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En France, 10 % de la part des immigrés dans une classe de compétence dégrade d'environ 3 % le taux d'emploi des natifs ayant des caractéristiques individuelles similaires : âge, formation, expérience sur le marché du travail.
En France, 10 % de la part des immigrés dans une classe de compétence dégrade d'environ 3 % le taux d'emploi des natifs ayant des caractéristiques individuelles similaires : âge, formation, expérience sur le marché du travail.
©Reuters

Sous condition

En dépit d'une littérature scientifique abondante sur le sujet, il n'existe pas de réponse indifférente aux caractéristiques économiques des pays d'accueil. Pour autant, une réaction des autorités apparaît comme déterminante pour permettre une intégration économique sur un continent déjà affaibli par 7 années de crise.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Maintenant que la question migratoire revient sur le devant de la scène, ses conséquences économiques prennent logiquement le même chemin. D’un point de vue strictement économique, quels sont les effets d’une ouverture des frontières sur l’emploi, les salaires, le PIB ? Cette question est l’objet d’une abondante littérature, de nombreux rapports de recherche économique y ont été consacrés, mais ceux-ci ne permettent pas d’établir une réponse définitive. Car elle dépend de plusieurs facteurs, dont le niveau de qualification des personnes qui arrivent sur le territoire, mais également de la structure économique du pays d’accueil, et de la politique menée. Maintenant que l’Europe s’est décidée, sous impulsion allemande, à accueillir un plus grand nombre de réfugiés sur son territoire, reste à se poser la question des enjeux, sous l’angle froid de l’économie du continent.

Selon une approche basique, il suffit de considérer que l’arrivée d’une population sur le territoire apporte une source potentielle de travail supplémentaire. L’offre de travail augmente, ce qui constitue en l’espèce un "choc de l’offre". Théoriquement, une telle hausse de l’offre de travail permet au pays d’accueil d’accroître son potentiel de croissance, comme tout accroissement démographique. Plus de travail, plus de consommation, l’effet est naturellement positif sur le PIB du pays d’accueil. Mais pour la population "native", cette augmentation de l’offre de travail peut s’apparenter à une plus forte concurrence sur le marché de l’emploi. Pourtant, la pratique est plus complexe, et celle-ci dépend notamment du niveau de qualification des nouveaux arrivants.

La cas de la France au cours des 20 dernières années

En septembre 2014, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) publiait une lettre intitulée "L’immigration en France, quelles réactions des salaires et de l'emploi ?", écrite par les économistes Anthony Edo et Farid Toubal. Ainsi, et pour la France, tout d’abord, le constat :

"Les données de l’INSEE indiquent que la part des immigrés dans la population active est passée en France de 7 % en 1990 à 10 % en 2010. Cette augmentation cache de fortes disparités selon le niveau d’éducation. En vingt ans, la part des très qualifiés parmi les actifs immigrés a pratiquement triplé, de 10 % en 1990 à 28 % en 2010, tandis que celle des faiblement qualifiés a fortement reculé, de 67 % à 39 %"

Si selon les auteurs, l’immigration intra-européenne n’a que peu d’effets sur le marché de l’emploi, la situation des immigrés extra-européens est différente :

"Immigrés et natifs d’un même niveau de qualification peuvent se distinguer en termes d’attentes vis-à-vis du marché du travail. En effet, si la référence des immigrés en matière de salaire et de conditions de travail est celle de leur pays d’origine (où les conditions d’emploi sont généralement moins bonnes), ils peuvent être, dans leur pays d’accueil, plus enclins que les natifs à accepter des salaires faibles et des conditions de travail difficiles. De plus, les immigrés peuvent être tenus à une forme d’"hypercorrection sociale" qui réduit leur propension à revendiquer une amélioration de leur condition"

Or, et étant donné que les salaires français sont en prise avec une forte rigidité, l’effet de cette augmentation de l’offre de travail ne va pas voir de véritables effets sur ces mêmes salaires, mais plus directement sur le taux d’emploi des natifs :

"Lorsque les salaires sont rigides, l’ajustement porte sur le taux d’emploi. Nos résultats indiquent qu'une hausse de 10 % de la part des immigrés dans une classe de compétence dégrade d'environ 3 % le taux d'emploi des natifs ayant des caractéristiques individuelles similaires : âge, formation, expérience sur le marché du travail." "Les entreprises ont tendance à substituer aux natifs des immigrés lorsque ces derniers sont amenés à accepter de moins bonnes conditions d’emploi."

A l’inverse, aux Etats Unis, où les salaires sont plus flexibles qu’en France, l’ajustement ne se produit pas sur le taux d’emploi, mais sur les salaires eux-mêmes, ce que révèle une étude menée par George Borjas de l’Université de Harvard :

"G.J. Borjas montre ainsi qu’aux États-Unis, une hausse de la part des immigrés de 10 % dégrade d’environ 3 % les salaires (hebdomadaires) des natifs de même niveau d’éducation et d’expérience. Ce résultat est conforme à l’effet attendu : l’augmentation de l’offre de travail générée par les immigrés pénalise les travailleurs natifs auxquels les immigrés sont substituables."

Cependant, de tels effets négatifs, sur les salaires ou sur l’emploi, ne sont pas une fatalité. Il appartient donc aux pays d’accueil d’adapter leur politique économique à la situation. Et c’est là que la situation particulière de l’Europe d’aujourd’hui intervient. Car après 7 années de crise, le continent se bat encore pour s’en sortir. En proie avec un chômage de masse, des niveaux de dettes élevées, et une croissance atone, la situation économique du continent est plus que fragile.

Le cas de l’Europe aujourd’hui

Au sein même de l’Union européenne, et plus particulièrement de la zone euro, les contextes divergent. Alors que l’Allemagne est confrontée à une baisse de sa démographie, voyant ainsi sa population active diminuer dans le temps, et donc son offre de travail, l’immigration peut permettre de compenser la situation. De plus, étant donné que le pays est en situation de plein emploi, l’intégration des nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi est largement facilitée. La situation est inversée en France. Avec un taux de chômage proche de 10% et une démographie toujours croissante, la France dispose déjà d’une offre de travail trop abondante par rapport à la "demande".

Le déséquilibre existe déjà, et une nouvelle augmentation de l’offre, sans soutien de la demande, ne peut conduire qu’à une pression supplémentaire sur le marché de l’emploi. Bien que l’absorption d’une population étrangère, représentant quelques centièmes de la population totale, ne semble pas être en mesure de modifier la situation économique du pays, les tensions sociales pouvant naître d’une telle situation de concurrence sur le marché de l’emploi sont autrement plus problématiques. La nécessité d’une baisse du taux de chômage en est le passage obligé. Ainsi, la réponse à donner à cette situation en termes économiques est opposée entre les deux pays.

L’Allemagne est en capacité d’intégrer économiquement ces nouvelles populations, ce qui est bien moins le cas de la France, d’ores et déjà confrontée à un nombre important de chômeurs, si celle-ci ne modifie pas sa politique économique. De plus, et malgré un contexte économique déjà favorable, l’Allemagne a fait le choix de "débloquer" 6 milliards d’euros sur son budget pour permettre l’accueil des 800 000 arrivées prévues au cours de cette année 2015. Mais la question des migrants n’est pas une question allemande, c’est l’ensemble de la politique économique européenne qui est concernée.

Voici pourquoi les différentes analyses publiées ces derniers jours se ressemblent. Pour Thomas Piketty, dans Libération :

"Le drame des réfugiés pourrait être l’occasion pour les Européens de sortir de leurs petites disputes et de leur nombrilisme. En s’ouvrant au monde, en relançant l’économie et l’investissement (logements, écoles, infrastructures), en repoussant les risques déflationnistes, l’Union européenne pourrait parfaitement revenir aux niveaux migratoires observés avant la crise."

Ou Charles Wyplosz dans le Figaro :

"Or, sans ces moyens accrus, les immigrants vont s'entasser dans des banlieues déjà mal équipées. Il faudrait du courage politique pour lancer un grand plan d'investissement, comme le fit Israël au moment de l'effondrement de l'Union Soviétique, un succès économique spectaculaire que l'Allemagne s'apprête à rééditer à une échelle plus modeste"

Les deux approches se rejoignent. Chance ou pas chance, l’arrivée de nouvelles personnes sur le territoire nécessite une réaction économique des autorités. Si L’Allemagne n’en a pas vraiment besoin, la France doit augmenter sa demande pour permettre d’absorber cette nouvelle offre de travail. D’où la nécessité de plans de relance, qui ne peuvent être efficacement mis en œuvre qu’au niveau européen. Soit par la voie budgétaire, comme le fait l’Allemagne à titre individuel avec ces 6 milliards d’euros, soit par la voie monétaire, pour permettre un effet plus large et sans impacter négativement le niveau des déficits des Etats.

Sans une telle réaction, la compétition sur le marché de l’emploi risque de s’aggraver en Europe, tout en y ajoutant les tensions raciales, alors même que le taux de chômage global de la zone euro atteint encore 10.9% de la population active. L’enjeu de la question migratoire relève donc plus de la réaction des autorités, ceci afin d’éviter une situation parfaitement décrite par l’économiste Theresa Ghilarducci, de l’Université de New York, dans les colonnes de The Atlantic :

"Cela démontre combien les clivages raciaux peuvent exacerber le conflit qui accompagne un afflux de nouveaux travailleurs (…). Les citoyens, les syndicats et les dirigeants auront à prendre position sur des migrants désespérés en fonction de leurs propres convictions et de leurs intérêts économiques. Beaucoup de réfugiés syriens sont jeunes et qualifiés - juste ce qu’il faut, peut-être, pour lutter contre le vieillissement et la diminution de la population active en Allemagne." (…)

Mais cette situation n’est pas partagée par l’ensemble des pays européens :

"Mais, malheureusement, l'Europe est lancée dans une sale concurrence entre les travailleurs natifs et les nouveaux arrivants. Les préjugés, l’austérité, et l’insécurité du marché de l’emploi - trois caractéristiques de nombreuses économies européennes aujourd'hui, sont certaines d’aggraver la situation de la crise des migrants."

Comme le soutiennent Thomas Piketty et Charles Wyplosz, et de nombreux autres, l’impératif, pour les dirigeants européens, est bien de prévoir une réaction économique à cette situation, c’est-à-dire d’y répondre par un plan de relance européen.

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