxième entrée, la sécurité) qui rapplique dare-dare au su et vu de cette inconvenance : halte à la rébellion, à la pornographie et au libertinage ! Mais le Moi du rêveur se sent parfaitement légitime et en règle : il est « réglo », il peut le prouver. Voilà « Monop’inion » ! C’est une affirmation de soi. Sous la pulsion du Ça, il y a pénétration du Moi qui s’introduit dans la matrice (le magasin) et investit les tréfonds de l’appareil psychique. Le Moi réinvestit l’espace du Surmoi. 

Exposition 3

« C’est un espace tout en long, un peu comme les cabines d’essayage dans les boutiques de vêtements. J’aperçois des vendeuses [troisième entrée] qui parlent et rient entre elles. Il y a là mon ami Manue [quatrième entrée], de Corse. » Étonnant ! Le Surmoi serait un espace utérin, donc féminin (la sécurité) ! Qui plus est, il serait un lieu de changement ! Maintes mères joyeuses (troisième entrée) sont là à son service. Oui, c’est apparemment une matrice, celle de notre conformation, celle qui contient la pulsion du Ça pour former le Moi. Le rêveur réinvestit l’espace du Surmoi pour le conformer à sa réelle dimension et amener un épanouissement du Ça. Il n’y a pas eu transgression, mais simulacre pour se confronter à cette instance. Mais alors, quel est le délit et que sont ces fruits ? Sont-ce ceux que sa bouche a bus, embrassés et mordus sans jamais assouvir sa faim ? Sont-ce les femmes qu’Yves a connues, celle qui l’ont accueilli dans leur matrice ? (Si ce sont d’autres poires, il est alors possible que le rêveur ait recherché des clones de sa mère, ce qui ne favorise pas l’érection.) Leur accord ne fait aucun doute ; il n’a pas abusé d’elles, mais a fait des essayages. C’était un commerce équitable. Yves est un homme de coeur et de sentiments sincères, d’ailleurs Manue (quatrième entrée) peut le prouver. C’est son amie, son âme-soeur.

Narration 3

«Je l’appelle et lui demande si elle peut régler le problème. Elle vient s’assoir à mes côtés. » Yves met son âme à nue (Manue). Il est connecté avec son anima et maintenant, il la reconnaît. C’est elle qu’il invoque, Manue de sa jeunesse, son premier et tendre émoi. C’est Ève, la première femme, issue de la côte d’Adam (mes côtés), l’égale, la désirée, l’éternel féminin. L’intelligence féminine est convoquée ; le rêveur parle maintenant le même langage et siège dans les assises de la raison. La femme devient compréhensible.

Pré-résolution

« Sa présence m’apaise. Elle met la main autour de mon cou. » C’est enfin le repos du guerrier. La présence de cette femme auprès de lui est autorisée. Cette présence intérieure est une fontaine de paix. S’il s’agit de fusion intérieure, l’apaisement est aussi charnel. L’embrassement et l’étreinte sont le devenir normal de l’homme et de la femme. Le désir et le plaisir sont maintenant vus comme des éléments de sérénité de l’être humain. La main autour du cou implique une action manuelle féminine autour du « kiki », une reconnaissance du phallus. Le cou est le sommet de la colonne vertébrale, le phallus intérieur. Une main féminine qui enserre un phallus est un puissant anxiolytique.

Re-narration 3

« Ensuite, je lui demande si elle sera là (en Corse). Elle répond oui et me dit qu’elle aimerait connaître ma copine et sa fille [cinquième et sixième entrées]. – Elle atreize ans ?, me demande‑t‑elle. Je lui réponds : – Non, seize. » Fort de ce nouveau langage, le rêveur va reconnaître sa copine et la fille de celle-ci (cinquième et sixième entrées), personnages réels, ne plus culpabiliser en supputant leurs états d’âme, mais bien se positionner sur la réalité. Il peut prendre alors les décisions nécessaires à son évolution et faire le point sur toutes ces femmes qui sont « entrées » dans sa vie, même la dernière. Cependant, il s’inquiète de savoir si cette énergie sera toujours là dans son corps, si ça se « corse ». Oui, la pulsion du désir est acquise. Elle sollicite la rencontre amoureuse et implique de connaître bibliquement la femme. D’autres femmes ? Manue symbolise le fantasme, la femme désirée et encore inaccessible. Qui est-elle et est-elle si inaccessible ?

Résolution-constat

« Elle a grandi !, dit alors Manue. » « Et le désir s’accroît quand l’effet se recule. » (Pierre Corneille) Si nous regardons ce postulat, nous pouvons alors mettre en lien la résolution « Elle a grandi » avec l’image-clé « La queue s’accroît ». Ainsi, cette résolution sibylline devient plus précise. C’est la virilité ou la puissance du rêveur qui a grandi. Ce pourrait être aussi la parabole d’une tumescence qui fait passer de « treize » à « seize » cm. L’érection est acquise en tout cas. Ayant trouvé la cause, la mère castratrice, l’effet se dissipe ; l’oedipe se désagrège et l’interdit aussi. Alors, le désir s’accroît et grandit. Après seize années de bons et loyaux services dédiés à la femme-mère, Yves s’en éloigne et peut se pencher sur son désir, sans honte. Il y a émancipation et libération : c’est la majorité sexuelle. Commentaire du rêveur « Ma situation personnelle a évolué, puisque ma belle-fille n’a plus treize ans, ce qui appelle à un repositionnement vis-à-vis de celle-ci et peut-être à une décision vis-à-vis de ma compagne. Le questionnement qu’“elle” va induire, celui de l’âge, amène une meilleure compréhension de la situation pour prendre la décision qui s’impose. »Si Yves restait avec sa compagne par devoir vis-à-vis de sa fille d’adoption, la réponse quant à son âge lui signifie qu’elle n’est maintenant plus une enfant, ni une pré-ado, mais presque une adulte, en âge d’être femme ; seize ans, c’est l’âge de la majorité sexuelle. Yves peut donc quitter sa position de père protecteur et penser davantage à lui.

Rappel

L’orientation de lecture, phallique, est confirmée par la phrase finale de la résolution-constat : « Elle a grandi ! » L’érection était annoncée par la phrase ambiguë (image-clé) : « La queue s’accroît et je commence à avoir honte… », et le point de focalisation, présent dès l’exposition : « Je fais la queue. » C’est donc la résolution qui donne la piste principale de lecture du rêve, soulignée par l’image-clé, piste exposée dès les premiers mots du rêve.

Extrait de "L’interprétation psychanalytique des rêves", de Tristan Moir, publié aux éditions l'Archipel, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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