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Ce que les réponses de 500 000 adolescents interrogés dans 80 pays sur leurs aspirations professionnelles révèlent de la persistance des choix par genre
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Ancien monde

Une nouvelle étude de David Geary de l'Université du Missouri et de Gijsbert Stoet de l'Université d'Essex au Royaume-Uni révèle que chaque sexe tend à préférer un type de métier sexuellement connoté.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Une nouvelle étude de David Geary de l'Université du Missouri et de Gijsbert Stoet de l'Université d'Essex au Royaume-Uni révèle que les aspirations professionnelles de près de 500 000 adolescents montrent des différences en fonction du genre constantes dans 80 pays. Les préférences influencées par la biologie peuvent-elles jouer un rôle dans la ségrégation en fonction du sexe / du genre (homme ou femme) dans la vie ou dans le milieu professionnel ?

Vincent Tournier : Relevons d’abord qu’il s’agit d’une étude sérieuse, appuyée sur des données solides. Les auteurs ont exploité l’enquête PISA 2018, cette grande enquête qui est réalisée régulièrement par l’OCDE depuis 2003 pour tester les performances scolaires des élèves de 15 ans. 

Dans le cas présent, les auteurs ne s'intéressent pas aux performances scolaires, mais à un autre aspect : dans quel type d’emploi les jeunes se projettent-ils quand ils auront 30 ans ? Les réponses recueillies ont été classées en trois groupes : les emplois orientés vers les choses (autrement dit les emplois qui ont un rapport avec une machine ou un outil tels que soudeur, mécanicien ou ingénieur), les emplois orientés vers les personnes (qui veulent donc interagir avec des clients, des consommateurs ou des enfants, par exemple médecin ou enseignant) et les emplois dits STEM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques).

Les résultats sont particulièrement spectaculaires. Certes, beaucoup d’enfants optent pour des métiers qui ne sont pas sexuellement marqués, mais il existe néanmoins des différences très fortes entre les garçons et les filles. Chaque sexe tend à préférer un type de métier qui est sexuellement connoté. Les écarts entre les sexes sont très élevés : les ratios sont souvent de l’ordre de trois à cinq, et même davantage. Cela signifie que les garçons sont trois à six fois plus nombreux que les filles à vouloir se diriger vers des emplois orientés vers les objets (et même davantage pour les sciences et les technologies), tandis que les filles sont trois à sept fois plus nombreuses à préférer des emplois orientés vers les personnes. 

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En lisant cette étude, on se demande quand même si un tel résultat est vraiment surprenant. D’une certaine façon, on semble redécouvrir la lune. Mais qu’une telle étude soit nécessaire en dit long sur notre époque. Le débat médiatique est tellement saturé par les prises de position féministes qui soutiennent que les hommes et les femmes sont totalement interchangeables, qu’il est désormais nécessaire de présenter des données massives pour rappeler quelques truismes, à savoir que les hommes et les femmes n’ont pas exactement les mêmes aspirations dans la vie, ce qui ne veut évidemment pas dire qu’ils soient inégaux ou hiérarchisés. Le fait qu’il s’agisse d’un phénomène massif et universel montre que l’on n’a pas affaire à quelque chose qui est entièrement construit par la société ou la culture,.   

Relevons un autre résultat très intéressant : les auteurs observent que la France fait partie des pays où la proportion de jeunes qui ne choisissent pas un métier conforme à leur sexe est assez élevée. Les féministes diront que c’est grâce à leur combat et aux politiques mises en place. Ce n’est sans doute pas faux, mais on peut aussi y voir le résultat d’une tradition bien française de l’égalité entre les sexes qui vient de loin. 


Selon les chercheurs de l'Université du Missouri et de l'Université d'Essex, leurs résultats reflètent également les conclusions d'une étude similaire réalisée en 1918. Les tendances n'auraient pas évolué et seraient les mêmes. Que penser de cette persistance des choix et des aspirations professionnelles par genre à travers les âges et au regard de ces études ?

Les auteurs ont en effet comparé leurs conclusions avec des résultats obtenus un siècle plus tôt et ils observent que les conclusions sont très convergentes. Là encore, ce n’est guère une surprise si on part du principe qu’il existe des différences importantes dans la façon dont les hommes et les femmes se projettent dans la vie, conçoivent leurs relations avec l’autre sexe, hiérarchisent leurs centres d’intérêt, ressentent et expriment certaines émotions, etc. 

Les néo-féministes pourraient être tentés de s’emparer de ce résultat pour dire que rien n’a changé depuis un siècle, donc que le patriarcat est toujours aussi dominant. Mais une telle interprétation serait fallacieuse car, justement, beaucoup de choses ont changé : les femmes ont eu le droit de vote, leur situation s’est considérablement améliorée du point de vue de l’éducation et de la vie professionnelle, les lois qui régissent la famille et l’autorité parentale ont été profondément réformées au profit des femmes, la contraception et l’avortement ont été légalisés dans beaucoup de pays, bref le monde d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celui de 1918. Or, si toutes ces modifications n’ont pas fait changer les mentalités, c’est peut-être que ces mentalités ont tout simplement des bases plus profondes que ne le pensent les féministes radicaux, qui entendent finalement dénier toute place à la nature et qui voient comme un problème le fait que les hommes et les femmes n’aient pas les mêmes goûts. 

Cette dénégation constitue d’ailleurs, il faut bien le dire, une profonde régression intellectuelle car cela revient à nier la théorie de l’évolution. En France, on se moque facilement des Américains qui refusent parfois d’enseigner Darwin dans les écoles, mais les néo-féministes font exactement la même chose en considérant que les individus sont totalement indéterminés à la naissance et que tout découle de la culture et de l’éducation. Cela revient à tomber dans une sorte de néo-créationnisme qui ne dit pas son nom.


Les chercheurs ont également constaté une tendance à l'apparition de différences plus importantes dans les pays où règne l'égalité des sexes, comme la Finlande, la Norvège ou la Suède. Comment expliquer ce phénomène, ce « paradoxe de l'égalité des sexes » ?

C’est là l’une des grandes révélations de cette étude, et c’est aussi un point particulièrement gênant pour les néo-féministes. De manière contre-intuitive, les données montrent en effet que, plus un pays est favorable à l’émancipation des filles (ce qui est évalué par un index global qui tient compte de nombreux paramètres comme l’éducation, la participation politique, la santé ou l’espérance de vie), plus celles-ci préfèrent opter pour un métier typiquement féminin. C’est ainsi dans des pays comme la Finlande, la Norvège ou la Suède, pays qui sont pourtant parmi les plus favorables aux femmes, que l’on rencontre les taux les plus élevés d’aspiration pour des métiers sexuellement typés. 

Disons-le autrement : plus les femmes sont libres de choisir, plus elles ont tendance à préférer des métiers traditionnellement féminins. Voilà qui vient bouleverser l’idée qu’on peut avoir des connexions entre la liberté et les stéréotypes. Pour les féministes, les différences entre les sexes sont fondamentalement le résultat des contraintes qui pèsent sur les femmes. Donc, il suffirait de retirer toutes les contraintes et celles-ci feraient exactement comme les hommes. Problème : c’est tout l’inverse qui se produit. En réalité, plus les femmes sont libres, plus elles ont tendance à afficher des choix différents de ceux des hommes.

Autant dire que les féministes sont face à une difficulté. Pour aller vers l’égalité parfaite, il faudrait réduire drastiquement la liberté des femmes en les forçant à se diriger vers des métiers d’hommes. Tel est d’ailleurs le dilemme auquel se heurte la plupart des mouvements qui aspirent à des changements radicaux : comment mettre en place un programme de transformation lorsque les gens n’en veulent pas spontanément ? Les écologistes font face au même problème puisque la transition écologique nécessiterait des contraintes et des restrictions très fortes. Pour les féministes, la difficulté est encore plus grande dans la mesure où la liberté des femmes fait partie de leurs valeurs centrales. 

C’est d’ailleurs ce qui fait tomber les féministes dans d’énormes contradictions, notamment dans le cas du voile islamique, puisque ceux-ci défendent le droit de se voiler au nom de la liberté des femmes, quitte à se retrouver sur la même ligne que les islamistes pour lesquels on peut avoir quelques doutes quant à leur volonté d’émanciper les femmes. 

Mais les néo-féministes ont manifestement moins de scrupules à prôner des contraintes dans certains cas que dans d’autres. A leurs yeux, il est parfaitement acceptable d’interdire les jeux de garçons dans les cours de récréation ou d’imposer des quotas dans les filières scientifiques, alors qu’il est inconcevable d’interdire le port du voile dans le sport ou à l’université.


Cette étude doit-elle nous conduire à revoir les débats au cœur de la société sur les aspirations des filles et des garçons concernant le milieu professionnel et sur les politiques mis en place pour équilibrer les choses, telles que la parité ou les quotas ?

Cette étude pose en effet brutalement la question des objectifs qui sont poursuivis depuis une trentaine d’années. Notre logiciel est-il le bon ? A la lumière de ces résultats, on est tenté de répondre que nous faisons fausse route. En toute logique, il faudrait même arrêter de toute urgence les programmes qui ont été mis en place depuis les années 1990 concernant la parité, les quotas ou la lutte contre les stéréotypes. Toutes ces politiques reposent sur l’idée que les hommes et les femmes sont identiques à la naissance, hormis quelques différences morphologiques et anatomiques, de sorte que toute différence socialement observable est illogique et insupportable. Une conclusion s’impose très logiquement : il faut extirper la moindre trace du patriarcat dans l’esprit des enfants et imposer l’égalité absolue dans tous les secteurs de la société. 

C’est ce logiciel qui prévaut depuis les premières lois sur la parité et l’apparition de la théorie du genre. Or, l’effet pervers de cette politique a été de radicaliser le féminisme puisque celui-ci se trouve amené à surinterpréter tout écart entre l’idéal égalitariste et la réalité. Suivant cette logique, toute différence sociale entre les deux sexes ne peut qu’être vue comme le fruit d’un complot ourdi par les hommes. La domination patriarcale est soupçonnée de se cacher partout, y compris dans le langage. 

Non seulement cette vision est fausse, mais elle aboutit à une impasse et ne peut qu’exacerber les tensions. En partant du principe que toutes les différences entre les sexes sont le résultat de discriminations, donc d’une intention malveillante et dominatrice de la part des hommes, on nourrit un profond ressentiment chez les femmes tout en multipliant les accusations accablantes contre les hommes. Cette vision complotiste et accusatrice débouche sur des théories délirantes, cautionnées du reste par des universitaires, comme on l’a vu récemment avec la théorie qui prétend expliquer la différence de taille entre les hommes et les femmes par le fait que les hommes préhistoriques se seraient réservé la viande (https://www.slate.fr/story/155300/patriarcat-steak-existe-pas). 

Le paradoxe est que cette lutte acharnée contre un patriarcat largement imaginaire, dont il n’est même pas sûr qu’il ait jamais existé en Europe, hormis éventuellement dans les pays protestants où la polygamie a pu apparaître (https://www.lopinion.fr/politique/la-phrase-demmanuel-todd), n’empêche pas les néo-féministes de soutenir avec enthousiasme une immigration en provenance de pays où la culture patriarcale est pour le coup bien présente. Une contradiction aussi forte ne peut que fragiliser la cause féministe. 

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