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Vladimir Poutine a prononcé un discours surprise et a décrété la mobilisation partielle.
Vladimir Poutine a prononcé un discours surprise et a décrété la mobilisation partielle.
©ALEXEI DRUZHININ / SPUTNIK / AFP

Mobilisation partielle

En déclarant la mobilisation partielle, Poutine montre qu’il redoute finalement moins la réaction de l’opinion publique russe pourtant très opposée à sa participation active à la guerre que les factions nationalistes qui semblent avoir le vent en poupe en Russie.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Sergej Sumlenny

Sergej Sumlenny

Sergej Sumlenny est un journaliste, politologue et écrivain d'origine russe.

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Atlantico : Vladimir Poutine a prononcé un discours surprise après plusieurs annonces, notamment des référendums dans quatre régions ukrainiennes. Comment pouvons-nous analyser ce discours ? Que doit-on retenir du discours de Vladimir Poutine ?

Viatcheslav Avioutskii : Dans son discours, Vladimir Poutine annonce une mobilisation partielle, constituée de 300 000 réservistes, ce qui constitue un échec. Il faut rappeler qu'il s'agit de la troisième mobilisation en Russie depuis le début du 20e siècle, les deux premières étant en 1914 et 1941. Moscou admet enfin qu'elle est engagée dans une guerre à grande échelle. La dernière contre-offensive autour de Kharkiv a mis en déroute l’armée russe actuelle. De son point de vue, il était nécessaire de renforcer les rangs de l’armée pour ne pas perdre définitivement sur le terrain. 

Sergej Sumlenny : Tout d'abord, c'est un signe de sa faiblesse. Il avait trois messages : mobilisation partielle, annexion de quatre régions ukrainiennes et menace nucléaire. La menace nucléaire est quelque chose que les propagandistes russes ont répété pendant des années. La menace nucléaire pour l'Occident s'est dégradée en mots rituels utilisés dans n'importe quel conflit, aussi limité que celui des visas par exemple. Les dirigeants iraniens et nord-coréens disent régulièrement la même chose, juste pour se rappeler qu'ils peuvent faire quelque chose. Le fait que Poutine lui-même saisisse cette rhétorique signifie qu'il se met au niveau de ses propres experts et propagandistes (comme Margarita Simonyan ou Dmitry Kiselyov). C'est bien plus qu'une faiblesse. Les référendums dans quatre régions d'Ukraine sont également un signe de faiblesse. Ils veulent le faire depuis des mois, mais maintenant qu'ils disent vouloir le faire, ils ne contrôlent pas la totalité du territoire qu'ils veulent annexer. Ils n'ont pas été en mesure de conquérir ces régions, et pourtant ils ont organisé de faux référendums, mis en scène. Cela aura autant d'effet que s'ils avaient organisé un référendum sur l'annexion de Kiev ou de Lviv. Même pour les partisans de Poutine, cela ne signifiera rien. Et c'est la preuve que la Russie est incapable de gagner plus de territoires.

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A propos de la mobilisation partielle, il y a deux grands destinataires de ce message. Les premiers sont les puissances occidentales, pour montrer qu'il peut mobiliser les gens. Le second est le peuple russe. Il veut leur dire de ne pas avoir peur, que ce n'est pas une mobilisation générale et que seules les personnes ayant une expérience militaire seront appelées.  Mais la question est, pourquoi a-t-il besoin de 300.000 personnes ? Il avait une armée de 150.000 soldats, il en a formé un. Où sont ces gens ? Très probablement tués ou blessés. Mais même s'il parvient à mobiliser autant de personnes, il n'a pas les structures, les divisions, les officiers pour diriger l'opération, l'équipement militaire, etc. Son message à sa population reste qu'il n'y aura pas de recrues mais les gens ont encore du mal à le croire. Ce n'est pas une surprise que la recherche la plus populaire en Russie sur Google soit comment quitter la Russie, que la plupart des vols au départ de la Russie soient complètement complets. Et ce n'est pas non plus une surprise que les forums russes soient remplis de messages d'épouses ou de mères de conscrits potentiels s'inquiétant pour leurs garçons. Poutine essaie simplement de se présenter en position de force, mais il ne l'est pas. Tout le monde le sait : l'Occident, sa population et lui-même.

Est-ce la preuve que Poutine était sous la pression des factions nationalistes ? A-t-il été contraint d'agir de la sorte ?

Sergej Sumlenny : Je ne crois pas que ce soit le cas. Poutine a commencé la guerre en pensant qu'il allait la gagner et obtenir ainsi plus de pouvoir et de soutien. Poutine n'est pas un maniaque. Il a attaqué l'Ukraine parce qu'il n'a aucune règle morale ou légale pour l'arrêter. Mais il l'a fait de manière rationnelle parce qu'il pense qu'il peut gagner et que l'Ukraine va s'effondrer. Maintenant, il essaie de trouver une stratégie pour sortir de cette misère. Il pensait que la stratégie du gaz suffirait à créer des troubles en Occident et à stopper l'aide occidentale à l'Ukraine, mais cela ne s'est pas produit. Il pensait que les Européens ne trouveraient pas de solution pour sortir de la dépendance. Maintenant, il fait chanter l'Europe avec la menace d'une escalade. J'espère que ce sera une autre erreur et que les Européens comprendront qu'il bluffe. Il n'a pas cette armée. Poutine essaie juste d'attraper tous les outils qu'il a dans sa boîte à outils parce que s'il ne le fait pas, il devra reconnaître qu'il est en train de perdre, ce qui est en fait le pire qui puisse lui arriver. Cela signifierait qu'il ne peut plus être respecté et qu'il n'est plus le leader qui peut imposer sa volonté. Il n'a pas été forcé de le faire.

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Mais bien sûr, comme tout dictateur, il dépend des groupes qui le soutiennent. Même les dictateurs les plus brutaux, comme Staline, ont des choses qu'ils peuvent et ne peuvent pas faire parce que cela déplairait aux élites qui les soutiennent. Dans le cas de Poutine, il doit démontrer qu'il peut fournir à ses partisans un modèle de survie et des avantages. Pour cela, il doit réussir. Le problème est qu'il est dans une impasse. Il ne peut pas quitter cette guerre sans avoir gagné ou au moins obtenu quelque chose. Mais maintenant, il ne peut pas contraindre l'Ukraine à un cessez-le-feu, au mieux il va sécuriser le territoire qu'il avait déjà avant la guerre. Et les élites lui demanderont à quoi a servi la guerre ? Et il ne sera pas en mesure de leur répondre. Et c'est lui qui sera interrogé à ce sujet, car il est clair que la guerre était son idée, pas celle de Shoigu ou d'Ivanov.

A quel point donne-t-il des gages aux plus nationalistes ?

Viatcheslav Avioutskii : Il existe deux ailes idéologiques dans son entourage : tout d’abord, les “modérés”, principalement composés d’économistes, qui comprennent bien les conséquences de cette crise et essayent d’avoir une position modérée. Puis il y a son aile dure, composée notamment de Dmitri Medvedev, ancien président de la Fédération de Russie, et de Nikolaï Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité nationale russe. Dans son discours, on voit bien qu’il fait des gestes d'ouverture vers son aile la plus dure, celle qui veut coûte que coûte la guerre. 

Mais un camp radical existe en dehors de son équipe, que l’on peut qualifier d’influenceurs de l’opinion publique. Ces personnes, que l'on appelle "voenkors" (correspondants militaires) qui sont en Ukraine en ce moment, ont leur propre blog et sont de plus en plus critiques vis-à-vis du Kremlin. Ils observent ce qu’il se passe sur le terrain et pensent que Poutine est déconnecté de la réalité. Ils prônent la destruction de l'Ukraine, le renforcement de la présence militaire, les frappes sur les cibles civiles et dénoncent les manques au sein de l’armée. Ces influenceurs ont la même idéologie jusqu’au-boutiste et radicale qu'Alexandre Douguine, qui prône depuis les années 1990 une guerre totale contre l'Ukraine, alors que Poutine promouvait celle d’un État fort, destiné à un public plus large, trouvant un écho non seulement parmi les électeurs de la Russie unie, mais aussi chez le Parti communiste que d'autres partis présents dans la Douma. 

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Comment les nationalistes réagissent-ils par rapport à la guerre ?

Viatcheslav Avioutskii : Les critiques sont remontées jusqu’à Vladimir Poutine. Par exemple, Igor Guirkine, ancien chef militaire des séparatistes du Donbass issu du FSB qui a joué le rôle clef dans l'annexion du Donbass, critique le Kremlin dans les médias pour les manquements dans la stratégie de l'armée russe en Ukraine. Le fait que les autorités le laissent émettre ces critiques, parfois acerbes, signifie qu'il dit haut ce que pensent bas un certain nombre de membres du FSB veulent aller plus loin que Poutine. Schématiquement, il exprime l'attitude de l'aile jusqu'au-boutiste des services de sécurité russes, animés par la haine viscérale de l'Ukraine et de l'Occident.

En Russie, une partie de l’opinion publique a changé et ne souhaite plus la guerre. La population russe change d’attitude mais reste discrète. Les gens sont fatigués et regardent beaucoup moins la télévision d’État. Selon certains sondages, l'audience de la télévision russe a baissé d'un tiers depuis le début de l'été. On assiste à une forme de démobilisation de l’opinion publique autour de la cause nationale ; on leur avait promis une guerre rapide comme en 2014, mais cette guerre va durer. 

En déclarant la mobilisation partielle, Vladimir Poutine montre qu'il a moins peur de la réaction de l'opinion publique russe, qui est très opposée à sa participation active à la guerre, que des factions nationalistes ? Se soucie-t-il de l'opinion publique ?

Sergej Sumlenny : Bien sûr, il se soucie de ce que pense sa population. La guerre a fait grimper sa popularité. Et c'est pourquoi il n'a déclaré qu'une mobilisation partielle. Le message est que le peuple ne doit pas avoir peur, que seuls ceux qui peuvent se battre seront mobilisés, etc. Toutes sortes de mensonges pour calmer les gens. Poutine ne pouvait pas se permettre que la moitié de sa population le déteste. Jusqu'à présent, la majorité n'était pas en colère contre Poutine. Les pertes de la guerre jusqu'à présent ont été soit des volontaires, soit des personnes venant de régions éloignées, de minorités ethniques et en situation de pauvreté économique. Et les Russes ne se soucient pas de ces gens.  La mobilisation change les choses, les gens commencent à penser à eux-mêmes et à leurs proches.

Que peut-il se passer à présent ? Poutine peut-il céder aux revendications des nationalistes ?

Viatcheslav Avioutskii : Les référendums qui vont se produire dans les quatre régions d’Ukraine (Donetsk, Louhansk, Zaporijia et Kherson) vont changer leur statut. Il s'agira maintenant du territoire national aux yeux du Kremlin. Que va faire Poutine s’il considère ces territoires comme russes ? On va évidemment vers une escalade au vu de son discours menaçant. D’autant plus que l’Ukraine va continuer à se battre et tenter de regagner les territoires perdus. 

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