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Ce que la manière de chaque pays de célébrer sa fête nationale révèle de lui
©Reuters

Face cachée

Les fêtes nationales se placent dans la catégorie des composants de l'ADN d'une Histoire, rangés dans les "symboles". Pourtant, si leur évocation était initialement et spontanément rassembleuse, commune, elles n'en révèlent pas moins certains stigmates nationaux.

David Engels

David Engels

David Engels est historien et professeur à l'Université Libre de Bruxelles. Il est notamment l'auteur du livre : Le déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine. Quelques analogies, Paris, éditions du Toucan, 2013.

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Tout comme la fête de Pâques oblige les médias à publier, année après année, de profonde réflexions sur le passé du lapin éponyme, et tout comme la fête de Noël donne à de graves antiquisants le prétexte de disserter sur le culte de Sol Invictus, le 14 juillet portera avec lui son lot de réflexions plus ou moins critiques sur la prise de la Bastille, n’en doutons pas. Pourtant, nous les connaissons déjà toutes, ces histoires : les politiciens se déchireront pour savoir si la nécessité d’un consensus national au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité devra s’écrire dans une mouvance de gauche ou plutôt de droite (comme si ces mots avaient encore un sens) ; les historiens préciseront que la "prise" de la Bastille, hébergeant à peine sept prisonniers (dont probablement le marquis de Sade...), ne peut aucunement être qualifié d’événement particulièrement héroïque ou utile ; et quelques rares nostalgiques évoqueront peut-être le bon vieux temps où la fête nationale française était encore commémorée le 15 août et portait le nom de la Saint-Napoléon... Ainsi, une fois de plus, la célébration spontanée du mythe de la solidarité sera démontée au profit d’un ergotage critique non moins ritualisé – triste symptôme d’une société stérile et en désaccord avec elle même, où "croire" et "sentir" sont devenus les caractéristiques soit des imbéciles, soit des extrémistes : l’intellectuel politiquement correct se doit de critiquer, de démonter, d’ironiser, de contextualiser, bref, d’être "au dessus de la mêlée". Mais rassurons-nous, cela pourrait être pire, car dans un Occident en pleine folie du politiquement correct, de la "diversité" et du reniement des racines historiques, les fêtes nationales, un peu partout, ont de toute manière la cote basse ou ont été vidées de leur sens originel par des changements incessants.

Belgique

Ainsi, en Belgique, la fête nationale (21 juillet), rappelant la prestation de serment du premier souverain en 1831, est régulièrement ternie par des incidents provoqués par des indépendantistes flamands et a, de toute manière, été évincée dans la tête des citoyens par une multitude de fêtes pseudo-nationales commémorées par les (trop) nombreuses entités fédérées : fête de la région wallonne, fête de la communauté française, fête de la communauté flamande, fête de la région Bruxelles-capitale, même fête de la (minuscule) communauté germanophone – ils sont fous, ces Belges.

Italie

En Italie, l’on imite, comme souvent, le grand frère français, du moins en ce qui concerne le decorum et la "bellezza" des symboles. Ainsi, la fête de la République (2 juin) commémore la fin de la monarchie en 1946, considérée comme discréditée par sa collaboration avec le fascisme (du moins depuis les revers militaires de ce dernier...) et abolie, après la "libération" de l’Italie par les Alliés, non pas par une révolution comme en France, mais, un tantinet moins héroïque, un suffrage politique. Le résultat fut assez serré d’ailleurs, car le Sud se prononça massivement en faveur de la maison royale et, jusqu’aujourd’hui, ne commémore le souvenir de sa défaite que de manière peu enthousiaste...

Espagne

En Espagne, la fête nationale a été placée le 12 octobre, anniversaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb – date un peu curieuse, car signifiant non seulement la genèse d’un empire mondial aux proportions inouïes, mais aussi le début du déclin économique de la péninsule ibérique, vidée de sa population et dépendante des importations de matière précieuse... Célébrée comme fête de "l’Hispanité" (combien de temps ce nom se maintiendra-t-il encore ?), elle est commémorée aussi dans de nombreux pays d’Amérique du Sud. Jadis appelée "Fête de la race", elle a été rebaptisée, vu l’importance politique accrue des descendants des populations précolombiennes, par des appellations politiquement correctes, bien qu’un peu lourdes, comme en Argentine, où elle s’appelle "Jour de la diversité culturelle américaine", au Chili ("Jour de la rencontre de deux cultures"), et au Vénézuéla (sous le nom aussi magnifique qu’inapproprié de "Jour de la résistance indigène"...).

Allemagne

L’Allemagne, elle, détient certainement un triste record en ce qui concerne les déplacements de ses fêtes nationales, résultat de l’histoire mouvementée de ce pays au siècle dernier. Commémorant tour à tour le 2 septembre sous l’empire des Hohenzollern (capitulation de l’armée française à Sedan en 1870), le 11 août sous Weimar (signature de la constitution républicaine en 1919), le 1er mai sous le national-socialisme ("Ersatz" du 1er mai socialiste), le 7 octobre en RDA (fondation de la république en 1949) et le 17 juin en RFA (commémorant de manière provocatrice l’insurrection de 1953 en RDA), le pays célèbre, depuis 1990, sa fête nationale le 3 octobre (anniversaire de la réunification) sous l’appellation de "Jour de l’unité allemande". Pourvu que ça dure.

Royaume-Uni

Citons last, but not least, le Royaume-Uni. Comme toujours outre-manche, les choses sont un peu compliquées et remontent au moins jusqu’au Moyen-âge. Ainsi, il n’y a toujours pas de réelle fête nationale (tout comme il n’y a toujours pas de constitution), mais plutôt un certain nombre des commémorations semi-officielles liées aux Saints attitrés des diverses entités constituant le Royaume-Uni. Ainsi, en Angleterre proprement dite, l’on célèbre le "Saint George’s Day" (23 avril), en Écosse, le "Saint Andrew’s Day" (30 novembre), en Irlande du Nord, le "Saint Patrick’s Day" (17 mars), et au pays de Galle, le "Saint David’s Day" (1er mars). Diverses tentatives devant aboutir à la création d’une fête nationale unique sont en cours, mais vu que ce qui reste de l’ancien "Empire" semble crouler sous la menace du referendum écossais, ce ne sera pas demain la veille que l’on trouvera un compromis sur une question si délicate...

Une fois de plus, l’Occident semble à la fois bien divisé en ce qui concerne la définition de ses diverses identités même nationales, et uni par le paradoxe que cette crise des identités politiques n’est guère réduite à un seul État, mais semble plutôt révélatrice d’une phase de transition et de questionnement beaucoup plus profonde, où des identités traditionnelles centenaires se heurtent aux nombreuses revendications venant des forces autonomistes, de la "diversité" ou du politiquement correct, créant ainsi des compromis et bricolages peu aptes à galvaniser l’enthousiasme des foules comme à la belle époque. Et l’Union européenne dans tout cela ? Certes, elle fête bien sa "Journée de l’Europe" le 9 mai. Mais vu que seul le Kosovo a accepté ce jour en tant que jour férié et que le souvenir de la signature d’un traité concernant la production du charbon et de l’acier est, effectivement, révélateur des préoccupations primordiales de nos élites politiques, mais peu évocateur aux yeux des citoyens, l’on doutera de son succès. L’anniversaire de Charlemagne (2 avril) aurait fait un bien meilleur candidat.

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