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Epreuve de vérité : le Juppéisme revu et visité à l'aune de l'arrivée d'Edouard Philippe à Matignon
©LOIC VENANCE / AFP

Malgré Alain Juppé

Alain Juppé aurait déconseillé à Edouard Philippe d'accepter d'aller à Matignon. Ce ralliement se serait donc fait sans son assentiment.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Comment analyser le choix fait par Edouard Philippe, ainsi que par d'autres personnalités de droite proches d'Alain Juppé, de rejoindre Emmanuel Macron. Que révèle ce choix de ce qu'était le juppéisme de cette campagne électorale 2017 ?

Edouard Husson : Une première hypothèse est celle de l'opportunisme. La défaite des Républicains à la présidentielle de 2017, inattendue, improbable, est un véritable séisme pour toute une génération, celle de Bruno Le Maire et du nouveau Premier Ministre. La perspective est d'être écarté pour dix ans du pouvoir. Alain Juppé, Nicolas Sarkozy, François Fillon se retirent de la vie politique. Voilà une génération orpheline. Je crois cependant que l'explication ne suffit pas. Une explication plus subtile consisterait à insister sur l'effet générationnel. Bruno Le Maire avait fait le pari, lorsqu'il s'est lancé dans la primaire de la droite, que les Français porteraient au pouvoir en 2017 une personnalité neuve. Bien vu - même si c'est un autre que lui qui a confirmé le pronostic. Il y a deux ou trois ans, Le Maire expliquait que son modèle était Matteo Renzi et il le justifiait par le désir de sa génération de faire de la politique autrement, de façon plus directe, plus rapide, moins guindée, en utilisant les réseaux sociaux et leur logique de nivellement des hiérarchies. En même temps, la référence à Matteo Renzi en révèle beaucoup. Renzi est un homme du centre gauche; il a conquis et maintenu au pouvoir une gauche italienne qu'il avait l'intention de moderniser. Et sur le fond, la nomination d'un Edouard Philippe, la probable promotion de Le Maire, la possibilité de voir revenir au gouvernement Bayrou et Raffarin signifient simplement que je juppéisme, le bayrouisme sont comme des macronisme des incarnations d'une politique de centre-gauche, qui, au moment de choisir, préfère sur beaucoup de points, la gauche social-démocrate à la droite conservatrice.

Que peut-on en conclure des différences entre Juppéisme et Macronisme ? Quels sont les points programmatiques, ou "philosophiques" qui peuvent justifier un tel rapprochement ? Et quels sont les points qui ont pu être "délaissé" par les juppéistes dans leur rapprochement avec Emmanuel Macron ? Quels sont les "bagages" de droite qui ont été laissés de côté, jugés donc comme non essentiels, par ces personnalités ?

Macron est en quelque sorte la réalisation du rêve de Valéry Giscard d'Estaing de voir la France gouvernée au centre et selon une majorité rassemblant "deux Français sur trois". Bien entendu ses 66% du second tour ne représentent que 40% des inscrits ; malgré tout l'effet facial est celui de la réalisation d'un consensus "libéral, centriste et européen" tel que VGE l'avait envisagé le premier. Après l'échec du septennat giscardien, le giscardisme a progressivement conquis la plus grande partie de la classe politique. Au bout de ce processus, une génération plus tard, Macron vient d'être porté au pouvoir selon une équation parfaitement giscardienne, avec une vraie majorité centriste. C'est la raison pour laquelle je ne pense pas qu'il y ait autre chose que des nuances à mettre en avant si l'on voulait faire la différence entre "juppéistes", "bayrouistes" et "macroniens". Le fond des choses, c'est que la vision de l'Europe, la vision de l'organisation du monde et la vision des enjeux dits sociétaux est largement partagée. Pour identifier les étapes entre la pratique giscardienne du pouvoir avant 1981 et l'élection d'Emmanuel Macron une génération plus tard, il y a les deux référendums sur l'Europe, celui sur le traité de Maastricht en 1992 et celui sur la constitution européenne en 2005. Au fond, ces deux votes dégagent un "parti du centre", majoritaire en 1992 et minoritaire en 2005. La carte du premier tour en 2017 consacre l'opposition entre une France de l'Ouest, terre de "l'identité heureuse" chère à Alain Juppé, qui a voté en faveur d'Emmanuel Macron, et une France à l'est de la ligne historique "Le Havre/Marseille", la plus durement touchée par la mondialisation depuis une trentaine d'année, où le vote Front National a été souvent au-dessus de la moyenne nationale. Le macronisme, en gros, c'est la capacité à traduire en termes de majorité présidentielle la majorité d'opinion du référendum de Maastricht. 

En mars dernier, Alain Juppé évoquait des militants de droite "radicalisés". La réponse de personnalités de droite à la politique de la main tendue, menée par Emmanuel Macron, correspond-elle à une forme de profonde rupture ?

La rupture, les deux ruptures en fait, ne portent pas sur l'économie. Fillon et Juppé n'avaient que des nuances en terme d'analyse économique Le premier vrai clivage, porte sur l'enjeu de la souveraineté : reste-t-elle située d'abord dans la nation? François Fillon comme Nicolas Sarkozy n'ont jamais osé rompre avec l'idée qu'il restait une forme de souveraineté française. Et d'ailleurs Marine Le Pen a pu reprendre un morceau entier d'un discours de Fillon sur la culture française. Les 34% d'électeurs qui ont voté pour Marine Le Pen sont convaincus que la souveraineté ne peut résider que dans la nation. Macron a attiré une majorité de gauche, de centre-gauche et de centre-droit, qui ne croit plus que la souveraineté de la nation soit autre chose que la capacité des citoyens français à exercer leurs droits politiques dans une démocratie européenne ou universelle. La France, dans ce schéma, est avant tout un territoire qui doit adapter et s'adapter à des décisions prises dans des processus transnationaux. Le second clivage majeur concerne la famille et l'émancipation de l'individu en matière de mœurs. Là aussi, il y a forte continuité depuis les années 1970 avec le giscardisme: Le libéralisme, au sens des droits de l'individu, a  défendu et fait imposer dans les années 1970 le droit à l'avortement; aujourd'hui, les enjeux, ce sont le "mariage pour tous" ou la GPA. Les juppéeistes comme les bayrouistes et les macroniens sont d’accord pour défendre sans concession le mariage gay mais rester prudents en ce qui concerne la GPA. Autant la question de la souveraineté correspond largement à un clivage social entre "France d'en haut", insérée dans la mondialisation, et "France d'en bas" en attente de protection ; autant les débats sur la question du mariage homosexuel ont créé un clivage au sein des classes moyennes et supérieures. La sociologie de la manif pour tous est très identifiable ; elle s'explique largement par la reconquête identitaire d'une partie des classes moyennes supérieures par l'Eglise catholique depuis Jean-Paul II.  Les juppéistes qui se rallient à Macron entérinent donc une double rupture : sur la question de la souveraineté nationale (qui correspond à un vrai clivage social) et sur la question de la représentation conservatrice de la famille (à laquelle s'est ralliée une partie des classes moyennes et supérieures libérales mais non libertaires). . 

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