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Ce que la peur du candidat surprise pour 2022 nous dit de l’état de LREM et de la France
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

L’effet Coluche

Selon des informations de BFMTV, l’Élysée redoute l’émergence d’un nouveau candidat "dégagiste" qui jouerait les trouble-fêtes dans le duel déjà annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen lors de l'élection présidentielle de 2022. Le cas de Cyril Hanouna aurait été évoqué. L'animateur a depuis démenti.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico : BFM révélait ce mardi que LREM craignait une candidature à la Coluche en 2022. D'après un ministre cité par le média le nom qui reviendrait le plus dans les rangs du parti de la majorité serait celui de l'animateur de C8, Cyril Hanouna. Une peur qui, à deux ans du scrutin étonne et tend à démontrer que LREM raisonne en terme de logique de casting et non en termes d'offre politique. 

Atlantico :Une telle réflexion sonne presque comme un aveu d'échec de la part de la majorité. N’est-ce pas la preuve qu'elle raisonne uniquement en termes de casting et non en termes d'offre d'idées ? Plus encore, avec ce raisonnement la LREM n'avoue-t-elle pas à demi-mot qu'elle a choisi son leader en se basant uniquement sur son charisme et non sur son programme ? 

Christophe Bouillaud : Le fond du raisonnement, si les informations que vous citez sont véridiques, est peut-être le suivant : désormais, il est évident qu’une majorité de Français, en particulier de gauche ou se sentant proche du mouvement des Gilets jaunes, détestent jusqu’au fond d’eux-mêmes Emmanuel Macron, mais une autre majorité de Français, plus large que la précédente, ne veut pas de la candidate du Rassemblement national (RN) à l’Elysée. Donc, en principe, si Emmanuel Macron arrive à se qualifier au deuxième tour de la Présidentielle de 2022, il sera presque à coup sûr réélu. Cependant, si n’importe quel candidat un peu populaire, si possible pas trop marqué politiquement, c’est-à-dire ni trop à gauche ni trop à droite apparaissait, il pourrait servir à l’électorat pour se débarrasser de Macron sans avoir à en passer par une Présidence offerte au RN. En somme, Emmanuel Macron a peur en quelque sorte de son double. En 2017, des électeurs de gauche ont voté pour lui dès le premier tour pour éviter le duel Fillon/Le Pen qu’indiquaient les sondages. Il a désormais peur qu’un autre – pourquoi pas Hanouna ? – lui fasse en 2022 la même politesse. Pourquoi après tout ne pas voter Hanouna, ce pilier du « café du commerce » télévisuel version 2020, pour éviter un duel Macron/Le Pen ? Malgré tout, l’inquiétude sur le dit Hanouna parait  à mon sens bien peu crédible. Il a certes ses fans, mais tout de même c’est aussi un personnage clivant.  Par contre, en dehors de ce cas d’école, l’hypothèse d’un troisième homme ne va cesser de tourmenter l’Elysée jusqu’en 2022. Il leur faudra éviter à tout prix son émergence dans l’opinion. C’est vrai que l’état des oppositions de droite et de gauche en ce mois de février 2020 inciterait plutôt l’Elysée à imaginer des scénarios baroques pour se faire des frayeurs et pour parer à toute éventualité.

Pour ce qui est du choix par LREM d’un leader pour son charisme plutôt que pour son programme, il faut rappeler que c’est vraiment Emmanuel Macron qui a créé EM devenu ensuite LREM et non l’inverse. C’est un parti entièrement créé par et pour la gloire d’un chef. Pour l’instant, LREM n’a pas d’existence en dehors de la personne même d’Emmanuel Macron, qui a choisi entièrement l’offre politique qu’il a proposé aux électeurs. Supposer que LREM existerait avant Emmanuel Macron nous emmènerait sur des sentiers complotistes que nous ne souhaitons pas parcourir ici. Par contre, il n’est pas inutile de rappeler qu’Emmanuel Macron, le créateur d’EM, a beaucoup joué sur certains traits de sa personnalité – jeunesse  ou bienveillance par exemple – pour s’affirmer devant l’opinion publique en 2016-2017. 

Yves Michaud : A voir les thèmes aussi populaires que sociétaux dont est en train de s’emparer le président Macron (le handicap, la biodiversité, en attendant je ne sais quoi de compassionnel), celui-ci est à l’évidence déjà en campagne pour 2022 et les craintes d’une candidature « à la Coluche » font partie des éventualités qu’il doit envisager. 

Bien qu’une candidature de cette sorte n’ait jamais pris beaucoup d’ampleur, n’oublions pas qu’il y a surtout des mini-Coluches politiciens : ceux qui coulèrent Jospin en 2002 s’appelaient Taubira (2,32 % des voix au  premier tour) et Chevènement (5,33%)…

On peut, d’autre part, voir arriver des candidats « politiques » de dernière minute qui perturbent voire renouvellent le paysage électoral – et Macron le sait très bien puisque c’est exactement ce qui lui a valu la victoire en 2017 ! Il faut donc veiller au grain dans toutes les directions.

Je vois d’autres symptômes de cet électoralisme tactique, notamment la procrastination indéfinie de Macron sur des sujets comme l’insécurité, l’autorité de l’État, la religion, la laïcité et le communautarisme. Dame, il y a 3 à 4 % du corps électoral d’origine immigrée et majoritairement mahométane…Inutile de se mettre à dos ne serait-ce que quelques centaines de milliers de voix.

Ce souci légitime de la tactique électorale a un coût aussi énorme qu’avantageux : l’absence de programme. Quand on travaille dans le catégoriel, on ne peut plus avoir de principes. Entre parenthèses, le flou parfait du programme de Macron en 2017 était déjà parlant.

Deux précisions au passage : dans cette logique, ce n’est pas LREM qui choisit son leader mais le leader qui choisit ses godillots ; surtout, on n’en serait pas là sans notre aberrant système de l’élection présidentielle à couperet qui supposerait pour bien fonctionner une solide organisation des partis et non la compétition des micro-egos.

Si LREM a raison de craindre "le dégagisme",  avoir une telle crainte à plus de deux ans d'un scrutin n'est-ce pas là avouer une certaine impuissance ? Pourquoi un tel fatalisme ? De quoi est-il le symptôme ?

Christophe Bouillaud : Si l’information est exacte, cela traduit peut-être une prise de conscience, permise par les outils à disposition pour mesurer l’état de l’opinion publique (sondages ou focus group), que l’image d’Emmanuel Macron auprès d’une majorité de Français est désormais fixée et ne bougera plus d’ici 2022. Alain Duhamel, le vétéran de l’analyse politique en France, a acté ce fait récemment. De fait, il est et restera le « Président des riches ». Il ne récupérera plus à ce stade le consensus des classes populaires, démographiquement majoritaires dans le pays, qui se sont fait une petite idée depuis deux ans du personnage, il ne récupérera ni les électeurs de gauche, ni bien sûr d’extrême-droite. A ce rythme, il risque aussi d’avoir tous les avocats contre lui. Bref, c’est sans doute le constat qu’Emmanuel Macron est durablement minoritaire dans le pays, et qu’il ne peut gagner en 2022 que parce qu’aucun candidat ne sera assez fort pour lui ravir la place de finaliste face au candidat du RN.

C’est à vrai dire une logique assez délétère et inédite pour la démocratie française des 50 dernières années, puisque ce serait la première fois qu’un pouvoir renoncerait peu ou prou à regagner une réelle majorité dans le pays pour assurer sa réélection, préférant bénéficier des circonstances favorables à la poursuite d’un projet soutenu par une minorité, son seul cœur de cible électoral. C’est d’ailleurs plutôt cohérent avec l’attitude du gouvernement sur la réforme des retraites, mélange de surdité et d’amateurisme. Mais ce pari ne peut fonctionner que s’il n’existe aucune autre opposition forte que le RN. La droite ou la gauche ont encore deux ans pour se réorganiser et proposer un candidat un peu crédible. 

Yves Michaud : On peut répondre de deux manières. 

Soit en vous donnant raison : la politique de Macron, sauf quelques exceptions qu’il faut quand même reconnaître (réforme du bac, Parcoursup, contrat de travail, apprentissage), est plus impuissante qu’efficiente – et encore je ne dis rien du domaine international où les coups de menton et les déclarations hautaines n’ont eu strictement aucun effet.

Soit en rétorquant que le macronisme, c’est précisément ça, que Macron est un machiavélien de comptoir accompli et que le reste ne l’intéresse pas. 

Soit donc on critique le fatalisme et la résignation qui conduisent au repli sur la tactique – on peut appeler ça du hollandisme.

Soit on reconnaît que seule la dimension tactique compte – c’est aussi du hollandisme.

En fait Macron tient beaucoup de son maître, mais il s’est déguisé en Jupiter. S’il enlève Io, ce n’est plus en scooter.

Ce fatalisme n'est-il pas aggravé par l'actuelle crise de défiance ? Ne note-t-on pas ici également une part d'aveuglement de la population qui semble, parfois, sombrer dans une crise de schizophrénie s'opposant parfois violemment au pouvoir tout en étant majoritairementcollapsologue (NDRL : d'après une note de la Fondapol 65% de la population Française pense que la civilisation telle que nous la connaissons va s’effondrer dans les années à venir) ?

Christophe Bouillaud : En un sens oui. Rappelons que lorsqu’il se présente à l’élection présidentielle en 2016-17, Emmanuel Macron prétend, en dépassant par un centrisme rénové de fond en comble la droite et la gauche, rompre avec le fatalisme des Français en leur proposant des politiques enfin vraiment efficaces. Or, sauf à être un macroniste aveugle à l’état d’exaspération du pays, il faut bien constater qu’Emmanuel Macron a réussi jusqu’ici uniquement à radicaliser l’opposition entre une minorité qui trouve que cela va bien, voire de mieux en mieux, et une majorité qui trouve que cela va mal, de mal en pis. Le malaise qu’enregistraient les sondages d’opinion depuis deux ou trois décennies a en plus fini par se matérialiser dans une crise inédite, celle des Gilets jaunes, et la plupart des réformes d’Emmanuel Macron, dont celle des retraites, ont été très mal accueillies par les premiers concernés. Du coup, le pouvoir politique, désespérant de reconquérir les cœurs et les esprits des classes populaires, les plus pessimistes parmi les Français, se retranche dans son pré carré de la France qui va bien. 

Par ailleurs, on pourrait trouver effectivement étrange de s’inquiéter pour sa future retraite après 2037 au plus tôt et de craindre en même temps la fin de notre monde dès 2030, on peut qualifier cela de schizophrène, et effectivement certains leaders d’opinion écologistes radicaux, comme l’astrophysicien Aurélien Barreau, l’ont fait remarquer. Mais ce n’est là que l’expression multiforme d’une inquiétude pour l’avenir chez la majorité des Français et de méfiance envers leurs gouvernants successifs, que, paradoxalement, Emmanuel Macron, s’étant voulu pourtant un thaumaturge de ce pessimisme, semble devoir radicaliser. Cette dernière est liée à l’histoire économique et sociale du pays depuis les années 1970 : une croissance faible et mal répartie géographiquement et socialement. Pour l’instant, Emmanuel Macron n’a pas réussi son pari. Au mieux, il s’y prend mal ; au pire, il a mis à l’encan la France qui perd.

Yves Michaud : Un approche purement tactique de la politique implique le renoncement aux principes et aux idées – ou alors sous la forme de slogans publicitaires dans le style « start-up nation » ou « en mouvement » -, mais elle est adaptée à une société où priment le catégoriel, les égoïsmes et les disparités, tout ce qu’on regroupe sous le diagnostic des « fractures sociales ». En ce sens, le politicien qui la pratique est malin, à défaut d’être estimable.

Reste cependant à savoir si c’est ça la tâche du politique et si c’est ça qu’on attend de lui. 

Il y a un questionnement ancien et même antique à reprendre : que doit être et faire le bon politique ? 

De ce point de vue, il faut reconnaître que les « grands politiques » ont disparu au profit de clowns (Mélenchon), de pantins caricaturaux (la famille Le Pen), de personnages de comédie de boulevard  ou pour les Guignols (Chirac, Hollande, Sarkozy, Royal). Comme je l’ai déjà dit, notre crise est moins celle de la démocratie que celle de notre prétendue élite politique.

Que le « peuple » croie à la fois que le monde s’écroulera le 1er janvier 2023 à 0h et qu’il lui faut assurer sa retraite pour 2040 n’a rien de scandaleux : nous sommes tous faits de croyances largement contradictoires, mais le rôle du Politique avec un grand P est de proposer une organisation de ces croyances à travers quelques principes, pas de profiter de cette confusion pour vendre n’importe quoi.

Vers quoi pourrait mener cette combinaison de fatalisme politique et cette espèce de schizophrénie ambiante ?

Christophe Bouillaud : En admettant qu’Emmanuel Macron n’arrive à effectuer aucune vraie correction de trajectoire sociale et aussi géographique d’ici 2022, la première hypothèse est qu’il soit emporté par la ferveur populaire autour de n’importe quel candidat rassembleur se montrant un peu plus social et un peu plus à l’écoute que lui – l’hypothèse Hanouna faisant partie de ces scénarios cauchemardesques pour le pouvoir actuel. La seconde hypothèse, c’est qu’à force d’être pessimiste, dégagiste, séduite par l’hypothèse d’un effondrement, la majorité de l’électorat finisse par choisir le candidat du RN ou tout au moins un candidat d’extrême-droite qui saura le mieux mobiliser à son profit cet énorme fond de pessimisme. De ce point de vue, l’extrême-droite a vraiment un avantage sur tout le monde, car le discours sur le déclin de la France fait partie de son identité politique depuis la fin du XIXème siècle. 

Yves Michaud : Je ne suis ni Calchas ni Prolix pour prédire l’avenir. En fait, il faut s’attendre à tout et n’importe quoi en 2022 : à quelques % près, les deux finalistes peuvent surprendre, et il serait tout à fait possible que nous ayons le choix entre la peste et le choléra. Imaginez un 2017 où nous aurions eu le choix entre Le Pen et Mélenchon...

Propos recueillis par Aude Solente

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